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« Personne ne l’imaginait dans sa famille »… Retour sur la mort de Scapula, baron de la French

Brendan Kemmet est journaliste indépendant, auteur et scénariste de plusieurs ouvrages sur le crime organisé et la French Connection. C’est lui qui a annoncé la mort de François Scapula des suites d’une longue maladie, à son domicile de Marseille, alors que « Scapu » était resté introuvable depuis son évasion de prison en Suisse en novembre 2000.

Une nouvelle qui en a surpris plus d’un, alors que la justice, qui le recherchait autant que ses ennemis voulant se venger de ses trahisons, le pensait caché à l’autre bout du monde. 20 minutesBrendan Kemmet revient sur les dernières années de la vie de ce baron de la drogue des années 1980, surnommé « Scapu le mouchard », notamment pour avoir donné des nouvelles des assassins du juge Michel, abattu à Marseille le 21 octobre 1981.

Comment avez-vous appris son décès et l’avez-vous confirmé ?

C’est un peu un jeu de hasard et de coïncidence. J’avais entendu parler de sa mort il y a quelques années. Donc, c’était une fausse rumeur mais la question était de savoir si elle avait été propagée délibérément. Parce que les dates étaient intéressantes : elles se situaient autour de la prescription de ses peines françaises. Cela allait aussi dans le sens d’un mauvais état de santé, de son besoin de soins. Et c’est plus facile de se faire soigner en France.

Je ne dirai pas qui a confirmé sa mort, la vraie. Mais j’ai été vraiment étonné, on m’a dit : « il est mort ». J’ai dit : « ben oui, ça doit être une rumeur ». Et en fait il y a eu une nécrologie. J’ai trouvé complètement fou qu’un type qui était en cavale depuis des années ait vu sa mort publiée sur Internet. Ce sont les pompes funèbres qui mettent les décès en ligne. Je n’y croyais pas. Mais en voyant l’âge, les dates et le quartier du décès, qui est celui de sa famille, tout concordait. Et il y a très peu de François Scapula, encore moins à Marseille où il n’y en a pas d’autres à ma connaissance.

Comment expliquez-vous qu’il ait pu revenir à Marseille ?

Il y a d’abord la prescription de ses peines françaises de dix-huit et vingt ans prononcées en 1998. Il ne risquait donc probablement plus rien à ce niveau-là. Ensuite, le fait qu’il était malade et avait besoin de soins. Il y a aussi la question de savoir quelles étaient ses ressources financières et ses relations avec les Américains sachant qu’aux USA, le statut de repenti et de témoin protégé est en baisse, avec des soutiens qui s’amenuisent au fil du temps.

Qui l’a accueilli à Marseille ?

Il était très isolé. Et d’après ce que je sais, il avait un soutien familial très proche, mais pas beaucoup plus. J’ai parlé plusieurs fois au téléphone avec sa mère, elle a 103 ans. Ce sont des gens extrêmement méfiants, ce qui, en y repensant, me fait penser que la famille savait probablement où il se trouvait. Et quand j’ai rappelé sa mère après l’avis de décès, elle m’a dit : « Et même si c’était lui, qu’est-ce que ça peut te faire ? » Son ton avait changé. Et implicitement, elle reconnaissait que c’était lui qui était mort.

Que représentait-il dans le trafic de drogue ?

Il ne représentait plus rien parce qu’il avait déjà dénoncé beaucoup de gens, pas seulement le Belge et François Girard. Il était très isolé. François Scapula, c’est vraiment la dernière génération de Français. Ce sont eux qui ont essayé de prendre la relève des trafiquants d’après-guerre. Ils étaient actifs dans les années 1970 et après, à partir des années 1980, c’est devenu très compliqué, il n’y avait plus de laboratoires de transformation d’héroïne en France, c’est pour ça qu’il a été retrouvé et arrêté en Suisse à la fin des années 1980.

Il a inventé le trafic de drogue moderne, pour ainsi dire ?

Ce que j’ai compris, c’est qu’avec Scapula, on s’oriente vers un vrai rôle de vendeur. Parce que dans ces années-là, l’approvisionnement en héroïne de base, notamment via la Turquie, était devenu très compliqué. Donc ce sont des gens qui allaient chercher leur approvisionnement ailleurs : c’est pour ça que Scapula était en Thaïlande à un moment et François Girard en Afghanistan.

