Santé

« Personne ne m’en a parlé » : les agriculteurs malades à cause des pesticides dans le Cher

Les pesticides désormais interdits dans l’agriculture continuent de faire des ravages sur la santé des agriculteurs du Cher. Deux retraités se sont battus pour que leurs cancers soient reconnus comme maladies professionnelles.

À 86 ans, Jean-Paul a depuis longtemps laissé derrière lui sa vie d’agriculteur. Il vit toujours dans la maison de ses parents, dans l’ancienne ferme familiale, sur la commune de Châtelet. Si les vaches charolaises ne broutent plus l’herbe de la propriété de 80 hectares, une maladie plus vicieuse ronge l’ancien agriculteur. En 2021, on lui a diagnostiqué un cancer de la prostate. « Les médecins n’ont pas vu ce que j’avais. Je pense qu’ils l’ont pris un peu à la légère. »

D4D « sans masque »

Son médecin de l’époque n’a pas fait le lien avec l’utilisation régulière de pesticides par l’ancien agriculteur. « A 14 ou 15 ans, je travaillais déjà dans une petite ferme. Je désherbais au D4D à l’aide d’une pompe à main, sans masque. Quand on y pense… Est-ce que cela a pu avoir un impact sur ma maladie à partir de ce moment-là ? » Ce n’est qu’à « 25 ans » que Jean-Paul a commencé à utiliser un masque pour manipuler ces produits dangereux, « mais le mal était peut-être déjà fait ». Il ajoute : « On utilisait du lindane, connu pour être nocif, pour tuer les poux et les pucerons dans les céréales et sur les animaux. Il se retrouvait dans la viande ! On l’achetait chez les vétérinaires ou dans les magasins agricoles. »

L’histoire de Jean-Paul n’est pas très différente de celle d’André.

L’ancien agriculteur est un peu plus jeune, 71 ans, mais il souffre du même mal que son aîné. Le manque d’information sur la nocivité des pesticides qu’ils manipulaient. Dans la ferme de ses parents, où il travaillait comme aide familial jusqu’en 1988, André utilisait printazole et glyphosate « sans masque, sans gants ». Il se souvient aussi d’une pinède, attenante à sa ferme, « traitée par hélicoptère » : « Ça tournait au-dessus pendant qu’on labourait. On travaillait dans des tracteurs sans cabine. La nuit suivante, ça m’étouffait. » Depuis, « il est toujours sensible aux produits », raconte sa compagne.

Une rente viagère

Puis, en 1989, lorsque l’activité d’élevage et de culture de vaches charolaises sur la ferme de 120 hectares de Boischaut s’arrête, André trouve du travail dans une scierie. « Ils ont traité au lindane contre les vers. Mes mains étaient tachées. » Pour André, comme pour Jean-Paul, le couperet tombe en 2019 après une prise de sang : un cancer de la prostate. En 2022, après une biopsie, deux nodules cancéreux sont découverts. « J’avais le choix entre une opération ou une radiothérapie. J’ai choisi l’opération. » Puis le cancer est revenu, alors place à la radiothérapie. Trente-trois séances.

Pesticides et pollinisateurs : des chercheurs révèlent des failles alarmantes dans le processus d’évaluation des risques

Aujourd’hui, André est en « rechute de maladie professionnelle ». Une reconnaissance qu’il a obtenue grâce à la Fnath, l’association des accidentés du travail. « L’association m’a aidé à faire les démarches pour obtenir une reconnaissance de maladie professionnelle. Cela m’a beaucoup aidé. » Grâce à cette démarche, André a obtenu une pension de 35 %, soit 158 ​​€ par mois. « Elle est calculée à partir de mon salaire lorsque je travaillais dans l’agriculture. » Un complément qui représente environ 10 % de ses revenus de retraite.

Jean-Paul, lui, est reconnu invalide à 80%. Aidé par la Fnath dans sa reconnaissance en maladie professionnelle, il perçoit une rente de 262 euros. « Je sais que ce n’est pas suffisant, mais je me suis dit, laissons tomber. C’est toujours quelque chose. »

Un public agricole pas suffisamment informé

Michel Gréco est avocat et président bénévole de la Fnath Centre-Est, qui couvre le Cher. Il a soutenu André et Jean-Paul dans leurs démarches. « La rente, qui peut atteindre jusqu’à 300 €, c’est une reconnaissance. Mais les agriculteurs sont un public qui ne demande rien. Pour eux, ce n’est pas étonnant d’être malade. » Comme André qui a vu son père terrassé par un cancer du foie, sa mère et sa sœur touchées par un cancer du sein.

Pour les agriculteurs, le cancer de la prostate, la maladie de Parkinson et le lymphome non hodgkinien sont, pour l’heure, les trois pathologies qui figurent dans l’un des tableaux du régime général ou agricole de la Sécurité sociale. Les patients ont quarante ans pour faire reconnaître leur maladie, après la date de départ à la retraite.

Demander aux agriculteurs de renoncer à des pesticides aux effets prouvés sur leur santé ? Pourquoi « ce n’est pas si simple »

Michel Gréco revient sur l’usage même des pesticides : « On leur a promis des rendements accrus, sans répondre à leurs questions, sans aucune notion de protection. » Une vision partagée par Jean-Paul : « Avant de tomber malade, je ne savais pas que ça arrivait. Personne ne m’en avait parlé. » André et sa compagne en parlent à leur entourage : « On connaît beaucoup de gens qui ne le savaient pas. »

Le prénom a été changé.Marion Berard

Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.
Bouton retour en haut de la page