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« Marquer « L’Origine du monde » est un acte totalitaire »

Le JDD. « L’Origine du monde » de Gustave Courbet a été tagué ce lundi au Centre Pompidou-Metz, du mot « Moi aussi ». Comment expliquer ce geste ?

Camille Pascal. Le mouvement féministe est en proie à une véritable révolution ultra-conservatrice. Dans le passé, des militantes du Mouvement de libération des femmes (MLF) ont ouvertement défié les normes en brûlant leur soutien-gorge en public et se sont mises seins nus sur les plages emblématiques de Saint-Tropez, défiant ainsi la censure et les amendes. Aujourd’hui, dans un curieux renversement, le féminisme se réveille prude. Comme les dévots et les ligues de vertu du 19èmee siècle qui exigeait de cacher les attributs masculins avec des feuilles de figuier, certaines féministes contemporaines cachent ce sexe féminin qu’on ne voit pas. C’est un retour au puritanisme.

Si ce type d’attaque utilise habituellement la notoriété des œuvres comme support médiatique sans se soucier de ce qu’elles représentent, cela semble-t-il ici différent ?

Toute modification d’une œuvre d’art est en soi un acte totalitaire. A quoi j’ajoute ici que badigeonner de peinture les parties génitales féminines peintes par Courbet constitue un viol symbolique inédit. Cela revient à la fois à profaner la mémoire du modèle, récemment identifié comme une figure éminente du Second Empire, et à transgresser la vision originelle de l’artiste. Cet acte porte en lui une gravité intellectuelle et artistique d’une profondeur exceptionnelle car il cherche à ébranler les fondements mêmes de l’expression créatrice.

Toute modification d’une œuvre d’art est en soi un acte totalitaire

Comment expliquer que le progressisme, initialement axé sur la préservation du monde, soit désormais fortement associé à ces mouvements prônant la destruction ?

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Nous assistons à une attaque de grande ampleur contre notre patrimoine intellectuel et culturel avec une volonté d’éroder la civilisation elle-même, rappelant les purges de la Révolution culturelle maoïste, la brutalité des Khmers rouges et même le vandalisme des talibans. Il s’agit donc de pulvériser tout vestige du passé dans un élan de négation radicale : faire table rase pour remodeler le monde selon une vision nouvelle.

Cette aversion pour le passé est évidemment révolutionnaire, elle fait écho à la destruction des gisants de la basilique Saint-Denis en 1793 ou aux incendies de la Commune de Paris en 1871. Cette rage destructrice est une forme de terreur pure et simple. Cette volonté de négation va très loin car elle s’attaque à ce qui incarnait hier encore le progressisme. La libération des corps, comme nous venons de le dire, mais aussi la psychanalyse.

Ce n’est pas un hasard si cet acte de vandalisme a eu lieu dans le cadre d’une exposition consacrée à Jacques Lacan. Cela correspond à l’attaque virulente menée aujourd’hui contre la psychanalyse, notamment contre Freud, accusé de promouvoir la « médecine bourgeoise » en raison de son approche individualiste de la condition humaine et de son rejet de tout déterminisme social. Raison pour laquelle Freud a été censuré par le totalitarisme soviétique.

La psychanalyse exige, en effet, à la fois de ses patients et de ses thérapeutes, une introspection, une prise de recul critique par rapport à leur propre comportement. Malheureusement, nous sommes face à une génération qui revendique le droit souverain de définir sans contestation son identité, rendant ainsi la démarche analytique insupportable à ses yeux, car elle impose une remise en question qu’elle refuse de concéder. Les militants de ces différents mouvements radicaux se comportent un peu comme le Caligula de Camus : « Aujourd’hui je suis Vénus » et malheur à ceux qui en doutent ! L’enfant roi est devenu un empereur fou…

Par ces actes choquants, comme jeter de la soupe sur les tables, ces nouveaux partisans de la désobéissance civile ne risquent-ils pas de discréditer leurs luttes ?

