On explique le « débat » ouvert par Emmanuel Macron autour de l’arme nucléaire française dans la « défense européenne »
Le chef de l’Etat a suscité de vives réactions en déclarant que la France, dotée de l’arme nucléaire, pourrait contribuer davantage à la protection de l’Europe.
Emmanuel Macron souhaite-t-il étendre le parapluie nucléaire français à nos voisins ? Dans une interview publiée le 27 avril par les journaux du groupe de presse Ebra, le président de la République a déclaré sa volonté d’aller « plus loin » dans l’intégration de la défense européenne. Quitte à mentionner « arme nucléaire »qu’elle soit américaine (via l’OTAN) ou française. « Je suis favorable à l’ouverture de ce débat »assume le chef de l’Etat, notamment face à un régime russe qu’il juge de plus en plus menaçant.
De la gauche à l’extrême droite, les critiques à l’encontre de l’opposition ne se sont pas fait attendre. Alors que la France est, avec le Royaume-Uni, le seul pays de l’espace européen à posséder sa propre arme nucléaire, Emmanuel Macron est accusé de vouloir partager cet avantage quasi unique sur le continent. Pire, vouloir « liquider » cet atout militaire et diplomatique. Mais est-ce vraiment ce qu’il suggère ? Franceinfo revient sur les déclarations du chef de l’Etat et les arguments de ses détracteurs.
Que propose Emmanuel Macron ?
Dans sa réponse aux jeunes Européens qui l’interrogeaient sur la défense nucléaire, Emmanuel Macron a d’abord cité l’OTAN comme « forme de protection ». Au nom du Traité de l’Atlantique Nord, qui lie les États-Unis et le Canada à 30 autres États de l’espace européen, toute attaque nucléaire contre l’un des pays membres entraînerait en effet une réponse proportionnée. – et donc nucléaire. Cette dissuasion est même présentée par l’OTAN comme la « garantie suprême de la sécurité de l’alliance ». Cela vise à empêcher des pays membres tels que l’Italie, l’Espagne et la Pologne d’être la cible de frappes nucléaires.
Mais le président français souhaite d’autres garanties. « Il il faut désormais aller plus loin, construire une défense européenne crédible »» insiste-t-il dans l’interview publiée par le groupe Ebra. Concrètement, Emmanuel Macron propose donc de revoir les options qui s’offrent aux pays européens : s’appuyer sur l’OTAN, développer une « bouclier anti-missile »construire « des missiles à longue portée qui dissuaderaient les Russes »…Et déterminer quel rôle pourraient jouer les armes nucléaires françaises dans tout cela.
« La doctrine française est qu’on peut l’utiliser lorsque nos intérêts vitaux sont menacés », explique le chef de l’Etat. Mais ces intérêts incluent également « une dimension européenne », estime-t-il, sans donner d’autres détails afin de préserver le « crédibilité de la défense européenne ». Tout en gardant son « spécificité » nucléaire, la France est cependant « prêt à contribuer davantage à la protection du sol européen »résume-t-il dans cette interview.
Comment réagit la classe politique ?
La proposition d’Emmanuel Macron a provoqué un tollé parmi ses opposants. Hormis la tête de liste écologiste aux élections européennes, Marie Toussaint, qui a défendu « le partage » des armes nucléaires sur France 3, ou le patron du MoDem, François Bayrou, qui conçoit que« Une menace pour l’Europe est une menace pour la France »beaucoup Des personnalités politiques sont montées au créneau concernant ce projet.
« Emmanuel Macron souhaite partager notre dissuasion nucléaire avec l’Union européenne »a assuré la députée d’extrême droite Marine Le Pen, présidente du groupe Rassemblement national à l’Assemblée, sur le réseau social. Du côté des Républicains, l’eurodéputé François-Xavier Bellamy estime que« Un président ne devrait pas dire ça ». «On touche au nerf de la souveraineté française», a-t-il déclaré sur Europe 1.