En ce sens, ce sont vraiment des trafiquants modernes, les narcos de l’époque. D’ailleurs, tout le processus américain de la DEA (la police antidrogue américaine) autour des trafiquants de drogue a commencé à ce moment-là, avec des techniques de surveillance et d’enquête et c’est vraiment chez les Français que ça a commencé.

Avez-vous eu des difficultés à vous connecter à son environnement ?

Alors oui et non, parce que beaucoup de gens le connaissaient à l’époque, y compris d’anciens collaborateurs. Mais ils n’avaient aucune nouvelle de ce qu’il faisait. Parce que Scapula pensait, et il n’avait probablement pas tort, que beaucoup de gens voulaient sa mort, surtout à Marseille. Il était devenu paranoïaque. Parce que Scapula trahissait encore tous les gens avec qui il travaillait.

Il a subi une opération chirurgicale ?

Cela semble certain et je pense qu’il l’était avant sa fuite de Suisse en 2000 et le début de sa fuite. Parce que dans son interview à France 2 en 1998, il porte une cagoule, ce qui laisse penser qu’il avait déjà été opéré, car tout le monde connaissait son visage.

Pouvez-vous nous parler de son parcours en cavale ?

Il est revenu à Marseille l’année dernière. Avant cela, il avait voyagé à travers l’Europe et le monde. C’est tout à fait logique car c’est ce qu’il faisait déjà avant son arrestation. C’était son style de vie, et il avait aussi de l’argent caché à différents endroits et investi dans différents pays, ce qui explique pourquoi il a dû déménager pour récupérer les fonds.

Dans le Paris Match de ce jeudi, je donne un peu plus de détails : Il était notamment en Colombie, mais pas pour faire du trafic, m’a assuré un de ses rares amis. Il s’est aussi rendu en Espagne, où il avait investi dans des appartements qu’il a vendus, il a aussi vidé un compte au Luxembourg. Une rumeur dit qu’il travaillait à l’aéroport JFK de New York pour l’administration américaine en tant que physionomiste pour traquer les trafiquants.

Quelle est l’influence ou l’héritage des Français d’aujourd’hui dans la circulation ?

Le trafic d’héroïne n’existe presque plus et il existe des produits beaucoup plus faciles à importer et qui n’ont pas besoin d’être transformés comme l’héroïne. De plus, ce sont des gens qui ont entre 75 et 85 ans et qui ne sont plus actifs. Après, ils peuvent fréquenter d’anciens trafiquants et un peu la nouvelle génération, les Campanella, les Barresi.

Souvent, ce sont des liens en détention, et les vieux gars de chez nous ont eu leurs dernières condamnations il y a une dizaine d’années. Donc, je ne pense pas qu’il ait des contacts avec des narcos plus récents comme Meziani ou Djeha.

Peut-on l’imaginer prendre un café en terrasse à Endoume, là où il a grandi et débuté sa « carrière » ?

Scapula n’avait pas mis les pieds à Endoume depuis plus de quarante ans. Les gens qui l’ont connu à l’époque ont donc aujourd’hui au moins 60 ans. Et avec l’opération, il n’était plus vraiment reconnaissable. De ce que je sais, il ne ressemblait plus du tout à ses portraits des années 1980. Après, ce type était un joueur, il était toujours limite, flirtait avec le danger. Il s’échappait souvent. Et était assez respecté pour ça. Peut-être qu’il avait envie d’une dernière balade à Endoume, c’est possible mais je ne sais pas.

Pourquoi n’a-t-il pas été arrêté alors qu’il était en cavale ? Avec tous les moyens modernes, il est difficile de croire qu’il était très recherché.

En fait, il y a eu une lutte entre les magistrats d’Aix-en-Provence, qui l’avaient entendu pour la mort du juge Michel et qui avaient accepté de ne pas le poursuivre après ses révélations, et les magistrats parisiens qui voulaient le condamner – et l’ont condamné pour trafic à dix-huit et vingt ans. Mais je pense qu’il y a eu une sorte d’accord tacite, il fallait qu’il soit condamné en France pour son travail, mais qu’on le laisse tranquille.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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