Outil incontournable de la promotion du jeu vidéo, la démo n’en est pas à son coup d’essai
Le 18 octobre 2024, les développeurs britanniques Fallen Tree Games mettent le champagne sur les réseaux sociaux. Dans le cadre du Steam Neo Fest qui s’est terminé lundi dernier, la version démo de leur prochain jeu, Le quartiera été téléchargé plus de 100 000 fois. Avec plus de 1 000 avis positifs laissés sur la page de présentation, le succès de ce titre qui n’a pas encore de date de sortie semble déjà assuré par un bouche à oreille efficace favorisé par sa « démo », un exercice dépassé d’hier qui reprend de l’ampleur.
Les démos ne sont pas nouvelles. Les ordinateurs personnels les ont bien connus dès la fin des années 80, notamment grâce à « partagiciel »ces programmes conçus pour être partagés, que l’on trouvait sur disquette, cassette ou téléchargement, et qui permettaient par exemple en 1993 d’essayer les premiers niveaux de Perte. Côté consoles, Nintendo et SEGA utilisent en revanche la cartouche, un format plus onéreux qui rend impossible la large diffusion des démos – celles-ci restant donc cantonnées aux stands de présentation des magasins spécialisés. Avec son lecteur optique, l’arrivée de la PlayStation de Sony en 1994 change la donne. Le fabricant de consoles décide alors d’inonder le marché d’échantillons gratuits pour mettre l’eau à la bouche du consommateur. Le disque « Démo 1 » et sa poignée de versions d’essai désormais légendaires sont incluses avec la plupart des nouvelles consoles.
Promotion réciproque
Une telle stratégie implique évidemment les magazines qui saluent ce changement de format. « Sony a fait fabriquer (ces CD) dans son usine en Autriche, mais ne nous les a pas proposés. C’est aussi pour ça que le magazine était assez cher”se souvient Jean-François Morisse, rédacteur en chef de Magazine PlayStationpublié entre 1995 et 2000.
Le magazine, devenu mensuel à partir de septembre 1997, comporte systématiquement la clé circulaire donnant accès à des démos parfois phares, comme Crash Bandicoot Ou Anéantir. Le CD représente alors un outil marketing qui fait la promotion de deux produits : les jeux, mais aussi le magazine. « Certaines personnes ne nous ont peut-être pas acheté pour notre prose, mais plutôt pour le CD de démonstration »reconnaît Jean-François Morisse. En tout cas, c’est un carton : dans leur livre Appuyez sur Démarrer (Omaké Books, 2020), Yves Breem et Boris Krywicki expliquent que Magazine PlayStationavec « près de 162 000 exemplaires » vendu chaque mois, est « le plus gros succès que la presse du jeu vidéo ait jamais connu ».
Les CD de démo persistent avec la PlayStation 2, sortie en 2000, mais commencent à décliner avec la génération suivante, celle de la Xbox 360. Grâce à la connexion Internet de cette machine sortie en 2005, les éditeurs de jeux vidéo peuvent directement diffuser leur démo en ligne, sans en passant par la presse spécialisée, qui entame alors un long déclin. La manif elle-même ne reste en effet pas longtemps en odeur de sainteté : des études de 2008 puis de 2013 établissent qu’elle peut avoir un effet contre-productif sur les ventes. Sans disparaître complètement, la manif perd ainsi son importance culturelle et devient une pratique rare.
Steam, le nouveau paradis des démos
En 2019, Geoff Keighley, ancien journaliste et maître de piste de « l’Oscar du jeu vidéo », les Game Awards, annonçait sa collaboration avec Steam, la principale plateforme d’achat de jeux PC. A l’occasion de ce « Game Festival », une dizaine de démos sont mises à disposition sur Steam. Devant l’engouement suscité par l’initiative, la plateforme a pris la décision de renouveler l’expérience deux à trois fois par an sous un nouveau nom, le Néo Fest. Une tradition désormais bien identifiée chez les utilisateurs de PC et bien notée dans les agendas des développeurs, y compris les plus institutionnalisés.
« L’arrivée du Néo Fest a beaucoup intéressé les indies (petits studios) qui n’ont pas les moyens de se permettre un service marketing, car cela leur donne beaucoup de visibilité. Cela nous intéresse également maintenant, explique Didier Quentin, producteur et responsable éditorial chez l’éditeur français Nacon. S’agissant de réunions régulières, il nous est facile d’anticiper. » S’il y a une dizaine d’années, les sorties de jeux vidéo plus rares bénéficiaient toutes d’un minimum de visibilité, ce n’est plus le cas : aujourd’hui, près de 50 jeux sont publiés chaque jour sur Steam. Pour sortir du lot, la démo est redevenue un outil précieux. « Le contexte de cette industrie est en constante évolution. Nous devons passer notre temps à nous adapter et à nous réinventer »il analyse.
Un moyen d’augmenter le bouche à oreille
Les développeurs dont la démo est choisie par l’algorithme de Steam et apparaît en conséquence sur la page d’accueil du magasin peuvent s’attendre à remporter le jackpot. Balatroun jeu de cartes qui a rencontré un succès fulgurant en début d’année, doit beaucoup à l’importance retrouvée de la démo. Sortie cinq mois avant le jeu complet, sa version démo, extrêmement riche en contenu, a attiré des streamers populaires qui en ont fait la promotion sur la plateforme vidéo Twitch : elle a été téléchargée plus de 100 000 fois. Mais ce regain de popularité reste étroitement lié à Steam, une boutique de jeux vidéo en ligne. Côté consoles, c’est plus timide : Sony propose à ses abonnés « Playstation Plus » de tester des jeux pendant deux heures, tandis que Nintendo propose occasionnellement des jeux. « Tester des jeux » avec son abonnement Switch Online.
Steam, de son côté, est déterminé à continuer d’afficher les démos. Depuis cet été, la plateforme propose aux développeurs de nouveaux outils encore plus avancés, comme des pages de démonstration dédiées qui peuvent être mises en avant toute l’année. « On s’oriente clairement, au moins pour quelques années, vers plus de démos, prédit Didier Quentin. Peut-être que quand il y aura vraiment trop de monde, nous serons une fois de plus obligés de nous réinventer pour communiquer sur nos jeux. »
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Du côté des développeurs plus modestes, la rudesse de ce nouveau champ de bataille se fait déjà bien sentir. Comme s’il ne suffisait plus de lutter pour que votre jeu soit visible, vous devez désormais également vous soucier du développement et de la promotion d’une version démo. » Je ne sais pas si nous devrions être si excités pour le Neo Festnuance Coline Sauvand, directrice artistique sur 30 Oiseaux (Arte France, sortie le 28 novembre). Il faut participer, mais en même temps, il nous est arrivé de présenter le jeu sur certains salons ce qui nous a donné beaucoup plus de visibilité. »