« Nous avons l’agilité d’une PME avec les ressources d’un groupe de 6 700 personnes »
Par
Nicolas Pipelier
Publié le
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Habituellement discret, le président du groupe Dubreuil a bien voulu répondre à nos questions.
Cela ne doit rien au hasard. Profitant de 100 ans du groupe fondée par son grand-père en 1924, Paul-Henri Dubreuil a souhaité mettre en avant la réussite de ce mastodonte de l’économie vendéenne qui compte 6 700 salariés répartis dans 47 filiales et qui réalise un chiffre d’affaires de 3,161 milliards d’euros.
Le Journal du Pays Yonnais : Votre grand-père a fondé l’entreprise il y a 100 ans. Votre père a fondé le groupe et vous le dirigez actuellement avec vos sœurs. Récemment, votre fils l’a rejoint. Qu’est-ce que ça fait de travailler en famille ?
Paul-Henri Dubreuil : Je crois beaucoup aux vertus de l’entreprise familiale. Au fil des années, nous avons réussi à construire Actionnariat 100% familial au sein du groupe. Ce qui signifie qu’aucun financier ou fonds d’investissement ne participe à notre capital. Nous contrôlons nos décisions sans avoir besoin de nous référer à qui que ce soit, sauf aux membres de notre famille.
Cette gestion nous permet d’avoir une continuité dans les décisions et d’assumer des risques que nous ne pourrions pas prendre si nous étions liés à des banques ou à des fonds d’investissement. La seule limite est que l’harmonie familiale doit être bonne. C’est la faiblesse de ce modèle.
Comment s’effectue la transmission entre générations ?
Les choses se font avec continuité et stabilité. Je ne connaissais pas mon grand-père. À l’époque, il avait deux ou trois entreprises. C’est mon père qui a créé le groupe en tant que personne morale. Je suis arrivée en 1994 et mes sœurs, un peu avant.
Nous avons conclu un pacte Dutreil pour transmettre les actions du groupe à nos enfants de notre vivant et à un coût fiscal raisonnable. À une époque, les entreprises ne dépassaient pas la troisième génération car à mesure que les valeurs de l’entreprise se développaient, la fiscalité devenait coercitive. À la maison, nos enfants – mes sœurs, mes cousines et moi-même – sont déjà associés au capital.
Quant à la gestion du groupe, nous avons un conseil d’administration où siègent mon père, mes deux sœurs, mon fils aîné Nicolas, un directeur financier, un administrateur externe et un administrateur représentant les salariés. Nous examinons la situation, les investissements et les options stratégiques.
Nos ressources financières sont uniquement liées aux résultats que nous obtenons. Nous n’avons pas d’argent venant de l’extérieur de la famille. D’où l’intérêt d’avoir des entreprises qui capitalisent sur plusieurs décennies pour continuer à investir et à se développer.
Alors aucune chance de voir Dubreuil ouvrir son capital aux actionnaires ?
Quoi qu’il arrive, le capital du groupe restera 100% familial. Ouvrir une succursale, pourquoi pas. C’est presque arrivé avec CMA CGM pour la partie Dubreuil Aéroqui chapeaute les deux compagnies aériennes, au moment de la crise du Covid, qui a été très douloureuse pour nous. Mais il n’est pas question d’ouvrir le capital du groupe en tant que tel.
Parlez-vous de travail avec vos proches pendant le poulet du dimanche ?
Oui. Cela peut être vécu comme un inconvénient. Pour moi, ce n’est pas le cas. J’entendais toujours mes parents parler de l’entreprise lors des déjeuners. Quand j’ai vu mon père ce dimanche, nous avons parlé travail pendant une demi-heure, cela ne nous a pas posé de problème. Cela fait partie de notre vie.
Il n’y a pas de frontière, comme c’est souvent le cas pour les salariés, entre vie professionnelle et vie personnelle. Chez nous, cette limite n’existe pas, pour le meilleur ou pour le pire. Quand tout va bien, harmonie familiale est harmonieux. Lorsque les affaires sont plus difficiles ou qu’il y a des désaccords entre les membres, cela peut générer des tensions.
Et avec ton fils ?
