Telle une lettre par la poste, le gouvernement a lancé, mardi 2 avril, la campagne désormais bien rodée sur les chèques énergie. Cette aide versée sous conditions de ressources aux ménages modestes permet de payer une partie des factures d’électricité, de gaz ou d’un autre type de chauffage (ainsi que certains travaux de rénovation). Petite nouveauté en 2024 : cette aide permettra de payer « frais de chauffage » en HLM (et non plus seulement la facture d’électricité ou de gaz). Environ 5,6 millions de foyers, soit 20 % des foyers français, bénéficieront de cette aide, selon un calendrier établi par région, tout au long du mois d’avril. Comme chaque année, la promesse est simple : les ménages concernés n’ont rien d’autre à faire, si ce n’est d’avoir rempli leur déclaration d’impôts. Le chèque est envoyé automatiquement. C’est toute la force du système.
«Échec administratif»
Mais cette année, une grande partie des bénéficiaires risque de se retrouver laissée sur le bord de la route. Contrairement aux éditions précédentes, la liste des ménages concernés n’a pas été actualisée pour la campagne 2024. Cela est dû à la suppression de la taxe d’habitation fin 2022 qui permettait de renseigner sur le logement des ménages. En février, plusieurs associations (CLCV, Afoc, Familles rurales, Cnafal, UFC-Que Choisir, Unaf…) se sont mobilisées pour dénoncer cette situation. «Échec administratif» ce qui risque d’exclure près d’un million de bénéficiaires du système. Car selon Bercy, « Chaque année, environ un million de foyers entrent et sortent du système de chèques énergie ». Ainsi, cette année, les nouveaux bénéficiaires ne seront plus identifiés automatiquement. Et ceux qui auraient dû sortir du système continueront de recevoir leur chèque.
Une première version du projet de décret prévoyait de lister les bénéficiaires en tenant compte du revenu fiscal de référence pour 2021 et de la taxe d’habitation au 1er janvier 2022. Autrement dit, de reprendre la liste issue de la campagne chèque énergie 2023. « Cela a fait réagir les associations de consommateurs, mais aussi la Fédération nationale des collectivités subventionnaires et régies (FNCCR), sachant que la suppression du dossier lié à la taxe d’habitation est connue depuis longtemps », explique Violaine Lanneau, secrétaire générale des services de la FNCCR. Une fois l’affaire rendue publique, Bruno Le Maire a dû intervenir pour redresser la situation. Sur C à toi sur France 5, le locataire de Bercy – chose rare – a salué la position prise par les associations et a reconnu le couac. « En effet, pour un certain nombre de raisons techniques, les gens qui ont un niveau de revenus très bas – ça peut être des étudiants, ça peut être des gens qui travaillent à temps partiel, ça peut être de petits retraités – (…) ne vont pas touchez ce chèque », a-t-il admis le 5 février. Pour y remédier, le ministre a promis « un système de plaintes ». Et assuré : « Il n’y aura pas de perdants. »
« On peut légitimement s’inquiéter du taux de non-recours »
Dans le même temps, le million de personnes qui n’auraient plus dû bénéficier de cette aide la recevront, sans qu’aucun remboursement ne leur soit demandé. À Parisien, Bercy a estimé « coût supplémentaire » à 100 millions d’euros. Après cet épisode, le gouvernement a revu sa copie. Une nouvelle version du projet de décret prévoit une voie de recours pour les ménages lésés, sur présentation de leur revenu fiscal de référence 2022 et de la composition du foyer au 1er janvier 2023. « Les ménages pourront faire leur demande sur un site dédié. Il ne sera pas ouvert avant la fin de l’envoi automatique des chèques énergie. donc pas avant mai, précise le ministère. On est loin de la solidarité à la source.
« On peut légitimement s’inquiéter du taux de non-recours » » déclare Françoise Thiebault, secrétaire générale des Associations laïques familiales de Paris et membre du Conseil supérieur de l’énergie. Et de préciser : « Les contrôles exceptionnels pour le fioul (mis en place fin 2022) devaient par exemple concerner 1,6 million de bénéficiaires. Seules 314 000 personnes l’ont demandé et 91 % l’ont effectivement utilisé. « Quand le système est sollicité, il ne fonctionne jamais et ce sont les associations, les élus locaux et les travailleurs sociaux qui vont devoir en prendre la responsabilité », acquiesce Violaine Lanneau. D’autant que l’actuelle campagne d’information sur le chèque énergie reste pour l’instant muette sur le sujet. «La fenêtre de candidature est en cours de développement», répond Bercy. La nouvelle version du projet de décret, amendée par les associations (notamment sur la possibilité d’adresser une plainte sur papier), est toujours en cours d’examen par le Conseil d’Etat.