Après six ans d’absence, l’ancien Beatles a donné le premier de ses deux concerts à la Paris La Défense Arena devant 35 000 personnes émerveillées. Nous y étions.
Cet homme est l’élégance incarnée. Alors que les spectateurs peinent à se rendre à La Paris La Défense Arena ce mercredi 4 décembre, Paul McCartney décide d’attendre les retardataires. Le début du spectacle, prévu à 20h15, attendra donc 25 minutes de plus. Mais à 20h40, alors que le gouvernement Barnier venait de tomber, les lumières de la salle s’éteignirent et Sir Paul entra le premier sur scène, sa basse Höfner à la main. L’octogénaire – il a eu 82 ans en juin dernier – porte une chemise blanche, un costume bleu et semble plus concentré que jamais. « One two three four » est destiné à lancer « Can’t buy me love », l’un des premiers tubes des Beatles. On est surpris par le filet de voix à peine audible avant de comprendre de « Junior’s Farm » que le problème venait plus de la technique que du chanteur. Pas question d’empiler les hits au départ, mais plutôt une plongée dans toutes les facettes de l’art de McCartney.
On écoute avec plaisir la complexité des compositions de l’ère Wings, « Letting Go », « let Me Roll it » ou encore « Let’Em In » ne sont pas que des chansons pop. Non, ce sont des mini-symphonies qui sortent du couplet/refrain classique pour aller à la recherche d’autres mondes. Et quand un single des Beatles arrive, Paris rugit. Ici un « Drive my car » poussif, là un « Got to Get You into my life » renforcé par des cuivres surgissant dans les tribunes. Et puis ce « Getting Better » jamais joué en public par les Beatles ce qui sonne comme une rareté dans le set de McCartney.
Faits saillants obligatoires
Car, c’est le seul défaut notable du concert, les adeptes du bassiste commencent à connaître son show sur le bout des doigts. Depuis 22 ans, Sir Paul réalise sensiblement le même spectacle avec ces moments forts imposés, sortant rarement du cadre. Il y a d’abord ce pont qui prend son envol sur « Blackbird » qu’il interprète seul à la guitare sèche. Un instant suspendu, hors du temps, qui tient Paris en haleine. « Here Today », son hommage « à mon ami John » ou sa version ukulélé de « Something » chanté « pour mon frère Georges » sont d’autres favoris réguliers. Et comme Paul se produit à Paris, il doit – selon lui – chanter « Michelle », la plus douce ballade des Beatles, avec quelques mots en français. Mais la plupart du public adore ces passages obligés et l’émotion qui s’en dégage. Quand Paul et ses quatre musiciens se retrouvent sur scène en formation acoustique c’est encore une fois pour mieux toucher le cœur. Avec ce « I’je Just Seen a Face » tiré de l’album « Help » ou encore ce « Love Me Do » « parce que c’est notre première chanson enregistrée au studio Abbey Road ». McCartney parle dans un français délicieux le nez sur ses aide-mémoire « oh mon dieu c’est complexe » il s’interroge sur le mot « enregistré ».
Petite nouveauté de cette tournée « Got Back » débutée en Amérique du Sud à l’automne « Now and then », la chanson inédite des Beatles sortie l’année dernière, sauvée des tiroirs de John Lennon grâce à l’Intelligence Artificielle. McCartney le chante seul mais devant des images des Fab Four réunis, surfant allègrement entre nostalgie et rétrofuturisme. Qui aurait cru que 44 ans après la mort de John Lennon, Paul McCartney interpréterait une chanson inédite de son ancien complice ?
McCartney va assommer Paris
Mais on a à peine le temps de se demander quand il sera prêt à lancer l’assaut final dans le troisième et fabuleux volet du show. En dix chansons, McCartney va assommer Paris. Avec « Lady Madonna » pour commencer, qu’il chante derrière un piano en sautant. Puis « Jet » – l’un des morceaux les plus rock des Wings – ou encore « Being for The Benefit Of Mister Kite » – prouvant que les Beatles ont inventé le rock psychédélique. Il s’amuse avec « Ob-La Di, Ob-La Da » à faire chanter la foule avant de remettre les pendules à l’heure sur un simple « Band on the Run », tenant la basse et laissant ses guitaristes passer de l’électrique à l’acoustique. Sur « Get Back », il nous emmène sur le toit d’Apple, en janvier 69, lorsque les Beatles donnaient un dernier concert impromptu. McCartney ne laisse pas les chansons s’éterniser. Pas avec son groupe, ils jouent sec et bref, sans solos inutiles. Même « Let It Be » pour lequel il s’assoit au piano n’est pas joué avec l’accent du passé.
McCartney n’a plus rien à prouver, plus de discours à faire pour présenter son œuvre, car elle est si immense, si impressionnante qu’elle écrase tout le reste. Alors oui il faut quelques explosions sur « Live and Let Die » mais ce n’est rien comparé à la marée humaine qui chante « Hey Jude » à tue-tête. Être dépositaire d’une telle mémoire collective ne doit pas être simple pour le gaucher le plus célèbre de l’histoire du rock. Mais il accomplit sa tâche – sa mission ? – avec une sincérité émouvante.
Il a tout simplement inventé la musique pop contemporaine
Au rappel, il interpelle Paris : « vous comprendrez pourquoi la prochaine chanson me tient à cœur » explique-t-il pour lancer « I’ve got a feeling ». Car au bout de 2 minutes John Lennon apparaît chanter en duo avec lui, comme si le temps s’était arrêté en janvier 1969. McCartney nous y raconte qu’il aurait aimé que son histoire soit écrite différemment. Que les contrariétés de la fin des années 1960 auraient inévitablement conduit à des retrouvailles. Et que pendant tout ce temps il n’a cherché que l’âme de son sparring-partner, tué par les balles d’un fou en décembre 1980. Certes il a écrit de très beaux albums sans lui, mais ne demande-t-il pas encore son accord, son look ou simplement son avis ?
Puis McCartney sombre dans la folie le temps d’un « Helter Skelter » dévastateur. Avant de reprendre ses esprits et de conclure en beauté avec le magistral triptyque « Golden Slumbers », « Carry That Weight », « The End ». Pendant 150 minutes, Paul McCartney a rappelé qu’il avait tout simplement inventé la musique pop contemporaine. Sans manichéisme, sans poings levés, sans drapeaux. Mais avec une passion intacte, qui force le respect éternel.
Setlist du 4 décembre, Paris, La Paris La Défense Arena
1/ Je ne peux pas m’acheter l’amour
2/ La Ferme des Juniors
3/ Lâcher prise
4/ Conduire ma voiture
5/ Je dois te faire entrer dans ma vie
6/ Viens à moi
7/ Laisse-moi le rouler
8/ S’améliorer
9/ Laissez-les entrer
10/ Ma Valentine
11 / 1985
12/ Peut-être que je suis étonné
13/ Je viens de voir un visage
14 / Malgré tous les dangers
15/ Aime-moi, fais-moi
16/ Michelle
17/ Danse ce soir
18 / Merle
19 / Ici aujourd’hui
20 / De temps en temps
21 / Dame Madone
22 / Jet
23/ Etre au bénéfice de Monsieur Kite
24/ Quelque chose
25 / Ob-la-di Ob-la-da
26 / Groupe en fuite
27 / Revenir
28 / Qu’il en soit ainsi
29 / Vivre et laisser mourir
30/ Salut Jude
31 / J’ai un sentiment
32 / Sergeant Pepper’s Lonely Hearts Club Band (reprise)
33 / Helter Skelter
34 / Sommeil doré
35 / Porter ce poids
36 / La Fin