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Pierre de Coubertin, le père décrié des Jeux modernes

Rénovateur des Jeux Olympiques, le baron Pierre de Coubertin, ancien président du CIO, divise encore aujourd’hui l’opinion par ses positions et ses écrits.

France Télévisions – Éditorial Sport

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La statue de Pierre de Coubertin au siège du Comité international olympique, à Lausanne, le 23 juin 2019. (FABRICE COFFRINI / AFP)

C’est une figure dont l’ombre et l’aura plane sur les Jeux de Paris, un nom inévitablement lié à l’histoire de l’Olympisme. Les photos d’époque le montrent avec une moustache luxuriante et des sourcils broussailleux, un regard perçant et un costume sombre, qui ont également inspiré sa statue de cire, entrée au musée Grévin le 18 juin. Mais sous le manteau se cache une personnalité qui n’a jamais fait l’unanimité, de son vivant jusqu’à aujourd’hui.

Pierre de Coubertin est le symbole de la renaissance des Jeux Olympiques. A la fin du XIXe siècle, c’est lui qui œuvra à la relance de ce grand événement sportif dont la première édition à l’époque moderne eut lieu à Athènes en 1896. Cet accomplissement est l’œuvre d’une vie pour le baron Pierre de Coubertin, issu de la noblesse, passionné d’histoire et fasciné par la pratique du sport en Angleterre, devenu président du Comité International Olympique (CIO) qu’il a fondé.

« C’était quelqu’un qui voulait entrer dans l’histoire, c’est assez clair quand on lit ses lettres. (…) On sentait qu’il voulait (…) faire quelque chose de grand, et ce quelque chose, c’était les Jeux Olympiques »» dit Sylvain Bouchet, historien spécialiste des JO. « C’était un professeur extraordinaire, il a énormément développé le sport en France et dans le monde, il a recréé une rencontre internationale où les gens se retrouvent en paix, pour se découvrir, pour échanger, pour s’éduquer à travers les efforts du sport »acquiesce Thibaut de Navacelle de Coubertin, secrétaire de l’Association de la Famille Pierre de Coubertin, qui regroupe ses descendants.

Mais aujourd’hui, ce n’est plus forcément son rôle de rénovateur des Jeux Olympiques qui est mis en avant. Cent cinquante ans après sa naissance, l’image de Pierre de Coubertin a été écornée par la découverte et la réévaluation d’écrits, de propos et de visions aux connotations sexistes, racistes et colonialistes. Dans son Mémoiresil qualifie notamment de « colonialiste fanatique » : « Les races ont des valeurs différentes, et toutes les autres doivent prêter allégeance à la race blanche, d’essence supérieure. » Toujours opposé à la participation des femmes aux Jeux Olympiques, il écrit également qu’elles « doit être réservé aux hommes » et celui-là « Une Olympiade féminine serait inintéressante, inesthétique ».

Une vision des choses qui s’explique à travers le prisme de l’époque et de l’évolution des mentalités depuis. « En 1920, rappelle Diane de Navacelle de Coubertin, auteur d’un livre sur son ancêtre, à l’AFP, les femmes n’ont pas le droit de vote, sont soumises à leur mari, n’ont aucune autonomie financière, sont cantonnées aux robes et corsets, et les médecins assurent que le sport risque de les empêcher d’avoir des enfants. Les admettre aux Jeux n’a pas été facile. »elle explique. « Pour lui, les femmes ne doivent pas concourir, elles doivent éventuellement remettre des récompenses, il y a cette idée de décoration. Mais en même temps, c’était aussi la pensée de beaucoup de gens de son époque. », raconte Sylvain Bouchet. Pour l’historien, les débats portaient principalement sur la place des femmes dans l’athlétisme, alors au cœur des Jeux, auxquels Pierre de Coubertin s’est opposé toute sa vie.

Il est également critiqué pour son soutien aux Jeux olympiques de Berlin en 1936, organisés par le régime nazi en Allemagne. « Peut-être qu’il y avait aussi une fascination pour la mise en scène, le sens du spectacle, peut-être que cela correspondait parfaitement à ce qu’il voulait »note Sylvain Bouchet, qui rappelle l’intérêt du baron pour les codes de la chevalerie.

Alors que Pierre de Coubertin quitte la présidence du CIO en 1925 et se retrouve écarté de son projet, « les organisateurs (des Jeux de Berlin) va essayer de le séduire, lui faire promettre de soutenir sa candidature au prix Nobel de la paix 1937, qu’il ne remportera jamais, va lui donner de l’argent, lui demander ses souhaits musicaux pour les cérémonies d’ouverture et de clôture, donc il est un peu flatté »retrace l’historien.« Ce qui l’excitait, c’était de voir pour la première fois un pays mettre des moyens exceptionnels pour accueillir les JO, en construisant le plus grand stade d’athlétisme de l’époque »estime, pour sa part, Diane de Navacelle de Coubertin auprès de l’AFP.

« Il faut aussi se mettre dans le contexte de ce personnage, complètement isolé, sans le sou à la fin de sa vie. Les Allemands savaient très bien profiter de cet isolement de Pierre de Coubertin.

Sylvian Bouchet, historien du sport

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Personnalité de premier plan, le baron Pierre de Coubertin fut également controversé de son vivant. Malmené par les opposants à son projet de Jeux modernes, par les Grecs qui auraient aimé les accueillir tous les quatre ans à Athènes, on lui reproche aussi d’être trop nostalgique. « Il sera toujours jugé comme quelqu’un qui a trop regardé vers le passé, et il sera critiqué pour cela tout au long de sa vie »assure Sylvain Bouchet, qui explique que dans une France de la Troisième République, « on s’est toujours méfié de sa particule ». « Il faut certes le replacer dans un contexte historique, mais même à son époque, il n’a jamais été avant-gardiste, il n’a jamais été progressiste, et sur certains sujets il est plutôt réactionnaire, en tout cas conservateur. »décrypte l’historien du sport Patrick Clastres à l’AFP.

De quoi nourrir une relation compliquée entre Pierre de Coubertin et son pays, qui perdure encore, malgré les plus de 600 lieux qui portent son nom sur le territoire. « La France n’a jamais été à l’aise avec l’héritage de Coubertin, et il n’a jamais reçu la Légion d’honneur. Cela veut dire que de son vivant, il a toujours été plus ou moins marginalisé, ambigu, en tant que figure. »note Sylvain Bouchet. Beaucoup plus reconnu au niveau international, selon l’historien, il s’installe aussi à Lausanne en 1925 après avoir perdu la présidence du CIO, où il est enterré.

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