Pavel Durov, le patron de Telegram, de Matrix aux prisons françaises

La presse le qualifie souvent de Mark Zuckerberg russe. Mais Pavel Durov apparaît en réalité bien plus comparable à Elon Musk, le patron de Twitter, qu’à celui de Meta (Facebook, Instagram, etc.). D’ailleurs, son arrestation, il y a une semaine à peine à sa descente de jet à l’aéroport du Bourget, puis son inculpation mercredi soir semblent être un dernier recours : à défaut du gros poisson, c’est le patron de Telegram qui se retrouve pris dans les filets de la justice. Elon Musk s’en doute et l’a assuré de son soutien total.

Pour la première fois, un patron de réseau social doit répondre des contenus publiés sur sa plateforme, ce que prévoit le droit européen. La justice française accuse ainsi le milliardaire russe (fortune estimée entre 10 et 15 milliards d’euros) d’avoir laissé proliférer sur Telegram toute une série d’activités criminelles : échanges de contenus pédopornographiques, organisation de trafic de drogue et d’escroqueries en bande organisée, etc.

Il est ainsi inculpé pour une dizaine d’infractions qui pourraient tout aussi bien concerner Instagram, WhatsApp, Twitter que Snapchat… Mais ce qui est surtout reproché à Pavel Durov, c’est d’être encore plus réticent que ses concurrents à communiquer aux autorités le contenu des échanges qui ont lieu sur Telegram et de refuser toute politique de modération. Interdit de quitter le territoire français, il risque quinze ans de prison.

La plateforme, qui compte près d’un milliard d’utilisateurs, est à la fois un service de messagerie cryptée et une forme de réseau social qui permet de créer des chaînes publiques comme des groupes de discussion comptant jusqu’à 200 000 membres, accessibles après autorisation et modérés par ses créateurs. De nombreux partis politiques y sont organisés, comme la Macronie depuis ses débuts, mais aussi la quasi-totalité des groupes d’extrême droite et une partie des jihadistes. Les échanges ne sont pas cryptés et sont stockés sur des serveurs loués par Telegram. Depuis plusieurs années, une cryptomonnaie y est également liée.

« Étranger distingué »

Lorsqu’il s’agissait de refuser de livrer au Kremlin le contenu des discussions entre les opposants russes à Poutine, Navalny et ses partisans notamment, Pavel Dourov était vu comme un héros de la liberté d’expression. Ce qui lui a notamment permis d’obtenir, en 2021, la nationalité française via la procédure de « l’étranger émérite », poussée par Emmanuel Macron qui y voyait un moyen de promouvoir sa start-up nation. « Je l’ai fait pour M. Durov, qui a aussi pris la peine d’apprendre le français, comme je l’ai fait pour Evan Spiegel (le patron de Snapchat – NDLR). C’est une très bonne chose. Et je continuerai à le faire… » a affirmé la semaine dernière le président, qui a rencontré le patron de Telegram à plusieurs reprises depuis 2018.

Ce dernier était déjà pour le moins controversé. Fasciné par MatriceIl fait tout ce qu’il peut – vêtements, musculation, coupe de cheveux… – pour ressembler au personnage principal, Néo. Au grand désespoir de ses créateurs, la saga de science-fiction est devenue une référence incontournable pour une extrême droite complotiste, persuadée d’avoir pris la pilule rouge, celle qui permet de voir la réalité potentiellement dérangeante, tandis que la pilule bleue est choisie par ceux qui préfèrent rester ignorants.

Depuis le collège, Pavel Durov se considère comme « l’élu ». Celui qui se fait appeler « l’Architecte » ou le « Modérateur suprême » avoue sa fascination pour les grands orateurs (il cite Mussolini) et s’imagine manipuler les foules. Tout comme Elon Musk, Pavel Durov est persuadé d’être un génie et une bénédiction pour l’humanité. Le milliardaire russe réfléchit à rendre son ADN disponible en Open Source (accès libre). Et s’il n’a pas (encore ?) autant d’enfants que son aîné (5 pour Durov, contre 12 pour Musk), le patron de Telegram donne son sperme dans le monde entier. « Un devoir civique »Selon celui qui se vante d’avoir déjà plus de 100 enfants biologiques, le lourd contrôle judiciaire auquel il est désormais soumis, avec interdiction de quitter le territoire, va-t-il le ramener sur terre ?