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« On a l’impression que depuis Mediapro, la Ligue fait n’importe quoi », constate Pierre Maes, spécialiste des droits TV

« On a l’impression que depuis Mediapro, la Ligue fait n’importe quoi », constate Pierre Maes, spécialiste des droits TV

La Ligue 1, qui reprend dans deux mois et demi, ne dispose toujours pas de diffuseur pour la période 2024-2029.

France Télévisions – Éditorial Sport

Publié


Temps de lecture : 5 minutes

Qui diffusera la Ligue 1 à partir du 16 août ? Pour l’instant, la réponse est inconnue, alors que les négociations entre la Ligue de football professionnel (LFP) et les diffuseurs potentiels (Canal+, BeIN Sports, DAZN…) entrent dans la dernière ligne droite. Une situation inédite, qui se décrypte pour franceinfo : sport Pierre Maes, consultant droits TV et auteur de La ruine du football français (Fyp, 2022).

Franceinfo : sport : La situation est-elle préoccupante, alors que le championnat reprend dans deux mois et demi ?

Pierre Maès : Pour le produit, c’est presque une nouvelle catastrophe. Il est ballotté d’un opérateur à l’autre et perd beaucoup de visibilité. Les téléspectateurs, fatigués de vivre tout cela, se sont tournés vers le piratage. Pour la Ligue, c’est aussi une catastrophe au niveau de son image. On a l’impression que depuis Mediapro (le diffuseur éphémère de la Ligue 1, qui a arrêté ses paiements en haute saison, en 2020), elle fait n’importe quoi. Il y a eu Mediapro, le transfert des droits à Amazon pour un tiers du prix de ce que Mediapro aurait dû payer, et il y a maintenant cette vente des droits 2024-2029 qui est une succession d’erreurs catastrophiques.

Les clubs seront-ils les grands perdants de cette négociation ?

C’est inquiétant. Pour les plus petits, plus dépendants des droits TV que les plus grands, cela peut aller au-delà de 80 % de leurs revenus. Ces clubs peuvent être en difficulté, surtout s’ils ont déjà des engagements de dépenses importants. Et l’essentiel des dépenses concerne les salaires des joueurs.

« Comme les droits TV ne seront pas très élevés, les clubs auront encore moins d’arguments pour attirer et retenir des joueurs de qualité. »

Pierre Maès

Consultant en droits TV

Canal+ est-il désormais en position de force ?

Oui. En fait, rien n’a changé par rapport à avant l’appel d’offres. Nous sommes aujourd’hui sur un marché très peu compétitif, pour ne pas dire monopolistique, et Canal+ a le dessus. Il a dû affronter de nombreux concurrents au cours de la dernière décennie : BeIN Sports, Altice, Mediapro… Il a réussi à se débarrasser d’eux un à un. Aujourd’hui, nous n’avons plus d’acteur très agressif de ce type, c’est donc une situation de monopole. Dans ce cas, c’est l’acheteur qui détermine le prix.

Canal+ et BeIN Sports jouent-ils la montre pour baisser le montant des droits, alors que Vincent Labrune, le président de la LFP, visait un milliard d’euros ?

C’était l’une de ses grosses erreurs. Même si on ne sait jamais, le scénario peut s’inverser et donner lieu à une merveilleuse surprise. Mais aujourd’hui, on peut dire que les droits ne vont pas être vendus très cher. Avoir proclamé partout cet objectif d’un milliard n’était pas quelque chose de très intelligent.

« On ne peut pas imaginer, en Angleterre, la Premier League étant en conflit constant avec l’opérateur dominant qu’est Sky. Au contraire, ils ont construit une relation gagnant-gagnant. Ici, c’est tout le contraire.

Pierre Maès

Consultant en droits TV

Canal+ ne va pas se montrer, mais surtout, il sera pragmatique. On se souvient comment ils ont été trompés par Vincent Labrune lors de la cession des droits à Amazon, Labrune ayant fait croire à Canal qu’ils avaient un deal.

Cette situation est-elle avant tout l’échec de la LFP ?

Je pense que oui. L’erreur la plus générale est de ne pas se rendre compte que le marché est sans concurrence et monopolistique. Avant, c’était facile : on jetait les droits sur le marché et les radiodiffuseurs se battaient pour des centaines de millions. Tout cela est fini, et pas seulement en France.

« Il faut être beaucoup plus pragmatique et avoir beaucoup plus d’humilité, ce que la Ligue ne peut pas faire en général. Et notamment sur cet appel d’offres, où il y a eu d’énormes erreurs. « 

Pierre Maès

Consultant en droits TV

Lesquels?

La première était de l’organiser si tard. Lorsqu’on est sur un marché sans concurrence, il est important d’organiser très tôt un appel d’offres, car un nouvel acteur peut arriver. Mais surtout, cela vous laisse du temps, car vous savez que vous allez avoir des négociations en tête-à-tête. Toutes les ligues font ça. L’autre erreur est d’avoir innové en introduisant des hausses de prix au lieu de prix de réserve. En règle générale, les ligues fixent des prix de réserve, c’est-à-dire un prix en dessous duquel vous ne vendrez pas, mais qui permet aux diffuseurs d’enchérir au prix qu’ils souhaitent. Cette fois, ils ont fixé des prix, qui empêchent un diffuseur de faire une offre inférieure, qui correspondait également à l’objectif du milliard, donc très élevé. Ils ont dû frapper chez tout le monde pour dire : « Pouvez-vous nous faire une offre ? »

La perspective d’une chaîne 100% Ligue 1 dirigée par la LFP est-elle crédible selon vous ?

C’est gros connerie basique. C’est pour tenter d’effrayer Canal+. Ils pensent encore qu’ils sont dans l’ancien schéma : Canal+ n’a pas l’intention de priver ses abonnés de Ligue 1, il ne va pas prendre ce risque. Alors la LFP joue là-dessus. Mais il n’y a absolument aucun projet sérieux derrière cette annonce.

Quelle est l’issue la plus probable de cette négociation ?

Les inconnues sont finalement peu nombreuses. En 2022, ma prévision sur les droits nationaux de Ligue 1 était de 500 M€ par saison. Je ne l’échangerais pas pour un euro. Avec Canal+ qui prendra ce qu’il veut, c’est-à-dire les deux ou trois meilleurs matchs, et un opérateur qui prendra le reste. Je ne vois pas comment nous allons sortir de ce scénario, car il n’y a pas d’autre issue. Il ne manque qu’une chose pour que ce scénario prenne forme : que la Ligue fasse preuve d’humilité et de pragmatisme. Mais pour le moment, nous n’en sommes pas là.

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