Yann Monplaisir ne mâche pas ses mots au lendemain de la mobilisation de plusieurs de ses électeurs privés d’eau depuis plus d’une semaine. Pour le maire de Saint-Joseph, « ce n’est pas la France, ce n’est pas le gouvernement, c’est notre collectivité locale qui a échoué ».
La tension est à son comble dans tous les foyers, commerces et institutions soumis à des restrictions d’eau depuis le début de la grave sécheresse qui frappe actuellement la Martinique. Cette année encore, le débit des rivières de captage est au plus bas, d’où les restrictions draconiennes décidées par les acteurs de la gestion de la ressource, en lien avec l’État.
Par exemple, plusieurs écoles privées d’eau sont contraintes de fermer, tandis que les établissements de santé touchés par la pénurie peinent à assurer l’hygiène quotidienne de leurs patients. C’est notamment le cas à l’hôpital Saint-Joseph où le personnel est en mode « système D ». Les individus sont exaspérés, comme Gisèle, à cause des tours d’eau éphémères.
J’ai 75 ans, j’ai du mal, j’ai des pathologies, j’ai toutes les difficultés… ce n’est pas normal que les piscines se remplissent dans le sud et qu’à Saint Joseph où il y a des réserves d’eau, j’ai faire caca vite pour tirer la chasse d’eau, quand je me douche c’est tout aussi vite. Ensuite il faut vite brancher la machine à laver… Cela fait une semaine que je stresse.
Gisèle, une Joséphine du coin(au micro de Ronan Bonnec)
Après s’être mobilisé aux côtés de ses administrés lundi 13 mai 2024 sur le site de stockage de la ville (dans le quartier Rivière-Blanche) en compagnie de quelques membres de l’association écologique (Assaupama), le maire de la commune interroge et ne contient plus son critiques envers les responsables de la gestion de l’eau en Martinique.
Selon Yann Monplaisir, un arriéré de dette de 13 millions d’euros de la CTM (Collectivité Territoriale de Martinique) envers la SAUR – Société d’Aménagement Urbain et Rural (l’opérateur délégué du service public d’eau potable sur le territoire), en serait un. du nœud du problème, car « une répartition plus équitable ».
Je crois qu’il faut être transparent avec la population. Quand vous ne payez pas votre fournisseur, ce dernier a forcément des difficultés. De ce fait, la SAUR n’a pas réalisé les travaux de maintenance pour lesquels elle était contractuellement engagée. Cela remonte à 2023. De ce fait, le projet a été reporté pour être entrepris pendant la période du Carême (…). Ce n’est pas la France, ce n’est pas le gouvernement, c’est notre collectivité locale qui a échoué.
Yann Monplaisir, maire de Saint-Joseph
Suite aux deux rencontres consécutives, d’une part entre le président du conseil exécutif de la CTM (Serge Letchimy) et le président du Cap Nord (Bruno Nestor Azérot), et également entre d’autres acteurs politiques et agriculteurs, des décisions ont été prises.
En raison de travaux à réaliser sur un dessableur, l’usine Vivé de Lorrain «ne peut assurer que l’acheminement de 20 000 m3 d’eau potable par jour». Mais Serge Letchimy promet une amélioration des cadences de la principale unité de production de l’île.
Les travaux à réaliser sur le dessableur débuteront fin juin 2024, pour une durée d’un mois, afin d’augmenter les capacités de livraison à 24 000 m3 d’eau potable par jour, (et) le lancement des études techniques relatives à augmenter la capacité maximale de production de l’usine de Vivé à 35 000 m3 d’eau potable par jour, permettant ainsi d’améliorer la distribution de l’eau potable en Martinique.
Serge Letchimy, PCE de Martinique
Le président de la communauté d’agglomération Cap Nord a, pour sa part, annoncé « la recherche de solutions durables consistant à exploiter de nouvelles sources souterraines » en Lorrain et à Grand Rivière notamment.
