« Nous devons tous accepter notre part de monstre »
Une si longue absence. Il a fallu sept ans à l’auteur américain de bandes dessinées Emil Ferris pour publier le deuxième tome tant attendu de Ce que j’aime, ce sont les monstres (M. Toussaint Louverture, 416 pages, 34,90 euros). En 2017, la sortie aux Etats-Unis du premier tome des aventures de la jeune Karen Reyes rencontre un succès fulgurant. Salué par le New York Timesdoublé par Art Spiegelman, le créateur de Maus (Flammarion, 1987-1992), l’artiste a reçu trois prix Eisner pour sa première publication, les récompenses les plus prestigieuses du genre outre-Atlantique. Même accueil en France, où l’album s’est déjà vendu à 150 000 exemplaires – un chiffre colossal pour sa petite maison d’édition – et lui a valu le Fauve d’or au Festival d’Angoulême en 2019.
« Je ne crois toujours pas à ce qui m’arriveconfie l’artiste lors d’un entretien avec Monde par visioconférence, mi-novembre, depuis son appartement de Milwaukee (Wisconsin). Ce qui me touche encore plus, ce sont les retours que je reçois des lecteurs, à qui mon livre s’adresse. » Une histoire d’horreur, une enquête policière, un roman d’apprentissage, une épopée d’émotions, une analyse des pouvoirs de l’imaginaire, le double album est tout cela et bien plus encore.
Le public français, de son côté, réclamait la publication du deuxième volet, mais aussi que l’Américaine de 62 ans vienne aux Utopiales, le festival international de science-fiction de Nantes dont elle était l’invitée d’honneur et dont elle a créé l’affiche, qui s’inspire allègrement du psychédélisme des années 1970. L’annulation de son voyage suite à des problèmes de santé de son compagnon a douché les espoirs de ses admirateurs, qui pourront se consoler avec l’exposition qui lui est consacrée à la galerie Martel, à Paris, jusqu’au 11 janvier 2025.
À tous égards, l’histoire d’Emil Ferris est faite de difficultés et de résilience. Son enfance à Chicago (Michigan) a été marquée par d’importants retards de mobilité suite à une scoliose dès la naissance – « J’ai appris à dessiner avant de savoir marcher ! » » –, à laquelle s’ajoute une agression sexuelle dont elle a été victime. Cet épisode traumatisant, survenu alors qu’elle regardait un dessin animé à la télévision, » (L’)s’est profondément transformé en même temps qu’il a changé durablement (c’est) rapport à la bande dessinée »elle témoigne.
La lecture intensive de magazines d’horreur lui offre une bonne bouffée d’air frais. Une influence majeure trouvée dans Ce que j’aime, ce sont les monstres. L’œuvre est conçue comme le journal intime de Karen Reyes, une intrépide loup-garou de 10 ans qui entreprend d’enquêter sur la mort de sa voisine Anka Silverberg, une survivante de l’Holocauste assassinée dans des circonstances obscures. « La plupart des gens m’appellent Emil Ferris, mais certains disent que mon vrai nom est Karen Reyes… » glisse d’un air mystérieux l’auteur aux mains chargées de grosses bagues aux couleurs vives, dont une « anneau de coléoptère navajo ». Outre la représentation de diverses créatures effrayantes, des reproductions au crayon de Unes de magazines d’horreur ponctuent régulièrement la narration dans les deux volumes.
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