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« Parle-nous, François » Récit de la rencontre en Belgique entre le Pape et 17 victimes de pédocriminalité

« Parle-nous, François » Récit de la rencontre en Belgique entre le Pape et 17 victimes de pédocriminalité

17 visages. 17 vies abîmées par des agressions sexuelles parfois répétées. 17 attentes. Ce vendredi 27 septembre, dans la commune de Woluwe-Saint-Pierre, limitrophe de Bruxelles, le pape François a rencontré pendant deux heures 17 victimes de violences sexuelles commises par des membres du clergé.

Il y a quelques mois, 80 d’entre eux ont répondu à l’appel de la Conférence des évêques de Belgique (CEB). Puis une trentaine s’est rendue à une première réunion préparatoire, avant que le groupe ne soit réduit à une quinzaine par la CEB, sur des critères d’équilibre entre hommes et femmes et entre francophones et néerlandophones.

Trois victimes, interrogées au cercle interdiocésain de Bruxelles après la rencontre, ont raconté leur soirée à La Croix, depuis l’arrivée du groupe à la nonciature apostolique (ambassade du Saint-Siège) de Woluwe-Saint-Pierre, où le pape a séjourné du 26 au 29 septembre. Les participants ont été transportés dans des minibus aux vitres teintées noires. Certains n’ont jamais raconté à leurs enfants ou à leurs parents ce qui leur était arrivé. À la nonciature, des chaises avaient été disposées en arc de cercle dans une grande salle aux murs clairs.

« Comme s’il était mon agresseur »

François est arrivé un peu avant 19 heures accompagné de deux traducteurs. Signe de l’intensité du moment, l’interprète néerlandophone n’a pu retenir ses larmes, a constaté Anne-Sophie Cardinal, 44 ans.

«Quand j’ai témoigné, j’ai ressenti cette difficulté pour lui (Pape François) pour entendre ce que je lui ai dit, dit cette femme à la longue robe bleu marine avec une petite croix dorée autour du cou. À un moment donné, il m’a même dit : ‘ça suffit. Il n’en pouvait plus, mais il m’a quand même écouté. À un moment donné, je me suis même senti triste en me disant «Je lui dis ça même s’il est un vieil homme ». Et puis je me suis dit « non, ce n’est pas un vieil homme, c’est quelqu’un qui est capable de vous écouter comme Jésus pouvait vous écouter.

La femme, qui rêve de créer un mémorial international pour les victimes à Lisieux, en France, raconte avoir parlé au pape « comme s’il était l’agresseur « .  » J’ai pu vivre avec le pape François quelque chose que je ne pourrais vivre nulle part ailleurs, dit-elle. C’est un pardon de substitution. (…) Il l’a pris, mon témoignage. Il l’a reçu. » Anne-Sophie Cardinal a été violée par un prêtre entre 10 et 11 ans. Son agresseur est décédé il y a plusieurs années.

Dans cette nonciature transformée en salles des marches perdues, chacune des 17 victimes avait 3 minutes pour s’adresser à François. Deux psychologues présents ont prévenu de la fin de leur temps de parole à l’aide d’un petit gong tibétain. En fonction de quoi La Croix a pu recouper, le Pape a surtout écouté. Il a demandé pardon et a parlé de « des crimes qui ne peuvent jamais être prescrits » par le droit de l’Église. Il se serait également montré conscient des « blocages » qui peuvent exister au sein de l’institution en Belgique ou des dicastères à Rome dans le traitement des dossiers. Sur ce point, François aurait demandé aux victimes d’envoyer, si nécessaire, des éléments factuels au nonce Mgr Franco Coppola, son représentant en Belgique. Ce dernier se chargerait de les acheminer directement à Sainte-Marthe, où il séjournait à Rome. Le pape aurait également comparé, en termes de gravité, les prêtres qui commettent des agressions sexuelles sur mineurs et les évêques qui les dissimulent.

Une rémunération plus juste

Devant lui, Christophe – c’est le pseudonyme qu’il a choisi – a prié pour l’Église. Ce quinquagénaire à l’élégant costume bleu et cravate rouge avait repris une phrase du Notre Père, implorant Dieu de ne pas « laisser l’Église entrer en tentation ; (tentation) minimiser, retarder ou mettre un couvercle « . Victime d’un prêtre, l’homme, qui se sentait  » très écouté « , avait également demandé que l’institution religieuse  » professionnalise » et se dote d’outils de contrôle et d’audit.  » À un moment donné, on ne peut plus dire à une victime qu’il y a des fichiers qui ont été perdus, ce n’est pas possible. », explique-t-il dans la salle du cercle interdiocésain. Christophe a également appelé le pape à trouver un système de financement : « interne ou externe au Vatican », pour aider les victimes. Une rémunération plus juste.

