Patients psychiatriques à la rue, enfants sans abri… Nantes face au regain de marginalité
Un gymnase municipal était occupé ce jeudi par une cinquantaine de sans-abri, dont la moitié étaient mineurs, une semaine exactement après l’inauguration par le maire socialiste d’une stèle « refusant la pauvreté ».
Le Figaro Nantes
La scène surréaliste est restée gravée dans sa mémoire. Elle a eu lieu récemment, au centre de Nantes, au passage à niveau du tramway. « C’était une femme accroupie dans la rue, au milieu d’une foule qui l’ignorait. Je me suis approché d’elle. Elle s’est tournée vers moi et m’a demandé si j’étais médecin, car – je cite ses paroles – elle était en train d’accoucher de sa fille de quarante ans. Il a fallu deux heures et demie aux secours pour la transporter vers un établissement psychiatrique. Dominique Guilmaud fait une pause. Outre ses 10 années d’engagement aux côtés des plus démunis, le bénévole retraité, membre du collectif nantais pour le refus de la pauvreté et d’ATD Quart Monde, a vu son lot de scènes déchirantes de sans-abri, livrés à eux-mêmes. Mais jamais plus que ces dernières années.
En augmentation à l’échelle nationale en France depuis le milieu des années 2000, selon les données de l’Observatoire des inégalités, la pauvreté n’a pas épargné la ville de Nantes. A cette occasion, la maire socialiste de la cité des ducs, Johanna Rolland, a inauguré square Mercoeur, le 17 octobre, une stèle « pour le refus de la pauvreté », reproduction de la plaque commémorative du même nom installée à Paris, place du Trocadéro. Une manière pour l’édile de renouveler son engagement dans la lutte contre la précarité, tout en restant discret sur les chiffres nantais, et en confiant à l’association d’insertion professionnelle ATAO le soin de créer le monument. « Cela a été une expérience fabuleuse pour les personnes marginalisées qui ont contribué àrapporte Dominique Guilmaud, qui a soutenu le projet. Cette stèle a beaucoup de signification pour les personnes concernées, c’est un symbole fort, une reconnaissance de leur souffrance dans l’espace public.
Bagarres et tensions
Derrière le vernis des cérémonies officielles, la situation devient sensiblement tendue à Nantes. A la Maison de la Tranquillité Publique, ce regain se traduit notamment par une augmentation du nombre d’interventions de la police municipale sur des dossiers impliquant des personnes en situation précaire ou à la rue. Jusqu’alors concentrée au centre-ville, la marginalité se développe désormais le long des grands boulevards qui traversent la ville. « Nous sommes de plus en plus appelés à intervenir auprès d’une population qui se trouve dans un dénuement total, avec des bagarres impliquant parfois des chiens, et des cas de personnes urinant dans la rue, gênant les passants, la circulation et les gens. magasins »rapporte Céline Peremarty, déléguée Force ouvrière de la police municipale de Nantes. Une augmentation significative du nombre de personnes marginalisées a été observée durant l’été, au moment des Jeux Olympiques. « Nous avons vu apparaître une vague de personnes que nous n’avions jamais vue auparavant. Et ils ne sont pas partis. » ajoute-t-elle.
Il existe à Nantes de nombreux espaces inoccupés depuis des années et qui pourraient être réquisitionnés
Dominique Guilmaud, collectif nantais pour le refus de la pauvreté
Une proportion importante de personnes marginalisées restent cependant pleinement intégrées socialement. « Ils n’arrivent tout simplement pas à trouver un logement à un prix décent. Une situation d’autant plus déplorable qu’il existe à Nantes de nombreux espaces inoccupés depuis des années et qui pourraient être réquisitionnés »indique Dominique Guilmaud, évoquant le cas d’étudiants contraints de dormir dans leur voiture, ou d’individus faisant leur nid dans un box sans électricité, dans une cave. La ville de Nantes ne reste pas inactive face à cette problématique et rappelle avoir augmenté, à la rentrée, ses aides financières en faveur des plus vulnérables, à savoir les jeunes, les familles monoparentales et les seniors. Des centres de jour ont été créés par la communauté, qui finance également plus de 1 600 places d’hébergement.
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Malgré cela, une cinquantaine de sans-abri, dont une moitié d’enfants, ont pris possession, ce jeudi 24 octobre, du gymnase municipal Emile Morice, sur l’île de Nantes. La faute en revient aux services d’hébergement qui sont désormais débordés face à la demande, malgré la scolarisation de certains mineurs du groupe qui occupe désormais l’établissement. « Comment accepter que des enfants dorment dans la rue en France ? Il est intolérable de les laisser vivre dans un environnement hostile, incertain et traumatisant. Un toit est un droit fondamental pour chacun”a réagi jeudi après-midi Marie Vitoux, co-présidente du groupe écologiste au conseil municipal de Nantes, non sans imputer cette situation à la politique d’Emmanuel Macron.
Enfin, les acteurs sociaux nantais s’inquiètent également de l’augmentation du nombre de personnes en détresse psychiatrique parmi les pauvres et les sans-abri. Un constat partagé par la police nationale, qui confirme avoir rencontré davantage « des personnes désorientées, même dans un état catatonique »tombant parfois dans les filets des trafiquants de drogue ou de médicaments. Une situation qui serait liée aux difficultés des services psychiatriques du département. « La rue rend malade ; c’est dur, très dur. Et quand on jette dans cette jungle des individus qui ont arrêté les traitements, cela peut devenir dangereux. Pour eux-mêmes et pour les autres, ajoute Dominique Guilmaud. Une réalité crépusculaire, dans laquelle la stèle « du refus de la pauvreté » nouvellement inaugurée brille d’une lueur légèrement pâle.