Un rapport de l’ONG Plan International établit plusieurs constats, notamment le fait que les filles et les garçons survivent aux conflits de manières très différentes.
Ce 11 octobre est célébrée la 12ème édition de la Journée internationale de la fille. A cette occasion, l’ONG Plan International a réalisé un rapport intitulé « Nous rêvons encore : des filles et des jeunes vivant dans des situations de conflit » qui se concentre sur les conséquences des conflits sur la vie des jeunes du monde entier. Mécaniquement, cette étude observe des différenciations selon le genre : les contextes et les identités conduisent à des expériences différenciées.
Les chercheurs se sont entretenus avec près de 10 000 jeunes âgés de 13 à 24 ans, originaires de 10 pays touchés par des conflits majeurs : Cameroun, Colombie, Éthiopie, Liban, Mozambique, Nigeria, Soudan, Ukraine, Philippines et un dixième pays non mentionné dans le rapport. « en raison de sensibilités politiques et opérationnelles ». En outre, 104 enfants et jeunes, originaires d’Éthiopie, du Cameroun, de Colombie et des Philippines, ont participé à des entretiens approfondis.
C’est la première fois depuis la création de ce rapport annuel en 2007 que des garçons et des jeunes hommes sont inclus parmi les répondants. Cette initiative propose une analyse de la manière dont les conflits sont vécus par les jeunes selon leur genre. On observe ainsi que même si les enfants, quels que soient leur âge et leur sexe, sont tous très impactés par la guerre, ils sont confrontés à des thématiques et des impacts différents.
Situations humanitaires catastrophiques
En Ethiopie, pays déchiré par la guerre du Tigré de 2020 à 2022 qui a fait plus de 100 000 morts, les violences contre les filles et les femmes ont explosé. Plus de 10 % d’entre elles ont subi des violences sexuelles, et un tiers des filles et des femmes ont subi des violences physiques. Même si une paix a été signée en novembre 2022, un nouveau conflit a éclaté dans le sud. Des jeunes ont parfois été témoins de ces violences, comme Mille, 13 ans : « Je veux travailler à la sensibilisation à l’égalité des sexes parce que j’ai vu une fille se faire violer… »
Au Nigeria, d’importants épisodes de violence se reproduisent depuis trois décennies et la situation sécuritaire continue de se détériorer, en raison de la double menace du terrorisme et des bandes organisées. Le pays détient deux tristes records : l’un des taux de mortalité maternelle les plus élevés au monde ainsi que l’un des taux de mariage d’enfants les plus élevés.
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Au Soudan, où la guerre a éclaté le 15 avril 2024 et a déjà fait plus de 16 000 morts et 12,8 millions de déplacés, le viol est utilisé comme arme de guerre pour mener un nettoyage ethnique. Le conflit a également un effet disproportionné sur les femmes et les enfants, avec des allégations de viol, de mariage forcé, d’esclavage sexuel et de traite des êtres humains. En Ukraine, la guerre a exacerbé la violence sexiste.
Les filles sont souvent plus touchées…
Malgré des différences évidentes liées aux expériences et aux situations, les jeunes qui ont témoigné ont rapporté des caractéristiques communes telles que la peur, les difficultés d’accès aux biens essentiels et aux services de base. Cependant, les filles, les adolescentes et les jeunes femmes déclarent des niveaux d’anxiété bien plus élevés que les jeunes garçons, notamment en raison des risques d’agressions sexistes et sexuelles.
L’impact de la guerre est plus dur pour les jeunes femmes, et nous avons connu de nombreuses difficultés. De nombreuses filles ont été violées pendant la guerre. De plus, comparé aux garçons, nous passons la plupart de notre temps à travailler à la maison. Cela signifie que le fardeau qui pèse sur les filles est très lourd. Par conséquent, toutes ces difficultés conduisent à la dépression chez de nombreuses jeunes filles et la plupart d’entre elles souffrent d’une forme de maladie mentale.
Dansha, 17 ans, Éthiopie.
