Novak Djokovic complète son puzzle cosmique – Libération
Drapeau serbe sur les épaules, le regard fixe et une joie encore toute intérieure, car cela fait deux heures qu’il dévale les tunnels médiatiques (ayants droit, télés, etc.) et qu’il a pris l’habitude depuis tout petit d’enchaîner les choses. Lorsqu’il avait remporté son tout premier tournoi en 2006 aux Pays-Bas, le Serbe Novak Djokovic avait reçu un iPod. Ce dimanche 4 août, peu après avoir remporté (7-6 (3), 7-6 (2)) le tout dernier contre un Carlos Alcaraz qui le rajeunissait de seize ans, il s’est vu décerner une médaille d’or olympique. Le tennisman serbe s’est assis très tranquillement.
« Jusqu’à présent, mon meilleur souvenir, et je parle de tout ce que j’ai vécu sur le terrain aussi, c’était la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Londres (2012) car j’ai eu l’honneur d’être choisi comme porte-drapeau, il a dit d’emblée. Ce que je viens de vivre ici, devant vous, dépasse donc tout ce que j’ai pu vivre jusqu’à présent. J’ai toujours dit qu’il n’y avait rien de plus important pour moi que mon pays. Lors de trois des quatre dernières éditions des Jeux, j’ai été éliminé en demi-finale (en 2008, 2012 et 2021). C’était devenu une obsession. Vous savez quoi ? Après la victoire de vendredi en demi-finale (contre l’Italien Lorenzo Musetti, ndlr)J’étais presque partie faire la fête. J’avais dépassé ce stade. Une question se pose sur sa quête olympique, ses doutes, comment les combattre. « Bien sûr, j’ai eu des doutes. J’en ai toujours eu. Mais ma confiance, la foi que j’ai en moi sont telles que je savais que j’y arriverais. Ça arrive comme ça. Tu t’assois et tu rassembles les paramètres, j’ai 37 ans, c’est peut-être la dernière possibilité, il y a Carlos (Alcaraz), je m’entraîne comme ça… Plus tu accumules ces éléments, plus tu arrives à te vider la tête autour du tennis et de ce que tu fais sur le court. Parce que ça reste du tennis. »
Le plus grand joueur de l’histoire du tennis
Certes. Et dimanche, pour le natif de Belgrade, le plus grand joueur de l’histoire du tennis aux yeux de ses pairs et de ceux qui savent compter (24 titres du Grand Chelem, soit deux de plus que Rafael Nadal, quatre de plus que Roger Federer), il s’agissait de bien plus que d’aller chercher le dernier titre qui lui manquait ici-bas. Il fallait que Djokovic n’arrête pas le temps, mais qu’il l’inverse. Carlos Alcaraz a résolument pris les commandes : deux titres du Grand Chelem d’affilée à Roland-Garros et Wimbledon cette année. Et un Djokovic incapable de remporter le moindre titre en 2024, autrement dit laissé dans les limbes : « Je suis sûr que je vais bien. »il n’a pas battu un joueur du top 10 dans tout le tournoi de Wimbledon » (entendu dans un couloir, Djokovic s’est fait écraser par Alcaraz en finale à Londres) ; « Personne ne croit plus à ses histoires de blessures» (également entendu sur place).
Certes, il a toujours vécu un peu dans ces limbes, une personnalité ésotérique peinant à se faire comprendre du monde extérieur jusqu’au jour où il n’en a plus rien à foutre. Mais il sort encore souvent pour jouer au tennis, pour parler autant et plus pour respecter la politique de communication d’un circuit professionnel qui envoie volontiers des joueurs devant les micros et pour faire entendre la voix de son équipe dans les instances où il a du poids. Dimanche, contre Alcaraz, dès le deuxième jeu, on a vu Djokovic arrondir les trajectoires pour aérer le bras de fer « pain pour pain » qui menaçait de tourner en faveur du Murcien. Sur le premier point du cinquième jeu, il a enchaîné un service-volée suicidaire sur cette surface, à ce moment-là (tout le monde a encore la tête froide) et contre cet adversaire. Et il a pris ce point.
Hurlement de surprise ou de douleur
Une bonne heure plus tard, alors que le combat entre les deux hommes battait son plein, il n’y avait plus de service-volée, plus de trajectoire courbe, plus rien. Djokovic était alors installé dans le combat comme dans des draps de soie. Son adversaire fronça le front, pressentant quelque chose. Mais les Saintes Ecritures du tennis ne parlaient qu’à Djokovic. Pour lui dire qu’il y allait droit. Dans un confort absolu, total, insensé. Sur le cinquième point du tie-break final, un coup droit croisé en fin de coup qui aurait arraché la raquette des mains d’Alcaraz s’il avait seulement pu toucher la balle, nous avons poussé un hurlement de surprise ou de douleur, on ne savait pas. Supporter de l’Espagnol du premier au dernier point, notre voisin d’en face s’est retourné et nous a pris dans ses bras.
Ce point a frappé l’intéressé : « L’intensité que j’ai ressentie à ce moment-là, je ne l’avais jamais ressentie auparavant. » Un autre fait est apparu dimanche dans une finale olympique qui ne valait ni points ATP, ni prize money (on doute que le Comité olympique serbe puisse se permettre ce luxe) ni même une supériorité cosmique, à travers le temps, sur Rafael Nadal ou Roger Federer. Djokovic a avancé dans sa propre construction et on a entendu que son pays était au centre de quelque chose qui le tenait depuis le début. Il a aussi expliqué que c’est la rareté d’un tournoi olympique quadriennal qui le rend précieux. Une manière de dire que sans cela, il l’aurait gagné depuis longtemps.