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« Nous avons besoin d’une réponse humanitaire beaucoup plus forte »

« Nous avons besoin d’une réponse humanitaire beaucoup plus forte »

La Croix : En quoi la crise au Soudan est-elle l’une des « pires crises humanitaires des dernières décennies » comme l’a déclaré le président international de Médecins sans frontières, Christos Christou ?

Jérôme Tubiana : Il s’agit de la pire crise de déplacement au monde. Dix millions de personnes ont déjà dû se déplacer, dont deux millions à l’étranger, principalement vers les pays voisins. Tout cela sur une population totale de 45 millions d’habitants.

Le Soudan est également confronté à une très grave crise alimentaire. Nous sommes au bord de la famine dans plusieurs régions. Il y a des zones assiégées et des gens bloqués. Le transport des produits alimentaires est compliqué et certains belligérants cherchent à profiter de l’économie de guerre en faisant des affaires, en contrôlant les routes, etc. Les prix des denrées alimentaires sont donc extrêmement élevés.

La ville d’El-Fasher, au Darfour, est sous le feu des projecteurs ces derniers temps, quelle est la situation là-bas ?

JT : Dans la ville d’El-Fasher, capitale de la province du Nord Darfour et seule ville à ne pas être sous le contrôle des Forces de soutien rapide (FSR, groupe paramilitaire en guerre contre l’armée régulière, NDLR), ils sont environ 1,5 million. personnes, dont la moitié sont déplacées. Nous avons estimé que pour nourrir ne serait-ce qu’un tiers de cette population, il faudrait 370 camions de 20 tonnes de nourriture par mois. Mais depuis la guerre, il n’y a quasiment plus eu de distributions de nourriture et la réponse humanitaire n’a pas été au rendez-vous.

A El-Fasher, Médecins sans frontières est quasiment la seule présence humanitaire. Mais nous avons dû fermer un hôpital à cause d’une récente intrusion du FSR. Aujourd’hui, un seul hôpital est fonctionnel. Depuis plus d’un mois, les combats sont intenses entre les RSF et les groupes armés, ainsi qu’entre les habitants armés qui défendent leur ville. Nous craignons des massacres ethniques en représailles. La pression internationale est forte pour qu’El-Fasher ne soit pas assiégé, et récemment une résolution des Nations Unies appelant à la fin des combats a été adoptée, mais les belligérants n’y ont pas tenu compte.

Nous espérons pouvoir faire venir du matériel médical et de la nourriture, mais l’accès est de plus en plus difficile. Depuis le début de la bataille, nous avons quand même pu nous déplacer et évacuer un petit nombre d’expatriés. Il n’est pas impossible d’acheminer du matériel humanitaire, cela nécessite des négociations. Mais certains acteurs humanitaires se limitent par peur de prendre des risques.

Comment améliorer la situation ?

JT : Nous avons besoin d’une réponse humanitaire beaucoup plus forte. Lors de la conférence à Paris le 15 avril sur le financement de cette réponse, des promesses de dons ont été faites, qui n’ont couvert que 50 % des besoins. Toutefois, ces promesses ne sont pas toutes tenues. La mobilisation est insuffisante et nous devons également veiller à ce que l’aide parvienne à ceux qui en ont besoin. Le problème des garanties est réel face à des belligérants pour qui ce n’est pas leur préoccupation première et qui ont du mal à faire respecter le droit international par leurs troupes.

Mais il faut aussi insister sur le fait que la réponse ne peut être uniquement humanitaire, lorsque des civils sont visés. Il faudra aussi parler de la protection des populations et du manque de respect des opérations humanitaires et des structures de santé. À El-Fasher, depuis le 10 mai, plusieurs incidents ont eu lieu, notamment un raid d’hommes armés sur un hôpital, ou encore des bombardements sur ou à proximité de l’hôpital.

Pour l’instant, la réponse occidentale est insatisfaisante, notamment du point de vue de la situation des réfugiés fuyant le Soudan et se retrouvant dans les pays voisins. Les pays européens ne semblent même pas envisager d’appliquer la directive de protection temporaire qui permettrait d’accueillir des réfugiés, comme ils l’ont fait pour les Ukrainiens. Il existe deux poids, deux mesures.

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