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Patrick Pouyanné risque-t-il de perdre son poste de PDG de TotalEnergies ?

TotalEnergies les qualifie d’actionnaires « activistes », mais si vous les imaginez ressembler à des militants de Greenpeace ou à Camille Etienne, ce n’est pas le cas. Il s’agit d’investisseurs en règle: Ethos qui représente les fonds de pension en Suisse ou encore des fonds comme Achmea IM et Candriam, qui demandent la dissociation des fonctions de président du conseil d’administration (P) et de directeur général (DG).

Deux fonctions concentrées entre les mains de Patrick Pouyanné depuis 2015, qui est déterminé à les conserver pour un quatrième mandat à la tête de la 5e compagnie pétrolière mondiale et de la 4e cotation au CAC 40.

1- Quel est le problème du poste de PDG de Patrick Pouyanné ?

La question est celle du cumul des pouvoirs. Patrick Pouyanné (et il n’est pas le seul – voir question 3) est à la fois patron opérationnel de TotalEnergies, directeur général, et président du conseil d’administration de la société, organe qui réunit les représentants des actionnaires.

Pour la frange des actionnaires qui luttent pour une dissociation des deux fonctions, cette « la concentration des pouvoirs entre les mains d’une seule et même personne présente un risque intrinsèque de conflits d’intérêts, dans la mesure où le rôle du conseil d’administration est de veiller à ce que la direction générale de la société soit exercée conformément à l’intérêt » des actionnaires et de toutes les parties prenantes », ont-ils annoncé le 18 avril en déposant leur résolution. Bref, fusionner le P et le CEO en une seule fonction ne serait pas la marque d’une bonne gouvernance d’entreprise.

2- Que proposent les actionnaires « activistes » ?

Une vingtaine d’actionnaires réunis sous l’appellation « Forum pour l’investissement responsable » ont proposé, en amont de l’assemblée générale des actionnaires, une résolution visant à dissocier les deux fonctions. Proposition rejetée par le conseil d’administration au motif qu’il appartenait à lui seul de décider de la dissociation des deux fonctions, et non à l’ensemble des actionnaires réunis en assemblée générale.

Face à ce camouflet, les actionnaires défaits ont rapidement trouvé un nouveau cheval à monter. 2024 marque la fin du mandat (trois ans) de Patrick Pouyanné au conseil d’administration. L’Assemblée Générale du 24 mai sera donc le lieu de voter son renouvellement ou son éviction au sein de cette instance. Une éviction qui signifierait de facto une séparation des pouvoirs.

3- Mais concrètement, toutes les entreprises ont-elles un poste de PDG unifié ?

Au sein de l’indice CAC 40, environ 60 % des entreprises ont un directeur général qui n’occupe pas la fonction de président du conseil d’administration, une quinzaine de mois depuis 2016. En Allemagne et au Royaume-Uni, l’écrasante majorité des grandes entreprises ont opté pour des fonctions distinctes. Aux États-Unis, l’accumulation est plus répandue, bien qu’en déclin : 44 % des entreprises du S&P 500 ont un PDG, soit 13 points de moins qu’il y a dix ans.

4- Pourquoi le cumul de ces fonctions n’est-il plus à la mode ?

Nous avons posé la question à Philippe Pelé-Clamour, professeur assistant à HEC Paris, spécialiste des questions de gouvernance d’entreprise. « Avec la dissociation, la position du président du conseil d’administration est plus claire. Il assure une meilleure réflexion des membres du conseil d’administration sur les enjeux stratégiques de l’entreprise. Le conseil d’administration peut ainsi exercer son rôle de contre-pouvoir – bienveillant – à la direction générale. »

5- Alors pourquoi Total et son conseil d’administration souhaitent-ils le poste de PDG ?