Avec Nicolas, ça dépend. Mon fils vient tout juste de commencer sa carrière. La nouvelle génération est plus axé sur la réussite personnelle que professionnelle. Cette tendance s’observe partout. Il m’entend parler du groupe depuis qu’il est très jeune.
Dans notre famille, les petits-enfants sont actionnaires dès l’âge de sept ans et sont invités aux assemblées générales. Il n’y a pas de dissociation entre vie personnelle et vie professionnelle, comme c’est souvent le cas des chefs d’entreprise, et encore plus dans les entreprises familiales puisque les membres sont actionnaires.
Qu’est-ce qui a fait le succès du groupe à travers les générations ?
Le triptyque : commerçant, gérant et gérant. Mon grand-père Henri en est un bon exemple.
Nous nous définissons avant tout comme des commerçants, tournés vers le client, attentifs à ses souhaits dans le but de le fidéliser.
Mais nous sommes aussi des managers. Cela nécessite de savoir bien s’entourer et choisir les bonnes personnes à tous les niveaux : chefs de division, patrons de filiales, membres du comité de direction, cadres et salariés. Une fois intégrés, nous veillons à les accompagner du mieux possible, les former et les encourager promotions internes pour ceux qui veulent évoluer.
Au fil du temps, le groupe a dû s’adapter. Aujourd’hui, il faut composer avec le télétravail, les RTT, la semaine de quatre jours… Chaque année, avec le chiffre d’affaires, nous recrutons 1 200 personnes. Pour rester attractifs, nous devons avoir une approche employeur attractive. C’est aussi pourquoi, à l’occasion du 100ème anniversaire, nous avons souhaité mettre un peu de lumière sur le groupe et raconter notre histoire familiale.
Enfin, nous sommes des managers. Nos métiers génèrent de faibles marges. Pour gagner de l’argent, il faut regarder les choses de près. Cela signifie des tableaux de bord et une responsabilisation de nos patrons sur le terrain.comptes d’exploitation. Ces résultats assurent la pérennité et le développement du groupe.
J’ai vu tellement de collègues du Réseau Entrepreneurial qui ont attendu la fin de l’année pour découvrir ce qu’ils avaient gagné. Nous ne le faisons pas. Nous voulons savoir le 10 du mois ce que nous avons gagné le mois précédent. Si cela ne fonctionne pas, comprenez pourquoi et corrigez le tir immédiatement, sans attendre la fin de l’année pour réagir.
Crise sanitaire, envolée du coût des matières premières, hausse de l’énergie, décarbonation de l’économie… n’est-il pas facile de piloter un paquebot comme le groupe Dubreuil dans ces eaux troubles ?
Pilotage, le terme est intéressant. Dans la famille, nous aimons les avions et nous les pilotons. Notre groupe n’avance pas comme un porte-avions, mais plutôt comme une flottille de destroyers.
Certes, nous avons 6 700 salariésmais chaque filiale est dirigée par des patrons qui agissent comme s’il s’agissait de leur entreprise. Chaque division s’appuie sur des spécialistes (TP, auto, aérien…) qui ont la réactivité des PME. Au niveau de la holding, nous opérons comme un généraliste.
Le groupe agit comme une fédération de PME plus qu’une grande entreprise avec une myriade de niveaux hiérarchiques. Les responsables de divisions ou de filiales ont un accès direct à moi. Cela permet d’avoir l’agilité d’une PME avec les ressources d’un groupe et l’appui d’une holding de 120 personnes (avocats, spécialistes marketing, digital, finance, immobilier, trésorerie…) au service des filiales.
Le groupe Dubreuil en chiffres
3,16 milliards, chiffre d’affaires consolidé en 2023.
6 700 salariés.
1 500 collaborateurs basés en Vendée.
230 sites en France métropolitaine et outre-mer.
7 métiers : automobile, aéronautique, matériel de chantier, machinisme agricole, énergie, poids lourds, hôtellerie.
47 filiales : Clara automobiles, Trident, Air Caraibes, Frenchbee, New loc, Flamino, éko vrak, Star trucks, Square lodge, Hôtel Mercure…
1 groupe familial depuis quatre générations.
100 ans d’existence en 2024.
La suite de l’interview dans un prochain article dans Journal du Pays Yonnais…
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