Bruno Nestor Azérot précise cependant que« Malgré l’exploitation des capacités maximales de production de la source Morestin, la ressource disponible actuellement ne permet pas de répondre à tous les besoins des habitants du Nord de la Martinique. »
L’EPCI prévoit le renouvellement supplémentaire de 44 kilomètres de réseau entre 2024 et 2026. Les travaux de modernisation du réseau d’eau du Galion à la Trinité devraient également démarrer fin 2024.
De son côté, le préfet du territoire a annoncé ce mardi 14 mai 2024, à l’issue de la réunion de la veille avec les autres acteurs sur la situation, un arrêté imminent (prévu vendredi 17 mai). Les professionnels devront réduire leur consommation d’au moins 20 %.
La situation vécue par la Martinique est en effet exceptionnelle. Elle tend à retrouver celle qu’elle avait eu en 1973, année de référence en termes de sécheresse, de températures supérieures à la moyenne, de précipitations 70% inférieures à la moyenne des 30 dernières années au mois d’avril (…). Il fallait que nous allions au-delà des contingences territoriales, qu’en concertation avec les élus et les opérateurs de l’eau, nous puissions examiner les axes d’efforts sur lesquels nous travaillerons dans les prochains jours. Le décret consistera essentiellement à formaliser la solidarité territoriale qui doit être la nôtre, c’est-à-dire à appeler les acteurs économiques à optimiser la production d’eau d’une part et à mieux la répartir d’autre part.
Jean-Christophe Bouvier, préfet de Martinique(au micro de Marc-François Calmo et Ronan Bonnec)
Mais ces consultations en chaîne auraient dû avoir lieu bien avant les problèmes de sécheresse, regrettent les utilisateurs impactés, qui considèrent que « le problème est politique », Yann Monplaisir en premier.
Ils viennent nous expliquer que parce que nous nous sommes rencontrés hier soir (lundi 13 mai), nous aurons de l’eau parce que nous allons augmenter la productivité (…). Moi, je suis révolté de voir qu’on ne veut pas raccorder les réseaux, qu’on confie la politique de l’eau de la Martinique à une entreprise privée, alors que les élus ne parviennent pas à se réunir malgré tous les appels qui sont lancés par chacun, insistant sur le fait que les experts martiniquais sont mieux à même de gérer les affaires martiniquaises.
Nous prions pour qu’il y ait un jour une autorité unique pour la gestion de la ressource, mais cela ne changera fondamentalement rien, car si nous mettons à la tête de cette autorité notre ami politique, notre cousin ou notre créancier. politicien avec qui nous avons fait une transaction électorale, ça ne marchera pas.
Yann Montplaisir, 1er magistrat de Saint-Joseph
Quant à l’entreprise Odyssi qui se plaint d’être sous-alimentée dans ses 4 communes (Schoelcher, Fort-de-France, Lamentin et Saint-Jospeh), son président ne mâche pas ses mots non plus : « le préfet a accédé aux demandes du SME ».
Partout en Martinique, la performance du réseau est à améliorer, et pas seulement sur le territoire de la CACEM (Commuanuté d’Agglomération du Centre de Martinique), c’est un faux problème. Mais j’insiste pour partager l’eau de la rivière White. Le préfet souhaite limiter notre prélèvement de cette rivière à 21 000 m2. A ce niveau-là, on ne peut pas livrer le Lamentin et le Saint-Joseph. Alors si nous limitons notre consommation, nous sommes obligés d’acheter de l’eau que nous pouvons produire nous-mêmes. En d’autres termes, on nous dit de ne pas prendre plus d’eau ; acheter plutôt au niveau des PME pour leur permettre de générer du chiffre d’affaires. Je trouve ce portage complètement injuste et je ne suis pas le seul à le dire. Notons simplement que le préfet a accédé aux demandes de la PME.
Yvon Paquit, président du conseil d’administration d’Odyssi(interviewé par Eddylia Eugène-Mormin sur Martinique 1ère télé)
Pour rappel, la Société Martiniquaise des Eaux (SME) est le distributeur de 30 communes sur 34 que compte l’île.