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« Personne morale » de Justine Augier : un combat inégal

L’affaire a suscité un vif émoi dans la presse, notamment autour de la question de la responsabilité de l’État français. Entre 2011 et septembre 2014, le cimentier Lafarge, « une multinationale colossale et tentaculaire », aurait financé le terrorisme et la guerre pour poursuivre ses activités dans son usine de Jalabiya, en Syrie.

Justine Augier, dont le troisième livre porte sur la Syrie, a choisi un angle différent pour la retracer. En suivant le travail minutieux de plusieurs avocats employés par deux associations en France et en Allemagne, l’auteur remet au centre le sort des Syriens contraints d’aller chaque jour à l’usine, alors que des expatriés avaient été mis à l’abri.

Le travail des avocats rejoint celui de l’écrivain

À partir d’entretiens et de recherches rigoureuses, elle construit un récit étrangement captivant dans lequel s’affrontent deux visions du monde : d’un côté, des hommes puissants, obsédés par le profit et soutenus par les plus grands cabinets d’avocats parisiens ; de l’autre, des jeunes femmes dont la seule arme est leur foi dans le droit, un sujet austère qu’elles manient avec une étonnante créativité pour trouver les interstices où la justice peut s’épanouir. «Il leur faut traduire les faits en droit, passer par ce langage hermétique qui repousse et exclut, ce langage à la fois vague et précis, raide et ornementé, mystérieux, ponctué de mots latins.» elle a écrit.

C’est dans la manière de scruter la langue que le travail des avocats rejoint celui de l’écrivain, qui s’efface presque pour se mettre au service d’une cause juste. En faisant entendre la voix de ces jeunes femmes, qui se relaient collectivement pour faire avancer le dossier, elle rééquilibre par la littérature un rapport de force pourtant violemment inégalitaire.

Les justifications des dirigeants de Lafarge doivent être lues dans la continuité d’une longue histoire d’excuses, entachée par l’expansion durant la période coloniale et la collaboration durant la Seconde Guerre mondiale à la fourniture de ciment pour la construction des bunkers de la côte atlantique.

En octobre 2022, Lafarge avait accepté de payer l’équivalent de 716 millions d’euros aux États-Unis et de plaider coupable d’aide à des organisations terroristes, dont l’EI, afin d’éviter un procès. Celui-ci n’a toujours pas eu lieu, malgré la force des accusations. SJ

Personne moralede Justine Augier, Actes Sud, 288 pages, 22 euros

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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