Un resserrement de vis. L’Allemagne a annoncé lundi 9 septembre qu’elle généraliserait les contrôles de police à toutes ses frontières pendant six mois, à compter du 16 septembre. Berlin estime que ces mesures sont nécessaires pour « protéger la sécurité intérieure contre les menaces actuelles du terrorisme islamiste et de la criminalité transfrontalière ». Franceinfo revient sur ce sujetCette décision n’est pas sans provoquer des tensions dans d’autres pays frontaliers et auprès des autorités européennes..
Tous les pays voisins sont concernés, y compris la France
Les contrôles avec la France, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Belgique et le Danemark seront rétablis pour six mois à compter du 16 septembre. Ils s’ajoutent au dispositif déjà en place aux frontières avec la Pologne, la République tchèque, l’Autriche et la Suisse.Ce sont des commandes intelligentesexplique à la Monde Le député Nils Schmid (SPD). ONous n’allons pas arrêter toutes les voitures, ni fermer les frontières comme à l’époque du Covid. La police aux frontières surveillera les passages avec plus d’attention. »
A la frontière franco-allemande à Kehl, près de Strasbourg (Bas-Rhin), la présence policière était déjà visible mardi sur le pont de l’Europe, avec des contrôles à la descente du tram côté allemand. Les réactions sont contrastées, entre incompréhension, agacement et approbation des riverains, comme France Télévisions a pu le constater sur place.
Si les Alsaciens et Mosellans connaissent déjà ces contrôles renforcés, mesure appliquée pendant la période Covid, ou plus récemment lors de l’Euro 2024 de football ou des Jeux olympiques de Paris. Quelque 50.000 travailleurs transfrontaliers sont potentiellement concernés.
« Kehl c’est une banlieue de Strasbourg, comme Strasbourg est une banlieue de Kehl, on est frères, on est voisins, ils sont nos cousins, c’est un peu n’importe quoi » commente un passant à France 3 Grand-Est. « Nous sommes dans une société de contrôle qui devient complètement folle. Je ne peux que constater la désintégration des libertés individuelles. Ici, la frontière a disparu. Les contrôles sont une absurdité. »ajoute un autre marcheur.
Cette mesure temporaire est prévue par le droit européen
Ces contrôles aux frontières intérieures des États membres de l’Union européenne (UE) dérogent aux règles de libre circulation dans l’espace Schengen et sont en principe interdits au sein de l’UE. Une révision du code Schengen en mai permet toutefois de les mettre en place pour une durée de six mois en cas de menace pour la sécurité intérieure, à condition de prévenir Bruxelles. Le ministère allemand de l’Intérieur a d’ailleurs précisé avoir notifié ces nouveaux contrôles aux autorités de l’UE.
Les contrôles doivent être « exceptionnel », « nécessaire et proportionné »a rappelé une porte-parole de la Commission à Bruxelles, selon des propos rapportés par l’AFP. Elle a insisté sur le « principe de proportionnalité » et mentionné possible « mesures alternatives » comme « patrouilles conjointes » entre les États européens.
Un contexte de forte menace terroriste et de montée de l’extrême droite
Cette annonce intervient deux semaines après l’attentat de Solingen revendiqué par le groupe État islamique, qui a fait trois morts et huit blessés lors de festivités locales. L’enquête a révélé que l’homme accusé d’en être l’auteur, un Syrien arrivé en Allemagne fin 2022, faisait l’objet d’une mesure d’expulsion vers la Bulgarie, où son arrivée avait été enregistrée. Lorsque les autorités allemandes avaient voulu l’expulser, il avait disparu. Début septembre, une tentative d’attentat avait également visé le consulat général d’Israël à Munich. Le principal suspect est un Autrichien de 18 ans, soupçonné de radicalisation islamiste.
A cette forte menace terroriste s’ajoute la forte montée en puissance du parti d’extrême droite AFD, qui a obtenu des résultats historiques lors de deux élections régionales début septembre. Un nouveau mouvement de gauche xénophobe, l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW), qui réclame un contrôle plus strict des flux migratoires, a également réalisé une percée spectaculaire lors de ces élections. Les deux partis pourraient réaliser un nouveau score significatif le 22 septembre, lors des élections dans le Brandebourg, la région autour de Berlin.
Berlin a pris d’autres mesures pour limiter l’immigration
Sous pression, le gouvernement d’Olaf Scholz a annoncé le retrait des aides aux demandeurs d’asile entrés dans un autre État de l’Union européenne avant de se rendre en Allemagne. Berlin veut aussi accélérer l’expulsion des réfugiés ayant fait l’objet d’une condamnation pénale. Fin août, l’Allemagne a renvoyé dans leur pays 28 Afghans condamnés pour des crimes, une première depuis le retour au pouvoir des talibans en août 2021.
« Nous continuons à appliquer notre ligne dure contre l’immigration irrégulière »La ministre de l’Intérieur Nancy Faeser l’a déclaré lundi, en évoquant la généralisation des contrôles aux frontières. Il y a un an, le pays avait déjà renforcé son dispositif dans un contexte de forte hausse du nombre de demandes d’asile. La chancelière sociale-démocrate s’est vantée dimanche d’avoir « a réalisé le plus grand changement des dix ou vingt dernières années dans la gestion de l’immigration »revendiquant ce durcissement après la politique d’accueil incarnée par l’ancienne dirigeante conservatrice Angela Merkel.
Lors de la crise migratoire de 2015-2016, la première économie européenne a accueilli plus d’un million de réfugiés, dont de nombreux Syriens fuyant la guerre et la répression du régime de Bachar al-Assad. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, l’Allemagne a accueilli environ un million d’exilés ukrainiens. Mais cet accueil de réfugiés met à rude épreuve de nombreuses communautés. Berlin a invoqué lundi « les capacités limitées des communes en matière d’hébergement, d’éducation et d’intégration ».
Cette nouvelle politique migratoire irrite les voisins de l’Allemagne
Cette mesure met à rude épreuve les relations entre l’Allemagne et certains de ses voisins, d’autant que le gouvernement a également annoncé lundi vouloir refouler davantage de migrants aux frontières allemandes. Cette mesure controversée consiste à renvoyer les demandeurs d’asile dans le pays de l’UE par lequel ils sont arrivés, sans leur permettre de déposer leur demande en Allemagne. L’Autriche a déjà prévenu qu’elle ne ferait pas de demande d’asile en Allemagne. « Je n’accepterais pas que les gens soient refoulés d’Allemagne »selon le ministre de l’Intérieur Gerhard Karner, dans le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Le Premier ministre polonais Donald Tusk a pour sa part décrit mardi comme« inacceptable » ces contrôles, qui avaient déjà été mis en place pour la Pologne il y a un an. Dénoncer une « suspension à grande échelle » libre circulation dans l’espace Schengen, il a annoncé dans un discours télévisé qu’il demanderait une consultation urgente avec le « d’autres pays concernés par ces décisions » en vue d’une « réaction au sein de l’Union européenne à ce sujet ».
Face à ces critiques, le gouvernement allemand s’est défendu mardi de faire cavalier seul au sein de l’UE en matière de politique d’immigration. « Il ne s’agit pas d’initiatives nationales isolées qui pourraient nuire à l’Union européenne »a assuré le ministre de l’Intérieur.