Opéra. A Lille, Falstaff en damier

« L’honneur peut-il remplir nos ventres ? » se demande Falstaff. S’il n’avait de gloire que pour la nourriture, il serait aussi maigre que malheureux. Dans cette mise en scène de l’opéra de Verdi, Denis Podalydès le montre plutôt heureux, quoique alité. Au centre du plateau, recouvert d’un damier hospitalier, est assis l’homme ventru. Comme un gros pion. Il est criblé de dettes, harcelé par ses créanciers jusque dans son lit d’hôpital. Pourtant, il ne semble pas (encore) être son lit de mort, car le joyeux garçon déborde de vie et d’idées pour tromper la fortune. La gaieté du personnage déteint même sur la mise en scène, les bonnes idées fusent. Les écrans, utilisés pour les déceptions multiples, sont des bâches semi-transparentes.
la vie en excès
Falstaff, insatiable, demande à boire et obtient son dû, par intraveineuse. Il lui arrive même de sortir une boîte de pizza de sous son petit lit à ressorts. A la rondeur du type à l’appétit gargantuesque répondent les graves des violoncelles. L’univers hospitalier devient chaleureux, car habité par cet homme « obscène et obèse », qui incarne la vie dans la démesure et abhorre la fidélité. Meg et Alice, sur qui Falstaff a jeté son dévolu, sont infirmières ici. Des maris presque cornus, des médecins. Le cadre médical, refermé sur lui-même, n’est pas qu’un ornement. C’est le cadre dramaturgique qui porte la pièce. Le damier de l’hôpital est un échiquier. Le pion principal est ce roi traqué, bientôt déposé. Sa robe de chambre de convalescence est en velours rouge, clin d’œil ironique au manteau d’hermine qu’il ne portera jamais.
Le dernier acte offre un souffle plus onirique. Les voiles se déploient au-dessus du plateau, tandis que le ciel gronde à l’approche de la tempête. Quelque chose suggère que les règles de ce jeu d’échecs médical sont sur le point d’être brisées.
En effet. Échec et mat, Falstaff est pris. Les médecins vengeurs le disséquent et ouvrent son monde-ventre. Et que trouve-t-on ? Livres. C’est faux et savoureux.
Le metteur en scène entend aussi par là signifier que Falstaff est une synthèse grotesque, née de la rencontre de plusieurs influences, de Lear, à Ubu, en passant par Orson Welles… Le soliste, Tassis Christoyannis, quitte son corpulent costume d’humanoïde et continue de répliquer de la rampe. Les mots démembrés de Falstaff semblent distants. Seul son écho risible demeure. La superbe fugue finale annonce la théâtre mondial cher à Shakespeare. « Le monde entier est une farce ». Et personne n’est épargné.
Grb2