Ce n’est qu’en 1904, à Saint-Louis, que les meilleurs athlètes ont été récompensés par un bijou en métal précieux. Mais personne, pas même le CIO, ne sait exactement comment l’or est né.
« L’important c’est de participer »Apparemment. Malgré ce qu’en disent les pères fondateurs de l’Olympisme moderne, les Jeux sont (aussi) une histoire de champions, de records et de moments de gloire, comme cette première médaille d’or. décerné lors des Jeux de Paris, pour le tir à la carabine à air comprimé, samedi 27 juillet. Un choix de métal dont l’origine reste un mystère depuis plus de 120 ans.
Si aujourd’hui la classification or-argent-bronze paraît évidente, à l’époque, elle ne l’était pas. Un bibelot brillant est bien trop bling-bling pour les pionniers des Jeux olympiques. En 1896, à Athènes, chaque vainqueur de l’épreuve recevait une médaille d’argent, un rameau d’olivier et un joli diplôme.
Il y a deux explications à ce choix quelque peu mesquin.. PPour certains, l’argent aurait été considéré comme plus noble que l’or, comme l’explique le designer Wojtek Pietranik, concepteur des médailles des Jeux de Sydney, sur le site Olympic-Museum.de. D’autres estiment que nous n’allons pas vider les caisses de l’État (le CIO était alors ruiné comme un sou) pour les athlètes.
« L« Les prix olympiques devraient se distinguer par leur valeur artistique et non par leur valeur intrinsèque »nous pouvons lire dans le rapport du Congrès de Paris de 1894. Pas d’or pour les courageux, alors. Le deuxième se voit décerner une médaille de bronze. Et le troisième ? Rien du tout. On ne parle pas encore du pied du podium : les trois marches seront instituées en 1932 aux Jeux de Los Angeles.
C’est finalement en 1904, à l’occasion des Jeux de Saint-Louis (Etats-Unis) que le classement or-argent-bronze est instauré. Par qui ? Sous quelle forme ? Quand ? Mystère, reconnaissent les deux plus grands spécialistes des Jeux de 1904, les historiens américains George R. Matthews et Bill Mallon, contactés par franceinfo.
A l’époque, le CIO, à ses débuts, n’exerçait qu’une autorité relative sur les organisateurs, ce qui leur laissait une marge de manœuvre confortable pour organiser les Jeux olympiques comme ils le souhaitaient. Déjà, lors des précédents Jeux olympiques de Paris en 1900, des plaques en vermeil avaient été distribuées dans certaines épreuves, sans que l’initiative ne fasse particulièrement impression.
Quant à la Louisiane, les historiens du CIO spéculent que c’est le patron des Jeux, James E. Sullivan, qui a été à l’origine de l’introduction des trois médailles pour toutes les épreuves, « sans aucune explication »reconnaît le Centre d’études olympiques du CIO, qui a soulevé la poussière de rapports officiels vieux de plus d’un siècleDes récompenses à peine supérieures à la couronne de laurier. « Ils n’étaient même pas en orsourit Ulf Strom, numismate et spécialiste des bibelots suédois. Les médailles d’or distribuées à Saint-Louis étaient en vermeil, un alliage entre l’argent et l’or. Or, il est toujours considéré comme un métal précieux. »
« Le comité d’organisation des Jeux de Saint-Louis avait reçu, en quelque sorte, une délégation de pouvoir du CIO »continuent les historiens de l’institution, « à cause de la distance et de la difficulté de communiquer efficacement à ce moment-là »Un euphémisme doux pour dire que Pierre de Coubertin et James E. Sullivan n’étaient pas d’accord, ce dernier ayant tenté de voler la place du premier à la tête du mouvement olympique en s’alliant à des dignitaires britanniques, comme le raconte l’historien George R. Matthews dans son livre Les premiers Jeux olympiques américainsCoubertin rendit cette inimitié tenace et ne fit pas le voyage à Saint-Louis.
Jonathan Becker, autre amateur de médailles et de métaux précieux, président du Musée olympique de Lake Placid (Colorado), avance même l’hypothèse d’un putsch américain sur l’esprit olympique. « Ce système or-argent-bronze existait au sein de l’Amateur Athletic Union (AAU) depuis les années 1890. Et comme par hasard, tous ses dirigeants faisaient partie du comité d’organisation des Jeux de Saint-Louis. Qu’ils aient utilisé le même système de classement me paraît logique. »
Pour ajouter à la confusion, les Jeux de Saint-Louis se déroulèrent en pleine Exposition universelle (comme à Paris quatre ans plus tôt) sur plusieurs mois – du 1er juillet au 23 novembre – avec des épreuves sportives tantôt labellisées olympiques, tantôt AAU. « J’ai même vu des médailles de Saint-Louis en 1904 portant le logo de l’AAU avec la seule barre métallique attachée au ruban portant la mention « Olympics ».souligne Jonathan Becker.
Le baron tentera plus tard de récupérer ce beau rôle : la première trace du système à trois métaux dans les archives du CIO remonte à 1910, lorsque « (Baron Coubertin) offre comme prix, trois médailles pour chaque compétition, or, argent et bronze » pour l’épreuve artistique des Jeux de Stockholm (à l’époque, peindre un tableau était aussi un sport olympique). Dans ses mémoires, publiés en 1931, Coubertin s’étendra longuement sur les Jeux de 1904, « le pire jamais organisé »où il n’a jamais mis les pieds.
Quant au système des trois médailles, il est resté en vigueur pendant 120 ans sans jamais avoir été remis en cause. Ou presque. En 2012, un libraire britannique excentrique estimait que davantage d’athlètes pourraient être récompensés « étant donné que le nombre et le niveau des participants ont considérablement augmenté ». Dix ans après, Les scientifiques démontrent, statistiques à l’appui, que la différence entre chaque médaille se joue sur 0,1% de la performance d’un athlète (en centièmes de seconde pour l’athlétisme par exemple). De minuscules différences ce qui pourrait justifier une refonte du système de récompense. « Entre 10 et 15 % des médailles aux Jeux de Tokyo auraient pu être partagés, selon nos calculs »écrivez à Feifei Li et Will G. Hopkins dans leur étudeConsulté à ce sujet, le CIO précise que :« Aucune réforme n’est à l’ordre du jour ».
Au risque de décevoir les collectionneurs, les médailles d’or, d’argent et de bronze des Jeux de Saint-Louis ne sont même pas devenues des objets de collection. Contrairement à la petite médaille de bronze remise à tous les participants cette année-là, déclare David Convery, qui évalue les articles de sport pour Graham Budd Auctions. « Elle se vend entre 8 000 et 13 000 euros dans les salles de ventes, alors que les mêmes médailles distribuées à tous les concurrents des Jeux de Paris 1900 et de Londres 1908 ne dépassent pas quelques centaines d’euros. » Peut-être que cette année-là à Saint-Louis, l’important était vraiment de participer.