Divertissement

« Nous avons laissé une idole se créer, plutôt que de rendre justice »

« Quel malheur pour vous, lorsque tous les hommes disent du bien de vous ! » (Luc 6, 26)

Le Dieu de l’abbé Pierre nous a semblé incarner la justice du Royaume. Non seulement l’abbé prenait soin des pauvres, mais il avait renversé l’ordre de la charité. Il ne donnait pas le surplus de richesses que possède l’Église. Il ne faisait pas de charité. Il partageait la vie des pauvres et les élevait à la dignité par le travail. L’œuvre d’Emmaüs continuera à donner un aperçu de la justice que le Messie est venu proclamer. Nous l’espérons ardemment. Mais cette justice n’a jamais cessé d’être bafouée par un homme et par l’institution qui masquait la réalité.

Affaire Abbé Pierre : « Pourquoi ces hommes qui ne respectent pas leur chasteté restent-ils prêtres ? »

Suite au rapport remis la semaine dernière, une chronique rédigée par des spécialistes de la violence dans l’Eglise a apporté de nouveaux éléments bien documentés Le monde. Henri Grouès, de son vrai nom, avait été envoyé en psychiatrie à la fin des années 1950 pour ses compulsions qui lui avaient valu des agressions sexuelles répétées. Les membres de l’épiscopat en étaient conscients, ainsi que le mouvement Emmaüs.

Créer une idole

On a donc préféré laisser se faire une idole plutôt que de dire la vérité et de rendre justice. Certes, l’époque n’était guère protectrice des femmes, mais ce dont s’est rendu coupable Henri Grouès, au vu et au su de ses chefs, était déjà bel et bien condamné par les Ecritures (« Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain »), par le droit canon et par le Code pénal. On a préféré laisser se répandre l’image d’un homme bon pour le peuple (n’avait-il pas été résistant ?) et surtout pour les plus pauvres d’entre eux. De loin, il ressemblait à un saint !

L’abbé Pierre désanctifié

Dans les années 1950, l’Église a montré à la France qu’elle travaillait pleinement avec la Nation, jusque dans ses institutions républicaines. Dans les années 1980, le bon abbé a adouci les traits d’un nouveau rigorisme moral catholique qui s’abattait sur la France et l’Église en général. Argument cynique, dira-t-on ? On en lit des semblables dans les Évangiles de la part des autorités religieuses. « Vous n’entendez rien, vous ne voyez pas ce qui est dans votre intérêt : il vaut mieux qu’un seul homme meure, et que la nation entière ne périsse pas »…

Ici, la logique s’est inversée. Vous ne voyez pas l’intérêt ? Il vaut mieux sacrifier quelques victimes et entretenir notre idole pour que l’image de l’Église nous soit favorable grâce à ce petit frère universel. Le machisme et le cléricalisme n’ont aucun mal à se donner la main. Qu’est-ce que voler un baiser et sentir les seins face à la Vérité pour être sauvé en ces temps de péril ?

Les confidences de l’abbé

Quelle image de la sainteté avons-nous de nous-mêmes pour nous être laissé prendre ? Il y avait bien eu les confidences de l’abbé sur sa chasteté difficile, à la fin de sa vie. Il aurait eu une relation amoureuse, consensuelle – comme on dit. Cela le rendait d’autant plus aimable ; « le pauvre », si seulement on donnait aux prêtres la permission de se marier. Voyez-vous, l’Église est une bonne mère, elle n’a pas chassé son fils avec une chair un peu faible…

Affaire Abbé Pierre : les lecteurs de « La Croix » entre peur, tristesse et perplexité

Il était l’image même d’un bon religieux. Roland Barthes dans son MythologiesEn 1957, il en avait identifié les traits : barbe franciscaine, canne de pèlerin, cape d’ouvrier ou de soldat. Ses débordements médiatiques lui donnaient des airs de prophète, tout en gardant une allure suffisamment bon enfant pour ne pas inquiéter les autorités avec un ton révolutionnaire. Dans les mêmes années, Jacques Gaillot subit un autre sort, non pas pour des actes pénalement répréhensibles mais pour ses opinions. L’abbé Pierre, lui, apparaissait sur les écrans de télévision comme s’il venait d’un autre âge. Il semblait avoir dialogué avec François d’Assise. Il était vêtu d’éternité.

Fais la différence

Sa radicalité garantissait son authenticité à nos yeux. Avec l’âge, devenu frêle, il formait un binôme avec Sœur Emmanuelle. Avec leur franchise, leur humour malicieux mais un peu naïf, tous deux tempéraient les rigueurs des nouveaux visages officiels de l’Église des années 1980 et suivantes. Tous deux étaient d’abord et avant tout des virtuoses du bon Dieu. Vivre des poubelles du Caire ou collectionner des vêtements d’occasion n’est pas à la portée de tous, mais combien d’humanitaires font de même. Le prêtre avait au fond rejoint la génération des Resto du Cœur. De nombreux non-croyants pouvaient se réjouir avec les fidèles chrétiens d’un tel visage qui rendait crédible l’appel à aimer son prochain.

Affaire Abbé Pierre : « Pourquoi ces hommes qui ne respectent pas leur chasteté restent-ils prêtres ? »

Mais alors, comment le savoir ? Comment faire la différence ? Deux remarques s’imposent. D’abord, ne partons pas du principe que le mal l’emporte. Si la révélation successive des scandales les rend difficiles à croire aux yeux de certains prêtres et religieux – et cela se comprend – ce serait céder à la tentation d’un jugement hâtif et injuste. Le remède ici est simple : il suffit que les institutions de l’Église ne cachent plus ceux qui commettent des actes répréhensibles par la loi.

Les saints, des héros parfaits ?

Le deuxième élément est la responsabilité de chacun d’entre nous. Les saints ne sont pas des héros parfaits, à considérer, de leur vivant, comme les égaux de Dieu. Nous devons résister à la tentation d’idéaliser ceux qui font le bien, comme s’ils devenaient des exceptions, et échapper aux combats que nous menons tous. La sainteté nous révèle comment, à travers nos résistances et le mal qui nous traverse tous, Dieu travaille avec nous pour faire germer la justice et la vérité sur la terre.

Au journal télévisé de la semaine dernière, un homme que l’abbé Pierre avait tiré de la pauvreté déclarait : « Nous l’avions pris pour un Dieu, nous tombons un peu d’une grande hauteur ». Comme ses paroles sont justes, qui ne nient pas le bien apporté, mais l’illusion dans laquelle nous sommes tombés. Malheur à ceux qui l’ont entretenue ! Moïse qui défend la loi est aussi celui qui dénonce les idoles, car elles éloignent les croyants du Dieu qui se fait si proche.

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
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