En réponse à la mobilisation des investisseurs « activistes », TotalEnergies a publié un communiqué pour inciter les actionnaires à voter pour Patrick Pouyanné : « Vous êtes des témoins privilégiés de la performance de l’entreprise, qui se traduit notamment par un cours de bourse qui a doublé depuis 2020 et un dividende qui a augmenté de 30 % depuis 2015. »

Et la compagnie pétrolière explique sa position en faveur du poste unifié de PDG : « Ce mode d’exercice du management est jugé le plus adapté pour faire face aux enjeux et aux spécificités du secteur de l’énergie, confronté à des transformations majeures. Ce contexte nécessite une agilité de mouvement que l’unité de commandement renforce, en donnant au président-directeur général une force d’action et une représentativité accrue de l’entreprise dans ses négociations stratégiques avec les Etats et partenaires de l’entreprise. »

« Une représentativité accrue dans ses négociations avec les États. » Philippe Pelé-Clamour décrypte pour nous cette phrase : « Lorsqu’un chef de l’Etat reçoit le PDG de TotalEnergies, il se trouve actuellement face à quelqu’un de très puissant car il concentre tous les pouvoirs. S’il n’était que PDG et devait donc rendre compte à son conseil d’administration, il aurait en réalité moins de poids. » En d’autres termes, l’accumulation est une garantie de pouvoir dans les négociations extérieures.

Par ailleurs, l’expert précise qu’au-delà de deux périodes qui ont servi de transition entre deux patrons, Total a toujours attribué la double fonction à ses patrons. De plus, selon lui, « TotalEnergies s’est toujours comparé aux grandes majors pétrolières américaines, qui ont quasiment toutes adopté la fonction unifiée de CEO (CEO + président) ». Patrick Pouyanné veut montrer qu’à Total, il détient le pouvoir, comme les patrons des majors.

A noter qu’à part les Américains, tous les autres géants pétroliers ont des fonctions séparées, que ce soit BP, Shell, Equinor ou encore Aramco.

6- Que changerait une séparation des fonctions dans la stratégie de TotalEnergies ?

Selon les actionnaires « militants », une dissociation permettrait au conseil d’administration de remettre davantage en cause la direction générale, notamment la stratégie climat de TotalEnergies qu’ils jugent « insuffisante ». Dans un document rendu public, ils écrivent : « La séparation des rôles pourrait améliorer le dialogue avec le conseil d’administration sur les enjeux climatiques et de transition. »

Est-ce que cela pourrait vraiment être le cas ? Le professeur d’HEC en doute. « Les présidents de conseils d’administration, même dissociés du rôle de directeur général, sont souvent issus de cette industrie, et par conséquent, ils sont en principe assez éloignés des positions de militants. »

7- A terme, y a-t-il une chance que Patrick Pouyanné perde son poste de PDG ?

A priori pas grand chose. Les militants qui militent pour une dissociation (et qui s’opposeront au renouvellement du mandat de Patrick Pouyanné au conseil d’administration) représentent 0,9% des actionnaires de TotalEnergies.

Oui, mais il y a un « mais ». La résolution pourrait être votée par un actionnariat dépassant le cercle des signataires. Les 13,6% d’actionnaires individuels pourraient par exemple vouloir plaider pour une politique climatique plus ambitieuse. Tout comme certains salariés de l’entreprise qui représentent 7,4% des actionnaires.

23%

En 2021, 23 % des actionnaires s’opposaient au renouvellement de Patrick Pouyanné au poste de PDG.

Preuve que la menace est prise au sérieux, un communiqué a été diffusé par l’entreprise, en amont de l’assemblée générale annuelle, dans lequel il est écrit : « TotalEnergies est confronté à une campagne menée par certains militants qui appellent notamment à voter contre le renouvellement du PDG. (…) C’est pour cela qu’il est important que vous votiez. » Une campagne publicitaire est actuellement financée par l’entreprise pour les inciter à voter.

PDG banques privées

Les banques, suite aux accords de Bâle, sont tenues de distinguer entre les fonctions de président du conseil d’administration et celle de directeur général. Il a été considéré que c’était un devoir de bonne gouvernance pour des établissements aussi grands que les banques que les pouvoirs opérationnels et de surveillance ne soient pas concentrés entre les mains d’une seule personne.

Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.
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