ENTRETIEN.- L’historienne et politologue Nicole Bacharan revient sur la position récente de Melania Trump, qui dit soutenir fermement le droit à l’avortement.
« Il est impératif de garantir que les femmes disposent de l’autonomie nécessaire pour décider de leur préférence en matière d’enfant, en fonction de leurs convictions personnelles, sans aucune intervention ni pression du gouvernement. » Dans ses mémoires à paraître le 8 octobre aux Etats-Unis, sobrement intitulées Mélanie (chez Skyhorse Publishing), l’épouse de Donald Trump s’exprime sur un sujet très sensible : le droit à l’avortement. Et sur lequel personne ne l’attendait. Elle qui est d’habitude si discrète et ne se mêle jamais des débats politiques. « Pourquoi quelqu’un d’autre que la femme elle-même devrait-elle avoir le pouvoir de déterminer quoi faire de son corps ? Le droit fondamental d’une femme à la liberté individuelle, à sa propre vie, lui donne le pouvoir d’interrompre sa grossesse si elle le souhaite », écrit-elle encore.
Si son engagement en faveur des droits des femmes et de l’avortement surprend, Melania Trump affirme néanmoins l’avoir défendue pendant des années : « Restreindre le droit d’une femme de choisir d’interrompre une grossesse non désirée revient à lui nier le contrôle de son propre corps. Cette conviction m’a accompagnée tout au long de sa vie. ma vie d’adulte. Politologue et historienne Nicole Bacharan, spécialiste des États-Unis et co-auteur de Premières dames : les conseillers de l’ombre (Tempus Perrin, 2020) analyse cette position.
Madame Figaro.- Cette semaine, le quotidien britannique Le Gardien a publié des extraits des prochains mémoires de Melania Trump. Elle défend ardemment l’avortement. Ce biais, à cinq semaines de la présidentielle, est-il surprenant ?
Nicole Bacharan.- Oui, c’est très surprenant. En tenant ces propos pro-avortement en pleine campagne, Melania Trump devient une épine dans le pied des Républicains et de Donald Trump. Il ne sait pas vraiment comment se débarrasser de la position de sa femme. En matière d’avortement, il a toujours soufflé le chaud et le froid.
Peut-on vraiment penser que cette position n’a pas été « validée » par son mari ?
Personne ne le sait. Melania Trump ne parle à personne, et ses équipes restent très fermées. Il en va de même pour Donald Trump. Nous avons donc deux possibilités : soit Melania dit ce qu’elle pense – et je ne doute pas que ce soient ses véritables convictions – et comme son livre sera bientôt publié, elle s’en sert comme d’une rampe de lancement. Il s’agirait donc clairement d’un enjeu commercial. Soit, comme cette question de l’avortement pourrait faire perdre les élections à Trump, la position de Melania arrive à point nommé : elle apporte un autre point de vue sur la question et peut rassurer les électeurs, très refroidis par la position officielle du Parti républicain, conservateur et anti-avortement. .
Vous évoquez un problème commercial. Melania Trump est l’épouse d’un milliardaire. Est-ce qu’elle essaie toujours de gagner de l’argent ?
Melania Trump n’aura jamais assez d’argent. Vous ne pouvez pas imaginer la cupidité financière de cette femme. CNN rapporte que l’éditeur de ses mémoires lui a demandé 250 000 $ pour qu’elle accepte de parler avec le média.
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D’habitude très discrète, l’ancienne première dame des Etats-Unis prend enfin la parole. Qui plus est, sur un sujet sensible, au cœur du scrutin du 5 novembre. Qu’est-ce qui ressort de cette histoire ?
On ne sait pas ce qui se cache derrière le couple Trump. Est-ce vraiment un couple ? Ou une association de malfaiteurs ? Des « partenaires commerciaux » peut-être ? Donald et Melania Trump ont un enfant ensemble, Barron, qui compte beaucoup pour Melania. Mais le couple Trump en tant que tel est tellement opaque. En revanche, ce qui est sûr, c’est que chacun profite de l’autre : Donald apporte à Melania une stabilité financière et un rôle social – mais pas politique, puisqu’elle déteste ça. Quant à elle, bien qu’absente de sa campagne électorale, elle permet à Trump de se présenter en couple. Elle incarne une Première dame glamour et est tout à fait conforme aux idéaux féminins de son mari. Il suffit de regarder les femmes qui entourent Donald Trump. Sa femme, ses filles, ses belles-filles, ses conseillers… Ils sont tous grands, beaux, minces, avec les cheveux longs. Ils portent des vêtements serrés, des talons très hauts… Ils le regardent avec adoration.
Quelles ont été, historiquement, les positions de Donald Trump sur l’avortement ?
J’ai consulté toutes les déclarations de Trump depuis son discours, notamment au sujet de l’avortement. Je suis revenu à l’époque où il avait environ 30 ans. Je me souviens d’une entrevue avec Maureen Dowd de New York Times. Elle lui a demandé : « Avez-vous déjà payé l’avortement d’un de vos partenaires ? Il a obtenu cette réponse : « Question suivante. » Cela dit, l’opposition de Donald Trump à l’avortement est très récente. Cela date de 2015 et c’est purement électoral.
Mais depuis, Donald Trump a largement torpillé le droit à l’avortement aux Etats-Unis…
Clairement. Il a promu des idées anti-avortement. Il a nommé 3 juges à la Cour suprême qui ont annulé Roe v. Wade, qui depuis 1973 avait accordé aux femmes américaines le droit à l’avortement dans tout le pays. Il a également nommé 300 juges fédéraux, tous anti-avortement. Aujourd’hui, deux ans plus tard, le pays traverse une véritable crise de santé publique car les femmes ne peuvent plus se faire soigner. Donald Trump ne sait donc plus sur quel pied danser. En Floride, le 5 novembre, il y aura deux référendums : l’un pour inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution, l’autre pour limiter l’avortement au-delà de 6 semaines, ce qui revient presque à l’interdire. Donald Trump s’est d’abord positionné en faveur de l’inscription du droit à l’avortement dans la constitution avant de s’en retirer face à la désapprobation de la frange évangélique de son électorat.
Hormis Melania et Donald, connaît-on la position des autres membres du clan Trump sur le droit à l’avortement ?
Pas à ma connaissance. Ivanka, autrefois omniprésente, est radicalement absente de la campagne de son père. Tandis que ses autres enfants ne se prononcent pas sur l’avortement.
À ce sujet, Donald Trump ne cherche donc qu’une opportunité électorale ?
Oui. Parce qu’au fond, je crois que l’avortement ne lui pose aucun problème moral.