 » Je suis tombé dans l’alcoolisme à 18 ans, j’étais un alcoolique sérieux, vous imaginez ce que ça a coûté ? interpelle Jean Marc Turine, quelques minutes après l’échange avec Christopher. A La Croixse dit l’homme de 78 ans « indifférent » à ce que lui dit le pape. La compensation financière qu’il reçoit est, selon lui, très insuffisante.  » Si je n’avais pas été blessé par ces gars, cela ne serait pas arrivé (alcoolisme), et nous sommes tous dans la même situation, nous tous. Vous allez chez votre psychologue deux fois par semaine pendant quarante ans, combien ça vous coûte ? L’exigence est que l’Église paie cela », interpelle l’homme aux longs cheveux blancs qui a récemment publié son témoignage (Révérends pères, Esperluète éditions, mars 2022). Mais Jean Marc Turine n’a pas raconté son histoire à François. Il est d’abord venu lui demander : « prendre la responsabilité « .

« (La réunion) c’est fini ou presque, et je lui dis  »MMais François, tu ne crois pas que tu es responsable et que l’Église est responsable. Sa réponse fut : « LLe pape et les évêques ne sont pas l’Église, l’Église c’est vous, c’est vous, c’est vous. Je lui ai dit : « UnDonc l’Église, c’est 1 milliard 200 millions de personnes dans le monde, est-ce que c’est l’Église ? » (…) Comme s’il n’avait pas des responsabilités plus importantes que les autres… » Si les deux premières victimes interrogées estiment que François a « a donné tout ce qu’il pouvait », comme le dit Anne-Sophie Cardinal, d’autres comme Jean Marc Turine terminent la soirée frustrés, dépassés par les attentes. Certes, le pape a été compatissant, mais il n’a pas eu les mots qu’attendait cet ancien producteur à France Culture. «  Je lui ai demandé des mots qui viennent des tripes, » dit celui qui a perdu la foi il y a cinquante ans. Mais je fais confiance à son intelligence, il les retrouvera peut-être lors de l’homélie de la messe dominicale (29 septembre).

« Rien sauf l’inattendu »

Jean Marc Turine s’est confié à La Croix l’appel qu’il a adressé au Pape. Le voici en intégralité.

« Caro Fratello Francesco

Je crois au pouvoir des mots. Et je pense que vous partagez cet avis. Aujourd’hui, nous sommes 15 à vous apporter un message, je vous parlerai simplement comme on le fait avec un compagnon de voyage rencontré au hasard. Nous sommes 15 à vous parler et nos paroles font écho à celles portées par les vents ou les océans, ces paroles qui nous viennent d’Afrique, d’Océanie, d’Asie, d’Amérique du Nord et d’Amérique du Sud.

Tous ces mots expriment peut-être maladroitement la rage, la colère ou le désespoir, voire l’impuissance à dire. Car comment décrire ce mal que nous avons subi durant notre enfance ? Comment dire l’irréparable, l’inconcevable ? Nous sommes dans le besoin, François. En manque de justice de l’Église, de votre Église, qui nous enferme dans les ténèbres. Comment vivre sans lumière ?

Ils nous ont tués et nous ne sommes pas morts.

Tu es un peu plus âgé que moi. Nous parlons de la fragilité de votre santé. Pour vous, le chemin du métier de vivre touche à sa fin. Avec votre âge, vous évoquerez peut-être la sagesse. Je préfère parler de liberté. Mais cette différence est-elle importante ? Les deux peuvent offrir de la force. Oui, la force qui vous permet de trouver les mots qui seront vos mots pour ces milliers de personnes perdues, rebelles dans le monde à cause de la pédocriminalité au sein de l’Église. Parce que ce sont effectivement des crimes.

Vous trouverez les mots, arrachez-les du plus profond de votre cœur, de votre âme humaine car vous êtes un homme avant d’être pape. Une expression populaire évoquera plutôt les tripes. Les mots qui viennent des tripes comme les poètes savent si bien le faire. Parle-nous François, parle-nous. N’est-ce pas votre devoir en tant que pape ?

Je ne suis plus du tout croyant. Mais j’ai encore un souvenir de mon enfance catholique. Le prêtre à la messe bénit l’hostie, la brise entre ses doigts et la présente en disant « prends et mange car ceci est mon corps » et il prononce en soulevant le calice béni « prends et bois car ceci est mon sang ».

Ces mains, François, ces mêmes mains ont amené à torturer les corps de jeunes adolescentes et les corps de jeunes adolescentes. Ces filles sont devenues des femmes et ces garçons sont devenus des hommes, tous également souillés, massacrés, déchirés, vacillants, brisés, l’âme en perdition, emprisonnés en eux-mêmes ou devenus fous ou suicidés.

Écoute nos paroles, François. Écoutez leur rugissement comme les pierres qui roulent dans un torrent car ils viennent du monde entier, des bords de la mer jusqu’aux plus hautes montagnes.

Ne nous déçois pas, François, tu n’as pas le droit de le faire.

Je n’attends rien d’autre que l’inattendu, l’improbable.

Je m’appelle Jean Marc Turine, fracturé quand j’étais enfant par quatre révérends pères jésuites du collège Saint-Michel où vous vous rendrez demain (pour une rencontre privée avec des membres de la Compagnie de Jésus, à laquelle appartient le pape, samedi septembre 28). Aujourd’hui je vous propose mon livre Révérends pères.

Le 27 septembre 2024. »

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