Alain Finkielkraut reçoit des journalistes, écrivains et romanciers, Frédéric Beigbeder Et Thibault de Montaiguauteurs d’un roman sur leur père. Le premier publie Un homme seulla seconde le fait apparaître Cœuret tous deux évoquent leur tentative, par l’écriture, de capturer un père insaisissable, mystérieux, foncièrement égoïste et voluptueux, qui avait le goût des femmes et des voyages, et apparaissait dans « les coups de vent ». Hommage rendu au père disparu, comme un souhait de compréhension de la part du père, ce héros.
« Il n’y a pas de bon père, c’est la règle – écrit Sartre dans Les mots. Ne blâmons pas les hommes, mais plutôt les liens familiaux pourris. Avoir des enfants, rien de mieux, en avoir quelle iniquité ! À l’image popularisée par Freud d’Œdipe tuant son père, Sartre substitue celle des aînés qui portent leur Anchise sur le dos, et il évoque sans bienveillance ces géniteurs invisibles chevauchant leur fils pour la vie.
Depuis Sartre, le cataclysme du divorce parental est devenu un phénomène de masse. Et voici ça dans le roman de Frédéric Beigbeder, Un homme seul, et dans celui de Thibaut de Montaigu, Cœurune nouvelle figure apparaît, celle du père, non pas écrasante mais évanescente. Tous deux accompagnent la lente agonie de leur père et, affectueusement mais sans concession, ils redonnent vie chacun à la leur, explorant ainsi une complicité paradoxale.
« Il y a beaucoup de secrets, de mystères et de non-dits à son sujet »
Frédéric Beigbeder évoque la figure de son père dont il dit qu’il vient de passer un an et demi à tenter de répondre à cette question de savoir qui il était sans y avoir totalement réussi. « Il y a beaucoup de secrets, de mystères et de non-dits sur lui. Je peux vous dire que c’est un homme né en 1938 à Pau, qui a donc vécu la Seconde Guerre mondiale dans sa petite enfance, puis a été mis dans un internat très strict. pendant des années et est ensuite devenu, en fréquentant la Harvard Business School, aux Etats-Unis, l’un des inventeurs du métier de chasseur de têtes en France. Donc grand homme d’affaires français et aussi américain à sa mort, j’ai découvert aussi qu’il avait un autre Américain. identité, William Harbin Carthew, qui figurait sur ses trois passeports que j’ai découverts, il a donc pu avoir d’autres activités clandestines, y compris peut-être pour la CIA. »
« Mon père n’est pas forcément James Bond, car il n’avait le droit de tuer personne, mais il pouvait certainement renseigner les Américains sur l’industrie française »
« Je pense qu’on va en parler car Thibault de Montaigu, dans Cœur, émet aussi l’hypothèse que son père était peut-être lié à des activités d’espionnage. C’était très banal. Nous devons y faire face. il faut tenir compte du fait que dans les années 50, c’était la guerre froide, il y avait des espions partout, il y avait du KGB et de la CIA partout dans les pays occidentaux et dans les pays de l’Est aussi. affrontement entre espions, officiers gestionnaires, agents de renseignement. Ce n’est pas forcément James Bond, mon père, car il n’avait le droit de tuer personne, mais il pouvait certainement renseigner les Américains sur l’industrie française par exemple.« .
Frédéric Beigbeder parle du divorce de ses parents, revient sur le fait que le divorce s’est généralisé dans les années 60-70 et qu’au fond, les enfants de ces années-là étaient majoritairement des enfants de pères absents. « C’est bien de dire « évanescent », mais pour moi c’était plutôt absent, c’est à dire que je l’ai très peu vu. Donc les moments où je le voyais étaient des moments très concentrés, dans lesquels je prenais des notes dans des cahiers absolument pour immortaliser ces instants fugaces. Et James Bond, oui, est très important. J’ai eu beaucoup de plaisir à comparer mon père à James Bond car il y avait des similitudes. Beaucoup, par exemple, il avait la même voiture, une Aston Martin DB6, il avait la même montre, il avait un goût pour les jolies femmes, les voyages dans les mêmes pays, l’Asie du Sud-Est, l’Amérique latine, les endroits où l’Amérique luttait contre le communistes. J’essaye d’analyser ce que James Bond nous a laissé, puisque c’était le modèle de ces hommes« .
« C’était un homme d’affaires qui parcourait le monde, qui montait des stratagèmes, il nous disait qu’il allait toucher une commission de plusieurs zéros, et rien n’a jamais marché ! » (T. de Montaigu)
Thibault de Montaigu décrit un père et un personnage qui, selon lui, était très proche de celui décrit par Frédéric Beigbeder. « Celui que j’ai connu dans mon enfance, en fait, était aussi une sorte de Casanova, extrêmement chic et séduisant, un homme d’affaires qui parcourait le monde, qui organisait des cascades ; un enfant de la petite aristocratie provinciale sans le sou, mais qui était un séducteur flamboyant, un type qui avait 15 000 aventures, qui prenait aussi ses vols internationaux. C’était le début de l’aviation, il commença à travailler dans le pétrole. En tant qu’ingénieur, il a travaillé sur des plateformes pétrolières dans le golfe Persique, puis il s’est lancé seul et a tenté de monter des cascades improbables, des scaphandres révolutionnaires, des câbles téléphoniques transatlantiques ou je ne sais quoi. , prospection offshore. Il nous a dit qu’il allait toucher une commission de plusieurs zéros, et rien n’a jamais fonctionné ! « .
L’insoutenable légèreté du père
« Toute sa vie, il a vécu un peu de la générosité de ses amis, de sa famille, de ses nombreux amants, au point qu’il a fini complètement ruiné à la fin de sa vie. Et cet homme que je voyais comme absolument flamboyant, dans un Veste Prince de Galles, très british, parlant anglais avec un accent extrêmement poli, a fini sa vie dans un petit studio, dans une maison louée à lui, mon frère et moi. Il avait perdu la vue, il ne pouvait plus se déplacer et il. a continué à se comporter comme un grand seigneur. C’est ça qui est intéressant, et d’expliquer qu’il allait s’acheter de nouveaux vêtements alors qu’il ne voyait même plus les trous de son vieux pull en cachemire et qu’il ne pouvait même pas bouger sur la chaise à côté de son lit. » Thibault de Montaigu.
A lire
« Ce tombeau d’un père brillant et absent est aussi le portrait d’une génération de jouisseurs. Ces hommes célibataires qu’on appelle aujourd’hui les « boomers » ont forgé leur égoïsme pendant la Seconde Guerre mondiale. Le confort était leur idéologie, le luxe leur utopie, le divorce leur fatalité. , l’Amérique leur horizon Ils ne sont pas faits pour être des pères de famille.« Frédéric Beigbeder, Un homme seul (éd. Grasset)
« Je pensais écrire cette histoire pour mon père, alors que c’était le contraire : il m’avait donné cette histoire. Et chaque fois que j’ouvrirai ces pages, je le retrouverai comme si je tenais son cœur vivant entre mes mains. « . Thibault de Montaigu, Cœur (éd. Albin Michel).
Sources bibliographiques
Pour écouter
L’absence du père
Lectures du soir
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