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Nous avons vu la nouvelle adaptation du mythe érotique « Emmanuelle » : ce plaisir qu’on aurait aimé qualifier de charnel

Nous avons vu la nouvelle adaptation du mythe érotique « Emmanuelle » : ce plaisir qu’on aurait aimé qualifier de charnel

Cinquante ans après le film de Just Jaeckin avec Sylvia Kristel, phénomène de société dans la France giscardienne, la réalisatrice Audrey Diwan propose une nouvelle adaptation du roman d’Emmanuelle Arsan à l’ère post-#MeToo avec Noémie Merlant dans le rôle-titre. Une exploration du désir féminin qui sera jugée selon son humeur élégante ou théorique.

Non, à aucun moment Noémie Merlant ne s’assoit à moitié nue dans un fauteuil en rotin aussi grand qu’une conque boticélienne ! D’ailleurs, autant vous dire la vérité (totalement nue, elle) tout de suite : le film Emmanuelle par Audrey Diwan avec le merveilleux susmentionné n’est pas le remake du film Emmanuelle de Just Jaeckin avec Sylvia Kristel, mais une nouvelle adaptation du roman d’Emmanuelle Arsan. Oui, la nuance est coquine mais c’est la seule.

Pour mémoire, la première adaptation réalisée par un photographe de mode, dont c’était le premier film avec un jeune mannequin hollandais en difficulté, est sortie à l’été 1974, quelques semaines après l’élection de Valérie Giscard d’Estaing. Candidat à la présidentielle, il avait en effet promis d’abolir la censure. Emmanuelle était donc sorti dans le circuit commercial classique, assorti d’une interdiction aux moins de 18 ans et avait connu un succès colossal : plus de 9 millions de spectateurs en France, plus de 45 millions dans le monde ! Son érotisme chic, son exotisme luxueux (quoique humide en fin de journée), sa narration littéraire, son fauteuil en rotin… le film était un phénomène de société dont la relecture (quel beau dindon !) ne laisse aucune idée de l’ampleur.

Libération sexuelle

Bref, en bref, ceci Emmanuelle L’original témoignait de ce qu’on appelait alors la « libération sexuelle » à travers le parcours initiatique de la jeune épouse d’un diplomate à Bangkok, découvrant le désir et le sexe au contact des autres, de bien d’autres. Cinquante ans, et de nombreuses suites et copies plus tard, voici le Emmanuelle nouveau. A l’ère post-#MeToo, on était en droit de se demander ce que ce personnage pourtant bien passif et réifié, lascif et aussi complètement délavé, faisait encore là ! Tel qu’il était, il a dû se mettre au goût du jour, inverser son regard, abandonner le « male gaze » plus ou moins libidineux au profit du point de vue féminin.

Une belle mission assumée par la réalisatrice Audrey Diwan, figure féministe du cinéma français indispensable pour avoir Annie Ernaux (L’événementLion d’or à Venise), sa co-scénariste Rebecca Zlotowski qui n’a de cesse de déconstruire nos représentations des femmes (Une fille facile avec Zahia Dehar) et enfin Noémie Merlant, une comédienne dont l’audace et le charme semblent n’avoir aucune limite (Portrait de la jeune fille en feu). Avec eux, Emmanuelle n’est plus un objet de désir mais un sujet en quête de désir : Emmanuelle il ne s’agit plus d’une ouverture aux plaisirs de la chair mais d’une libération du plaisir dans le singulier, le sien, sa jouissance aux abonnés absents.

Indépendant unique

Fini l’épouse soumise, place à la femme célibataire indépendante : Emmanuelle est chargée du contrôle qualité pour un grand groupe hôtelier de luxe. Elle débarque dans un palace de Hong Kong pour en évaluer les prestations avec un soin maniaque, sous l’œil de sa directrice qui occupait auparavant le même poste (Naomie Watts). Là, elle va très vite être fascinée par deux personnalités dissonantes. La première est une jeune Hongkongaise (Chacha Huang) qui séduit les hommes au bord de la piscine et les emmène dans une chambre pour des relations rémunérées mais partagées ; elle deviendra son amie et initiatrice. La seconde est une riche cliente du palace (Will Sharpe), mystérieuse, presque inquiétante, qui résiste à toutes les avances ; ce qui est une telle nouveauté…

Ainsi, tout en accomplissant sa mission de contrôle, Emmanuelle va chercher en multipliant les expériences sexuelles, à atteindre ce plaisir qui lui échappe, regardez, comme ce beau brun. Et ce dans un hôtel de luxe à la perfection dévitalisante. Logiquement, le film se retrouve, si l’on ose dire, dans la même position : il multiplie les scènes de sexe ou de tension sexuelle, sans jamais perdre son contrôle, obsédé (plutôt qu’obsédé) par la justesse de son regard et sa distance par rapport à ce qu’il regarde. Pas question de néo-prudence cependant, Audrey Diwan n’a peur de rien et Noémie Merlant n’a peur de rien mais elles préfèrent mobiliser notre imaginaire plutôt que notre émotion, autrement dit notre tête plutôt que notre cœur.

Si l’on apprécie de voir l’actrice nuancer son jeu de la froideur initiale à la chaleur préliminaire, si l’on apprécie la mise en scène élégante qui a le bon goût de chercher son inspiration (quand ce ne sont pas des prises de vue directes) chez Wong Kar-wai, on peut aussi retrouver ce Emmanuelle théorique, un peu rigide et toujours occupé à déconstruire un cinéma érotique masculin-hétéro-normatif. Le grand film érotique féministe mettant à l’honneur le plaisir féminin, dans la beauté et dans le partage reste à faire. En attendant, on se reverra volontiers L’empire des sens.

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