Pedro Almodovar, Lion d’or consensuel avec The Room next door
La présidente du jury, Isabelle Huppert, a décerné le premier prix au cinéaste espagnol pour son premier long métrage en anglais.
Envoyé spécial à Venise
Cette fois, c’était la bonne. Pedro Almodovar, toujours privé de la récompense suprême dans les grands festivals internationaux, reçoit le Lion d’Or pour La chambre d’à côtéson premier long métrage en anglais. Isabelle Huppert, présidente d’un jury composé de nombreux cinéastes (James Gray, Kleber Mendoza Filho, Abderrahmane Sissakho, etc.), récompense ainsi le cinéaste espagnol de 74 ans, peut-être autant pour l’ensemble de son œuvre que pour un film sur le Lido très bien accueilli par la critique mais loin de ses meilleures réalisations. La chambre d’à côté ne suscite pas la même émotion que Douleur et gloire un film plus personnel lui aussi hanté par la mort.
La chambre d’à côté Tilda Swinton joue le rôle d’une journaliste de guerre atteinte d’un cancer en phase terminale qui s’est éloignée de sa fille pendant des années. Julianne Moore, une amie romancière perdue de vue depuis longtemps (Ingrid), renoue avec elle. Les larmes aux yeux, elles regardent de vieux films (Des mariées folles par Buster Keaton ou Les habitants de DublinDernier film de John Huston d’après James Joyce. Les deux femmes partent s’isoler à la campagne où Martha veut mourir dignement. La fin est un plaidoyer maladroit en faveur de l’euthanasie, Almodovar n’étant pas très à l’aise avec les questions de société. L’enfant terrible de la Movida est un cinéaste respectable et militant, désormais couvert d’or à Venise – la Palme devra attendre, à moins qu’il ne soit trop tard.
A lire aussiAu Festival du Film de Venise, beaucoup de paillettes, peu de grands films
Nous n’avons pas vu Vermigliode l’Italienne Maura Delpero, (Grand Prix du Jury), ni Avrilpar la Géorgienne Dea Kulumbegashvili, (Prix spécial du jury) ni Jouer avec le feude Delphine et Muriel Coulin, qui a valu à Vincent Lindon la Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine. Avec ce rôle d’un père dépassé par un fils attiré vers l’extrême droite, l’acteur ajoute un trophée à sa collection – il a été primé à Cannes en 2015 pour La loi du marchéde Stéphane Brizé. Huppert a choyé les acteurs français. Le jeune Paul Kircher a reçu le Prix de la Révélation pour son rôle d’adolescent dans Leurs enfants après euxl’adaptation du best-seller de Nicolas Mathieu, Prix Goncourt 2018, par les frères Ludovic et Zoran Boukherma. Paul Kircher est aussi impressionnant de naturel que dans Le règne animalle film qui l’a vraiment révélé, déjà l’histoire d’un adolescent en pleine transformation.
Nicole Kidman, meilleure interprète féminine
On ne pouvait pas le manquer Bébé fillede l’actrice néerlandaise Halina Reijn. Sa tête d’affiche, Nicole Kidman, repart avec la Coupe Volpi de la meilleure actrice. La star australo-américaine n’est donc pas humiliée pour rien dans le rôle d’une PDG inflexible, mère dévouée et épouse aimante mais frustrée sexuellement – ironie mordante, le mari est incarné par l’hidalgo Antonio Banderas. Sa liaison avec la nouvelle stagiaire lui permet d’assouvir des fantasmes doucement sadomasochistes (avaler un bonbon ou laper une assiette de lait à quatre pattes, ce genre de fantasme). Nicole Kidman, 57 ans, se laisse filmer nue et entend faire passer un message : une femme, en l’occurrence une femme puissante, a le droit de prendre du plaisir en se mettant à genoux devant un homme. Entre adultes consentants, tout est permis. Dans un contexte post-Metoo, et pour un public américain, c’est peut-être là le comble de la transgression. Bébé fille Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un vaudeville (Le PDG, le mari et la stagiaire) à la morale consensuelle.
A lire aussiCinéma : le réalisateur Pedro Almodovar s’entretient avec Madrid
Encore plus inoffensif, Je suis toujours làun mélodrame familial de Walter Salles sur la dictature militaire au Brésil, inspiré de faits réels (arrestation, torture et disparition d’un ancien député devenu ingénieur). Le jury a néanmoins trouvé le moyen de décerner à ce film larmoyant le prix du meilleur scénario. Il a été plus lucide en décernant le prix de la meilleure réalisation à Le brutalisteavec Adrien Brody. L’auteur de ce film épique (3h35, entracte compris), tourné en pellicule 70 mm, l’Américain Brady Corbet, 36 ans et avec une carrière d’acteur aux Etats-Unis et en Europe, n’a peur de rien. Il imagine Laszlo Toth, un architecte juif hongrois, figure du Bauhaus, rescapé des camps, qui émigre aux Etats-Unis en 1947 – sa femme est restée en Europe. Lorsqu’un homme d’affaires de Pennsylvanie (Guy Pearce) lui commande la construction d’un institut en mémoire de sa mère, Toth reprend foi en lui-même et en son architecture moderniste.
Le brutaliste pourrait être la suite du Pianiste, Palme d’or de Polanski avec Brody en musicien traqué par les nazis. Virtuose du béton, Toth est autant victime d’une Amérique WASP xénophobe et antisémite que de ses propres démons. Corbet est parfois au bord d’une fresque cracheuse de feu sans jamais y tomber. Plus intimiste que monumental, Le brutaliste offre une vision sombre du rêve américain. Parmi les 21 films d’une compétition riche en stars hollywoodiennes mais pauvre en vraies bonnes surprises, Le brutaliste s’est distingué par son ambition et son originalité. Il aurait pu prétendre à mieux.
hd1