SNotre Public Sénat, le député Manuel Bompard, coordinateur de La France insoumise, a de son côté dénoncé un projet « irresponsable ». « VVingt-sept États ne peuvent pas décider collectivement du recours au feu nucléaire.il a jugé. « Macron veut liquider l’autonomie stratégique française »a ajouté son collègue Bastien Lachaud, député des Yvelines, sur.
Pour Héloïse Fayet, chercheuse à l’Institut français des relations internationales (Ifri), ces critiques sont globalement infondées. « Emmanuel Macron n’a jamais appelé au partage de nos armes nucléaires, souligne ce spécialiste de la dissuasion nucléaire. Là La « dimension européenne » qu’il évoque existe depuis la création de la dissuasion nucléaire française, on en trouve des références dans le Livre Blanc. (en défense) à partir de 1972 par exemple. » Selon elle, le président français se lance plutôt dans un exercice « de concrétisation, de clarification » avec des partenaires européens.
« Dans la construction européenne, l’imbrication des intérêts vitaux est si forte qu’on ne peut pas imaginer que la Pologne, par exemple, soit touchée sans que la France ne le soit au même moment ou peu après. »
Héloïse Fayet, spécialiste de la dissuasion nucléairesur franceinfo
Après une première déclaration à ce sujet lors d’une visite en Suède fin janvier, le chef de l’Etat ne se contente pas de répéter la doctrine nucléaire française, estime le journaliste Jean-Dominique Merchet, spécialiste des questions militaires. « Par petits pas, Emmanuel Macron fait bouger notre politique de défense »il écrit dans Avisévoquant un « évolution très prudente ».
Reste que la méthode Macron agace. « La défense européenne « crédible » que le chef de l’Etat réclame sans cesse ne verra jamais le jour s’il persiste à lancer des ballons d’essai dans la presse, au lieu d’en discuter dans un cadre sérieux avec nos alliés »a jugé le sénateur Cédric Perrin, membre des Républicains et président de la commission des Affaires étrangères, sur Public Sénat.
Pourquoi aborder ce sujet maintenant ?
Aux yeux du président français, une clarification s’impose face à « Des puissances régionales décomplexées »comme l’Iran, mais surtout la Russie, pointée du doigt lors de son discours sur l’Europe à la Sorbonne le 25 avril. Engagé depuis plus de deux ans dans la guerre en Ukraine, le régime russe inquiète et justifie la poursuite des « ambiguïté stratégique »selon le président français.
« Il est très important de rester ambigu quand on parle de dissuasion nucléaire, souligne Héloïse Fayet. On remarque que lorsqu’Emmanuel Macron évoque la « dimension européenne » des intérêts vitaux, il reste vague, il ne parle pas de l’Union européenne par exemple. » Autrement dit, en traçant une ligne rouge suffisamment vague, une puissance nucléaire est mieux à même d’exercer sa capacité de dissuasion – et de l’étendre à d’autres pays.
Dans le même temps, d’autres pays européens proposent des moyens de défense contre les menaces qui pèsent sur le continent. Menée par l’Allemagne, une coalition d’une vingtaine d’États développe le bouclier anti-missile Sky Shield. Mais la France se tient pour l’instant à distance de ce projet, jugé trop dépendant des technologies américaines et israéliennes.
Surtout, le parapluie nucléaire de l’OTAN pourrait se fermer en Europe si Donald Trump était élu président des États-Unis. « Il il existe une grande incertitude sur la nature de l’engagement américain au sein de l’OTAN après le 5 novembre« , explique Héloïse Fayet. Par le passé, Donald Trump a en effet multiplié les attaques contre l’alliance, et même a suggéré qu’il pourrait ne pas protéger un allié en cas d’attaque russe.
En résumé, le contexte est suffisamment tendu pour que l’exécutif remette en question les contours de la dissuasion nucléaire française. Et les discussions pourraient prendre de l’ampleur. « Si la France veut rejoindre le groupe de planification nucléaire de l’Otan ou faire évoluer sa doctrine, il serait extrêmement sain et nécessaire qu’un débat ait lieu au sein du Parlement national », recommande Héloïse Fayet. Reste à savoir si ce sujet brûlant débarquera dans les hémicycles.