De notre correspondant spécial dans les salles d’escalade,
Si l’escalade avait été la vedette des Jeux de Tokyo auprès du grand public, l’épreuve avait laissé un certain scepticisme chez les passionnés. Principale cible des critiques, cette ignoble combinaison vitesse-bloc-difficulté, réunie dans une seule épreuve avec autant de subtilité que de mélanger trois viandes dans un taco. Un peu comme demander à Léon Marchand, après son 400 mètres, de le compléter aussi par une épreuve de natation synchronisée. Ou que pour décrocher une médaille d’or, un coureur devait aussi faire du saut à la perche et lancer un… Bon, ça existe, c’est le décathlon, notre faute.
Cette deuxième session d’escalade aux Jeux olympiques a été l’occasion de faire un peu mieux, avec non pas une, mais deux épreuves. D’un côté, la vitesse pure, de l’autre un combo Difficulté-bloc déjà un peu plus cohérent. « Ce n’est pas encore parfait, mais c’est déjà mieux », s’exclame Malcolm, 32 ans, devant les épreuves de ce matin. Comme beaucoup de fans de murs et d’ascensions de sommets, Malcolm regarde les épreuves dans sa salle d’escalade, transformée en fan zone miniature pour connaisseurs.
Les puristes et la « vraie » escalade
Malcolm est plutôt content de ce qu’il voit jusqu’à présent. Avant de lâcher, un peu taquin : « C’est vrai que quand on voit l’escrime, on se demande pourquoi l’escalade n’a pas aussi 20 médailles différentes. Mais ça viendra. »
Ce Parisien de 32 ans se décrit comme un grimpeur « totalement groupie olympique ». Paris regorge certes de pratiquants, et la plaisanterie du moment veut que tous les trentenaires de la capitale finissent soit par se marier, soit par s’inscrire dans une salle d’escalade. Mais les JO ne font pas tout le monde. Comme tout sport en plein essor et qui séduit un nouveau public, certains « puristes » voient d’un mauvais œil cette récente surpopularité. Et les JO ne font visiblement que la renforcer.
Un nouveau public qui n’était pas vraiment attendu
« A Paris, les salles sont déjà pleines à craquer, au mieux ça devient impraticable, au pire dangereux pour tout le monde. Si on ajoute encore du monde… », s’inquiète Chloé, 24 ans, qui grimpe au Climbing Bastille. Même si elle reconnaît « la chance que j’ai de voir mon sport favori à la télévision, et pratiqué par les meilleurs ».
« Pour moi, l’escalade, ce n’est pas ça, lâche Théo. C’est beau, c’est télégénique, je ne dis rien. Mais c’est plus un divertissement qu’un sport. » Comme tout bon puriste, Théo n’échappe pas aux sermons moralisateurs : « L’escalade, ça doit être un combat contre soi-même. Être content de finir son projet (c’est le nom donné à la traversée d’un mur d’escalade), peu importe que les autres aient échoué ou réussi. La compétition, ça me dépasse un peu. »
Le test de vitesse le moins apprécié
D’autres sont plus souples : « Si on pense que ce sport est génial, il faut accepter de le partager. Et puis combien de disciplines rêveraient de faire les Jeux ? Ne chipotons pas », estime Romane, 30 ans. Au contraire, cette diffusion sur le service public, dans un événement planétaire, « va, je l’espère, contribuer à casser cette image d’un sport pour CSP + bobos urbains. L’escalade ne doit pas seulement faire vibrer Paris. »
Un nouveau Bisounours retrouvé après Malcolm ? Et non, car l’épreuve de vitesse est sujette à sa colère : « Non, ça, désolé, je ne peux pas. L’escalade, pour moi, c’est la tranquillité, l’intelligence, la réflexion, le calme. L’antithèse complète. »
Une télégénicité pas assumée jusqu’au bout
Moins critiques, certains avouent quelques regrets, comme Lucas, 28 ans : « C’est beau à voir, mais c’est vrai qu’inventer un site au Bourget alors qu’il y a Fontainebleau à côté… » Un spot mondialement connu pour ses rochers sublimes à escalader. « Bien sûr, ça aurait été impossible, c’est même une bonne chose qu’ils n’y aillent pas, mais quand même, ce n’est pas la meilleure publicité pour l’escalade. »
Après un début poussif à Tokyo, l’ouverture des JO est encore largement saluée – il suffit de voir qu’il y a plus de gens qui regardent la télévision que qui grimpent et l’arrivée des meilleurs grimpeurs « purs » sur le circuit compétitif a calmé la plupart des sceptiques.
Même si tout n’est pas parfait : « Ce n’est que le premier jour, certes, mais pour l’instant, les commentaires ne sont franchement pas à la hauteur. » Un passage de Matthieu Lartot « L’escalade ce n’est pas que des bras et des doigts, il faut parfois utiliser ses jambes » – oui merci, ce sont de loin les muscles les plus importants et les plus utilisés pour grimper – a fait monter l’exaspération de la salle.
Deuxième reproche : « par rapport aux compétitions mondiales, il n’y a pas de notes indiquées en bas, ce qui rend le tout beaucoup plus difficile à suivre. » Si l’escalade doit devenir une épreuve olympique et être conçue uniquement pour le spectacle, autant la faire jusqu’au bout, non ?