Robespierre, avec sa perspicacité coutumière, avait affirmé que les peuples « je n’aimais pas les missionnaires armés »… Il en va de même pour les militants agressifs. Certes la violence révolutionnaire et le vandalisme ne sont pas un phénomène étranger à l’âme française, cependant, le tumulte que l’on observe aujourd’hui n’émane pas d’un enthousiasme populaire, mais plutôt de la violence des privilégiés, d’un rejet de la transmission des savoirs et du patrimoine par ceux qui ont tout hérité et croient n’avoir besoin que de leurs propres désirs. Ce segment de la société, rempli de bénédictions et de privilèges, tourne le dos aux traditions et aux leçons du passé, montrant une répulsion pour la continuité culturelle et historique qui a longtemps nourri la civilisation.

C’est bien l’hommage que l’impuissance créatrice rend au talent

Faut-il voir dans ces exploits militants une forme de censure de l’art ? Au contraire, le vandalisme peut-il être considéré comme une forme artistique à part entière ?

Lorsqu’un artiste, ou quelqu’un qui se prétend tel, s’en prend à l’œuvre d’un autre artiste, c’est bien l’hommage que l’impuissance créatrice rend au talent. Plus largement, l’art contemporain est coincé dans une impasse, enfermé dans les carcans d’un discours abstrus, il semble de plus en plus condensé en réductions et postures, qui glissent inexorablement vers des manifestations violentes. Ce refus obstiné de toute structure, de tout apprentissage et de toute transmission semble avoir atteint son paroxysme et laisse peut-être penser que tout a été exploré, tout a été dit et que ceux qui ne sont que de tristes épigones ne peuvent pas. ..

Il est cependant intéressant de noter l’émergence de courants dans la peinture contemporaine qui renouent avec la tradition figurative, voire anatomique, embrassant les compositions mythologiques voire religieuses, notamment en Italie avec Roberto Ferri ou encore avec le Français Thibault Barrère. Cela suggère peut-être l’achèvement d’un cycle dans lequel la condamnation systématique de toute forme d’expression légèrement provocatrice et la glorification implacable de la déconstruction conduisent à une destruction créatrice.

Nous sommes donc peut-être au seuil d’un tournant, à l’aube d’une époque où l’art, las de se déconstruire, aspire à se reconstruire.

Les grands musées, dont la fonction est de préserver les œuvres du patrimoine, s’inquiètent de plus en plus de ces attaques imprévisibles. Que faire pour les combattre, et dans quels domaines ?

Je suis convaincu que cette question ne doit pas être traitée à la légère ; il est impératif que les convictions soient exemplaires. Ce n’est pas l’œuvre incendiaire d’un romancier ou d’un écrivain qui dénonce la violence symbolique dont la société se rend coupable mais qui s’en tient aux paroles ou à la signature de pétitions ; nous sommes ici confrontés à une véritable violence d’une ampleur sans précédent. Ce qui m’alarme, c’est l’escalade de cette menace : aujourd’hui des œuvres protégées par du verre, et demain, si un fou incendiait un musée, que ferions-nous ?

Malheureusement, les musées, sanctuaires de notre patrimoine, se sont protégés contre le vol mais il semble qu’ils doivent désormais se protéger contre des attaques d’un nouveau genre. Peut-être devrions-nous forcer ces perturbateurs à réparer financièrement les dégâts qu’ils causent. Il est crucial de réfléchir à la question. Ces militants, et les associations qui les soutiennent, ne reprendront la raison que s’ils sont frappés là où ça fait mal : au porte-monnaie, par des amendes conséquentes, le retrait des subventions voire une interdiction pure et simple. C’est le cœur de la stratégie à adopter.

C’est encore – comme par hasard – la liberté qui est visée…

Des militants ont également pris pour cible « La Liberté guidant le peuple » de Delacroix au Louvre sans causer de dommages à l’œuvre. Qu’est-ce qui est ciblé ?

Eh oui, l’œuvre à peine restaurée vient d’être restituée au public. C’est là encore – comme par hasard – la liberté qui est visée… Ce geste me touche d’autant plus que cette somptueuse évocation de la révolution de Juillet sous le pinceau de Delacroix a inspiré du début à la fin l’écriture de L’été des quatre rois, mon premier roman. Comme une gifle.

Cammile Bussière

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