La demande des autorités palestiniennes, initiée en 2011, doit être à nouveau examinée par le Conseil de sécurité de l’ONU. Mais le processus a très peu de chances d’aboutir, notamment en raison des réticences américaines.
« Une épée dans l’eau », souffle le chercheur Sébastien Boussois. Le Conseil de sécurité de l’ONU doit se prononcer jeudi 18 avril sur la demande des Palestiniens de devenir membre à part entière de l’ONU. Soulignant l’offensive israélienne à Gaza, les Palestiniens ont relancé début avril leur demande d’adhésion à l’ONU, initiée en 2011. Mais cette démarche, sauf surprise, semble vouée à l’échec et semble surtout symbolique de la part de l’Autorité palestinienne.
Pour devenir membre des Nations Unies, vous devez obtenir un vote de l’Assemblée générale des Nations Unies à la majorité des deux tiers. Selon le décompte de l’Autorité palestinienne, près de 140 États membres de l’ONU reconnaissent unilatéralement un État palestinien. L’ONU comptant 193 membres, la demande aurait apparemment toutes les chances d’être acceptée par l’Assemblée générale de l’ONU.
Le veto américain comme obstacle probable
Mais pour obtenir un vote à l’Assemblée générale, il faut d’abord passer l’étape du Conseil de sécurité. La demande d’un État « doit faire l’objet d’un vote favorable de neuf des 15 membres du Conseil (de sécurité), dont l’ensemble de ses cinq membres permanents », rappelle le site de l’ONU. Parmi les membres permanents (Chine, France, Etats-Unis, Russie et Royaume-Uni), les Américains s’opposent à cette initiative palestinienne et n’hésitent pas à user de leur veto. « Le gouvernement israélien ne veut pas d’un Etat palestinien et les Américains obéissent à leur allié en le bloquant »résume Sébastien Boussois, chercheur en sciences politiques et spécialiste du Moyen-Orient.
En 2011 déjà, la procédure lancée par le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas se heurtait à l’opposition américaine. Et les Palestiniens ont finalement obtenu un statut inférieur en novembre 2012. « État observateur non membre » lors d’un vote de l’Assemblée générale. Les États-Unis n’ont cessé de répéter ces dernières semaines que leur position « n’a pas changé » depuis 2011. Ils estiment que l’ONU n’est pas le lieu idéal pour la reconnaissance d’un État palestinien, qui devrait, selon eux, être le résultat d’un accord entre Israéliens et Palestiniens.
Ils rappellent également que la législation américaine les obligerait à réduire leur financement à l’ONU en cas d’adhésion palestinienne en dehors d’un tel accord bilatéral. « Du point de vue de Washington, mettre la question de la création d’un Etat palestinien à l’ordre du jour rend probablement plus difficile la tentative de convaincre les Israéliens d’un cessez-le-feu. » à Gaza, a également déclaré à l’AFP Richard Gowan, analyste à l’International Crisis Group.
Le mirage d’une solution à deux États
Derrière cette reconnaissance de l’ONU se cache la volonté de promouvoir la solution à deux États. « Tout le monde parle de la solution à deux États, alors quelle est la logique qui nous empêche d’être un État membre ?» argumente dans sa demande l’ambassadeur palestinien auprès de l’ONU, Riyad Mansour, en réponse à l’éventualité d’un veto américain. « C’est la communauté internationale qui a décidé de créer deux États en Palestine en 1947. Il est du devoir de la communauté internationale, aux côtés du peuple palestinien, d’achever ce processus en admettant la Palestine comme État membre »avait également déclaré le diplomate en février.
En 1947, l’Assemblée générale des Nations Unies a effectivement adopté une résolution divisant la Palestine, alors sous mandat britannique, en deux États indépendants, l’un arabe, l’autre juif, et créant une zone internationale autour de Jérusalem. Mais seule la création d’Israël fut alors proclamée, le 14 mai 1948, provoquant une guerre entre le nouvel État et plusieurs pays arabes. Depuis lors, les Palestiniens n’ont cessé d’exiger la création d’un État palestinien.
Mais après les attaques du Hamas du 7 octobre, le gouvernement israélien a explicitement rejeté toute solution à deux États. Le Parlement israélien a voté massivement en février contre toute « reconnaissance unilatérale d’un État palestinien ». Malgré la faible probabilité d’un avis positif du Conseil de sécurité, Israël a dénoncé avec virulence le fait que la demande de l’Autorité palestinienne soit en cours d’examen.
En plein conflit, la situation semble donc figée. « Tant que la coalition actuelle au pouvoir en Israël est en place, tant que le Hamas n’est pas détruit militairement et tant que l’Autorité palestinienne n’a pas accepté de prendre en charge Gaza, on parle un peu dans le vide »estime Frédéric Encel, docteur en géopolitique et professeur à Sciences Po.
Une initiative diplomatique opportuniste
Dans le contexte du conflit meurtrier en cours dans la bande de Gaza, l’autorité palestinienne cherche également à remobiliser la communauté internationale. L’initiative a au moins le mérite de permettre aux Palestiniens de compter parmi leurs alliés. Ils ont déjà reçu le « soutien » des représentants des pays arabes et de l’Organisation de la coopération islamique, qui regroupe 57 États dont la population est majoritairement musulmane.
Les Palestiniens « sache que c’est le moment de pousser cette question (adhésion à l’ONU)qui risque de s’estomper s’il y a un cessez-le-feu et que les membres de l’ONU se concentrent sur autre chose »explique le chercheur Richard Gowan à l’AFP. « L’Autorité palestinienne relance le volet diplomatique à l’heure où Israël a été sévèrement critiqué par de nombreux Etats, y compris alliés »confirme Frédéric Encel.
« Il y a la volonté de créer un choc diplomatique favorable à l’Autorité palestinienne dans le contexte du conflit à Gaza. »
Frédéric Encelsur franceinfo
« Mais sur le terrain, ça n’a aucune valeur », poursuit le chercheur. Il rappelle que la France et le Royaume-Uni se sont abstenus en 2011 sur la même question, « car statutairement, ils ne peuvent reconnaître que les Etats qui ont la souveraineté sur un territoire. »
Pour être admis à l’ONU, certains chercheurs estiment qu’il faudrait des frontières définies et un territoire administré par un gouvernement unique. Il y a actuellement « deux entités territoriales distinctes – la bande de Gaza et la Cisjordanie – avec deux gouvernances distinctes, la gouvernance légale de l’Autorité palestinienne ayant été expulsée manu militari de la bande de Gaza par le Hamas en 2007 »rappelle ainsi dans Le Figaro David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques.
Dans ce contexte, l’offensive diplomatique palestinienne à l’ONU apparaît avant tout symbolique. «L’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, qui a complètement disparu du paysage face à l’islamisation de la question palestinienne, tente d’exister. Et cette demande apparaît comme une manière d’essayer de se remettre en avant »analyse Sébastien Boussois.