La Croix : L’Évangile peut-il être la base de la réflexion chrétienne lors d’un choix politique ?
Jacques-Benoît Rauscher : Ce n’est pas une question facile. Je crois qu’il faut d’abord rappeler que, dans l’Évangile, lorsqu’une question est adressée à Jésus, il la renvoie toujours à son interlocuteur. Lorsqu’on lui a demandé : « Dites à mon frère de partager notre héritage avec moi »il répond : « Qui m’a alors nommé pour être votre juge ou l’arbitre de vos divisions ? » (Luc 12, 13-14)
Jésus n’a pas abordé toutes les questions et fait souvent référence à la responsabilité personnelle. Nous devons déplorer une seule traduction politique de l’Évangile : ce n’est pas un manuel moral ou un vade-mecum de choix politiques. Cela dit, l’Évangile donne des repères qui ne dispensent pas de réflexion, laissant place au pluralisme.
Selon vous, quels sont ces repères que donne l’Évangile ? L’option préférentielle pour les pauvres est par exemple souvent évoquée. Comment l’interpréter ?
J.-BR : L’attention portée aux plus pauvres dans la Bible est fondamentale pour le peuple élu. Particulièrement pour ces trois pauvres personnes que sont la veuve, l’orphelin et l’étranger. En ce sens, ouvrir les portes à ceux qui vivent dans l’extrême pauvreté est un principe clé. Mais je situerais cette option préférentielle en faveur des pauvres dans une perspective de service du bien commun.
Aider les pauvres signifie se souvenir de ce qui nous lie et nous unit dans la société. En ce sens, il n’y a pas lieu d’opposer le souci des pauvres et le souci de sa famille ou des valeurs de sa culture. Ces éléments convergent vers la recherche du bien, qui est centrale pour le chrétien. Le chrétien doit échapper à l’alternative entre préoccupation humanitaire et attitude de défense d’un héritage national.
La foi seule peut-elle vraiment justifier le choix d’un candidat ?
J.-BR : Toutes nos décisions doivent être inspirées par notre foi. Mais attention à ne pas faire de la foi un critère absolu de choix politique. Un croyant qui prend une décision politique doit tenir compte du contexte qui l’entoure. Si l’on choisit uniquement dans une application stricte des textes sacrés, on penche vers la théocratie, et donc on s’écarte de l’Évangile qui appelle à rendre à César ce qui est à César.
Un chrétien qui ne voterait que pour un parti « parce que l’Église me le demande » oubliez que la foi s’incarne dans des contingences pratiques. Jésus demande à ses disciples d’être « simple » comme la colombe mais « prudent » comme le serpent. Nous ne devrions pas chercher une réplique parfaite de la foi dans les programmes politiques.
Par rapport à l’Évangile, certains votes sont-ils exclus ?
J.-BR : Nous ne pouvons pas interdire le choix d’une personne pour une étiquette politique. En revanche, il ne faut jamais voter pour se défouler ou sur un seul critère, sans remettre en cause le bien de mon entourage. Qu’il y ait du pluralisme n’est pas choquant en soi. Mais un nationalisme fermé ou une opposition entre classes sociales, économiques ou raciales serait gravement incompatible avec l’Évangile.
Un autre élément avancé par le Pape me semble intéressant. Le chrétien ne doit pas avoir peur de se salir les mains. En ne voulant pas choisir, Ponce Pilate a contribué à la condamnation de Jésus. L’abstention ou le vote blanc ne devraient pas être une solution de facilité si aucun parti ne correspond totalement à ses idées. Son utilisation doit être extrêmement rare. Les chrétiens ne peuvent ni s’exonérer d’une réflexion plus approfondie ni se dérober à leurs responsabilités.
(1) Cerf, mai 2024, 192 p., 18 €.