La Cour des comptes, qui évalue les actions menées dans le domaine numérique par l’administration, dresse un bilan plus que mitigé de la « suite numérique de l’agent public », un ensemble de services développés en interne par et pour l’administration qui vise à concurrencer Google doc ou Slack.
Connaissez-vous Tchap, Resana ou Osmose ? Si ces noms ne vous disent rien, ce n’est guère étonnant. Le trio fait partie de la « suite numérique de l’agent public », un ensemble d’outils de messagerie, de stockage et de publication à domicile développés en interne par et pour l’administration française, censés offrir « une alternative souveraine aux solutions de marché » aux fonctionnaires français.
Et le 10 juillet, la Cour des comptes a rendu son analyse de ces outils développé par l’État et pour l’État, destiné à concurrencer Slack, Google Doc et Microsoft Office, entre autres. Dans un rapport général sur« La gestion de la transformation numérique de l’État par la Dinum », la direction interministérielle du numérique, juridiction indépendante, chargée de « assurer la bonne utilisation des fonds publics « , qualifié une évaluation critique de ces plateformes, c’est le moins qu’on puisse dire.
A l’origine, les prémisses de cette séquence bureaucratique avaient été mises en place lors de la crise sanitaire avant d’évoluer, il y a quelques mois, » vers une « suite numérique » unifiée, « open source » et souveraine. Cette suite irait au-delà du simple logiciel d’échange (messagerie instantanée « Tchap », Audioconférence, Webconférence et Webinaire de l’État) et des communautés professionnelles en ligne (« Osmose » et « Resana ») « , détaille la Cour des comptes dans son rapport.
Les promesses des applications souveraines, basées sur le libre et SecNumCloud…
En mai dernier, Stanislas Guerini, ministre de la Transformation et de la Fonction publique, avait présenté ces outils numériques maison à VivaTech. Dans un communiqué, le ministère rappelait l’objectif de ces évolutions. Il s’agit de proposer « une offre complète incluant : (…) la possibilité de se connecter à des applications souveraines, à la carte, interconnectées, basées sur des logiciels libres et des infrastructures SecNumCloud, basées sur des communs numériques libres (…) ».
Ont notamment été cités : communication instantanée, tenue de réunions par audio ou vidéoconférence, partage de documents et collaboration au sein des équipes (pour la gestion de projets entre autres) ainsi que communication par email (pour les petites équipes dans un premier temps)) ».
Un coût important à relativiser, selon Dinum
L’occasion pour la Cour des comptes de se pencher sur » ces nouvelles briques de messagerie interservices, de stockage et d’édition collaborative » déjà en place ou en cours de développement. Ceux-ci nécessitent une « coût élevé « , notent d’abord les magistrats de la rue Cambon. Fin 2023, l’administration avait dépensé au total 9,3 millions d’euros, dont 60 % pour le service de messagerie instantanée Tchap. La maintenance de ces appareils coûterait 5 millions d’euros, dont 40 % pour Tchap.
Mais ce niveau de dépenses est à relativiser, estime la Dinum, qui compare le coût des licences privées pour une suite numérique (bureautique, messagerie, échange de fichiers) à celui des solutions maison, rapporte la Cour des comptes dans son rapport. Alors que les premières varieraient entre 300 et 590 euros par an et par agent, la suite numérique coûterait 75 euros par agent et par an, pour un coût de « 1,5 milliard d’euros ». d’un peu moins de 15 millions d’euros, pour une utilisation en moyenne par moins de 200 000 agents « .
Une offre difficile à lire et méconnue de la plupart des agents
Toutefois, la Cour des comptes souligne que cette séquence numérique reste « difficile à lire et instable « . Elle » reste inconnu de la plupart des agents » – inutilisé par 70 % des agents interrogés, selon le baromètre des agents publics 2022 qui reste à relativiser, puisque seulement 18,4 % des agents interrogés ont répondu.
L’outil « State AudioConference » est passé de 18.500 réunions organisées en janvier 2022 à 8.000 en novembre 2023. « State Webconf », service parallèle, a permis d’organiser 79.000 réunions en novembre 2023, contre 3.000 en février 2020.
Mais les magistrats se sont surtout concentrés sur Tchap, le service de messagerie instantanée, qui serait utilisé activement par 190 000 agents : un faible nombre qui pourrait s’expliquer par la directive « Olvid », suggère la Cour des comptes. Les juges de la rue Cambon relèvent ainsi que « Malgré d’importants investissements publics réalisés pour développer l’utilisation de ce produit (5,6 millions d’euros de coûts de production entre 2021 et 2023 et 1,85 million d’euros de coûts de maintenance estimés en 2024), le Premier ministre a demandé, en novembre 2023, aux membres du Gouvernement et aux cabinets ministériels de privilégier une alternative privée, « Olvid » à l’utilisation du Tchap « .
Insuffisance de personnel et de ressources pour développer des outils adoptés par tous
La Cour des comptes suggère également que ce manque d’adhésion aux outils de la suite numérique des agents publics est loin d’être surprenant. Notamment au vu de la » Le personnel et les ressources de Dinum « . Ces derniers » Cela ne conduira probablement pas à des outils qui pourront être facilement adoptés par les agents dans un délai raisonnable. « , note-t-elle, avant d’énumérer le nombre d’employés à temps plein pour chaque outil numérique.
Quatre postes sont ainsi en charge de la gestion de la « Webconférence d’État », trois dédiés au « Webinaire d’État », un demi-poste à temps plein pour l’« Audioconférence d’État », cinq pour la« AgentConnect » et 13 pour les mieux lotis, Tchap : difficile donc avec des équipes aussi réduites de rivaliser avec l’effectif du privé qui a permis de développer Zoom, Meet ou Slack.
LL’État devrait « se concentrer sur les produits à forte valeur ajoutée pour les agents et les utilisateurs « , recommandent les magistrats, avant de recommander une » participation des ministères pour évaluer le système et décider de la poursuite des investissements réalisés”.
Mais en attendant, » les résultats ne correspondent pas aux investissements réalisés « , écrit la Cour des comptes. Ceci même si cela reste » souhaitable que l’Etat dispose d’une solution de repli souveraine en cas de difficultés affectant ces plateformes privées « , disent les magistrats. « (…) Le Les produits de la « suite numérique agent public », peu connus et peu utilisés et dont le coût est appelé à continuer d’augmenter, pourront-ils, avec les moyens de Dinum, concurrencer les offres proposées par le secteur privé, déjà largement adoptées par les agents publics ?« s », demandent ces juges indépendants, dans une question qui semble presque rhétorique.
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Source :
Rapport de la Cour des comptes du 10 juillet 2024