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Où sont les hommes ? La Russie est au bord d’une explosion de sa crise démographique

Le problème est vieux de plusieurs décennies et aurait pu s’atténuer sans la guerre déclarée par le leader russe aux confins de l’Europe et le penchant agaçant des Russes pour les boissons fortes. Dans une enquête récente traduite en anglais par le média indépendant russe Meduza, Cherta Media s’est penchée sur la crise démographique rampante en Russie. Aujourd’hui, dans un pays de la taille d’un continent comptant un peu plus de 144 millions d’habitants selon le dernier recensement de la Banque mondiale, les femmes et les filles représentent environ 54 % de la population russe, contre 46 % pour les hommes.

L’un des écarts les plus dramatiques de la planète, dans un pays où le taux de natalité est à son plus bas niveau depuis 1999, le nombre de naissances étant tombé sous la barre des 100 000 en juin, selon Rosstat. De janvier à juin 2024, 599 600 enfants sont nés en Russie, soit 16 000 de moins qu’à la même période en 2023. Dans le même temps, le déclin de la population russe s’est accéléré de 18 %, avec 49 000 décès supplémentaires enregistrés en 2024 par rapport à l’année précédente.

Ukraine – Russie : Les avions militaires de la guerre

En juillet, le porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov, a déclaré que la situation « catastrophique » pour l’avenir de la Russie. De quoi faire dire à la présidente du comité de la Douma pour la protection de la famille, Nina Ostanina, que la patrie exigeait une « opération démographique spéciale »Version russe du plan de « réarmement démographique » Macroniste, sans doute.

Alcool et odeurs soviétiques de masculinité toxique

Ho, Cherta Media n’est pas le premier média à aborder la question du déséquilibre entre les sexes. En fait, cette préoccupation remonte à plusieurs décennies et plonge ses racines dans le tumultueux XXe siècle. Par exemple, le déséquilibre entre les sexes en Russie découlerait directement des troubles du début du XXe siècle, impliquant un grand nombre d’hommes sur le terrain, notamment la guerre civile russe, les guerres mondiales et les répressions massives des années 1930 sous Staline.

Ces événements n’expliquent cependant pas pourquoi ce fossé perdure dans la seconde moitié du XXe siècle jusqu’à nos jours, selon le démographe Alexeï Rakcha interrogé par Cherta. C’est là qu’entrent en jeu la virilité exacerbée et l’alcool. « L’un des principaux facteurs est la masculinité toxique, un type de comportement masculin répandu dans certains pays, dont la Russie. »explique la sociologue Irina Tartakovskaya aux médias.

Les hommes accordent moins d’attention à leur santé, persuadés qu’un « vrai homme » ne se plaint pas, et coupent du bois à la hache, torse nu, dans la neige, en gros. L’image est caricaturale, mais les chiffres montrent que dans les années 1960, la mortalité masculine a commencé à augmenter dans tous les pays socialistes, où les normes idéologiques tendaient à privilégier les intérêts de la société au détriment du bien-être individuel, favorisant l’héroïsme masculin.

Mais la principale raison du taux de mortalité anormalement élevé chez les hommes au cours des dernières décennies est l’abus d’alcool, explique Alexey Raksha.

Chaque année, au moins 150 000 à 200 000 personnes meurent en Russie à cause de l’alcool, et environ 80 % d’entre elles sont des hommes.

Maladies, comportements à risques, délits et même crimes… Les conséquences sont nombreuses.

Les politiques et les tarifs douaniers qui ont eu un impact sur les boissons à faible teneur en alcool, comme la bière, ont entraîné une évolution de la consommation vers des boissons alcoolisées plus fortes et plus mortelles dans les années 2010. La situation s’est encore aggravée début 2024, le vin et la bière étant fortement touchés par les restrictions, et pourrait s’aggraver avec le retour des soldats du front, qui provoque déjà une vague de criminalité.

La guerre en Ukraine : un signe avant-coureur de la crise démographique à venir

Dernier coup porté au record démographique russe : la guerre en Ukraine, bien sûr, et son cortège de morts dans le « hachoir ukrainien ». Environ 2 à 3 % de la population masculine russe est impliquée dans la guerre. Certains jours, le conflit fait plus de 1 000 morts côté russe selon les chiffres des observateurs occidentaux. Fin 2024, les services de renseignement américains estimaient à 120 000 le nombre de morts russes confirmés sur le champ de bataille depuis l’invasion de février 2022. Aujourd’hui, l’espérance de vie en Russie est inférieure à ce qu’elle était en 2018-2019, et l’écart entre mortalité masculine et féminine s’est creusé à près de 11 ans. Sans compter les hommes qui fuient le pays pour trouver la paix ailleurs. De quoi expliquer la chute de la natalité qui sème la panique chez les autorités russes.

En fait, Moscou peut s’inquiéter, car un déséquilibre démographique peut signifier des problèmes futurs sur le plan économique… et militaire : qui la Russie enverra-t-elle pour la défendre si elle n’a plus d’hommes ? En attendant, ce sont les conséquences sociales qui inquiètent. Selon les analystes de To Be Precise, cités par Cherta, « Le taux élevé de mortalité masculine pourrait conduire à une augmentation du nombre de veuves et de mères célibataires, et si l’État n’agit pas et n’apporte pas de soutien, cela pourrait conduire à une augmentation de la pauvreté. » Environ 40 % des familles avec enfants dans le pays sont des mères célibataires, un groupe très vulnérable, mais encore insuffisant pour éteindre le feu russe.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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