Ainsi, 58% des filles et jeunes femmes interrogées souffrent de troubles du sommeil et d’anxiété permanente (contre respectivement 51% et 49% des garçons et des jeunes hommes), évidemment néfastes pour la santé et la croissance. Par ailleurs, 45% des filles et 42,4% des garçons déclarent connaître une réduction de leur consommation alimentaire, 43,7% des filles et 38,9% des garçons ont des difficultés à accéder à l’eau et plus de la moitié des jeunes, tous sexes confondus, ne sont pas scolarisés (53% garçons, 52% filles).
…et affecté différemment
Les jeunes filles et les garçons ne sont pas touchés de la même manière par les conflits. Plus de 27 % des filles, adolescentes et jeunes femmes interrogées déclarent que la violence sexuelle constitue un risque constant dans leur vie quotidienne. En Ethiopie, Axum, une femme de 20 ans, raconte avoir été violée par un groupe d’hommes armés « pendant cinq jours ». Trois participants éthiopiens ont signalé de tels viols et violences sexuelles commis par des hommes et des groupes armés. En outre, selon une enquête menée par l’ONU, plus de 95 % des cas vérifiés de violences sexuelles liées aux conflits concernaient des femmes et des filles et parmi les cas impliquant des enfants, 98 % étaient des filles mineures.
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De nombreuses filles et jeunes femmes déclarent que leurs opportunités sont moindres, qu’elles ont quitté l’école sans terminer leurs études en raison des responsabilités familiales et/ou domestiques qui leur incombent. Certains restent chez leurs parents pour s’occuper de leurs frères et sœurs plus jeunes, d’autres se marient très jeunes et s’occupent de leur propre famille. « De plus en plus de filles se marient, abandonnent l’école, sont victimes de violences sexuelles, sont forcées d’avoir un enfant et le font pour obtenir la protection de leur partenaire » raconte Ikome, un Camerounais de 16 ans.
Aux Philippines, « Les femmes sont mariées très jeunes et leur responsabilité est donc de prendre soin des enfants et de toute la famille en temps de guerre »dit Mariam, 21 ans. En Ethiopie aussi, « Après la guerre, toutes les filles se sont mariées et ont désormais des enfants. Ils ont également arrêté d’apprendre. »déplore Aba-Ala, 18 ans. L’étude rapporte en outre que 14 % des filles et des jeunes femmes se sentent menacées par le mariage forcé (contre 9 % des garçons et des jeunes hommes).
Stigmatisé après un viol
Certaines filles et jeunes femmes tombées enceintes suite à un viol déclarent être stigmatisées par leur famille et leur communauté. Le rapport évoque notamment une femme violée en public qui est ensuite tombée enceinte. Son mari et sa famille l’ont rejetée et elle s’est retrouvée seule, isolée, sans aide et sans soins médicaux. « Cette situation n’est pas unique »indique l’étude. Plusieurs survivantes de violences sexuelles ont également déclaré avoir été victimes de discrimination et avoir éprouvé des difficultés, avec peu de chances de retrouver une vie normale.
« Les filles tombent enceintes et les garçons sont occupés à rejoindre des groupes armés »conclut Yong, 23 ans, du Cameroun. En effet, les garçons et les jeunes hommes sont plus souvent invités à participer directement au conflit. Plus d’un garçon interrogé sur cinq (22 %) déclare avoir été encouragé à rejoindre un groupe, contre 14 % des filles et des jeunes femmes. « Les garçons rejoignent les groupes armés plus souvent que les filles parce qu’ils pensent qu’ils seront respectés et auront plus de pouvoir »» déclare la Camerounaise Dalma, 13 ans.
Le rapport de Plan International se concentre sur les différences entre les sexes pour ne pas les démontrer « que certains souffrent plus que d’autres », mais pour attester du fait que« ils souffrent différemment ». Ils ont donc besoin de différentes formes de soutien, « à la fois pendant un conflit et lorsque les sociétés commencent à se reconstruire après la guerre »garantir que l’aide fournie est ciblée et efficace.