Divertissement

nos coups de coeur pour l’été 2024


CONTRE’Place aux longues journées, aux nuits étoilées et aux heures tranquilles. Mais que seraient nos vacances d’été sans un bon roman à portée de main ? Une grande aventure maritime, sur les traces d’un Moby Dick européen, une poésie incandescente sous la plume d’une chanteuse intense, une rêverie macabre dans l’univers de la haute couture parisienne, un voyage fou dans l’Ouest américain ou encore un hommage poignant aux victimes du Bataclan : faites votre choix parmi nos coups de cœur de ces dernières semaines. Il ne vous reste plus qu’à trouver votre transat !

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Sur les traces d’une orque mythique

« Le soleil se coucha quatre fois sur son chemin… » Amis de Joyce et de Rabelais, sentez-vous en bonne compagnie. Car l’Italien Stefano D’Arrigo (1919-1992), qui, après ce livre magistral à l’aura légendaire, n’en publia qu’un autre, est de leur famille. Celle des écrivains qui conçoivent la littérature comme la quête d’un nouveau langage, et qui demandent à leurs lecteurs, en échange, la patience et l’endurance de faire, avec eux, une expérience radicale. Orque Horcynus, Nom latin ici hellénisé de ce qu’on appelle communément orque ou orque, raconte – s’il « raconte », le mot paraît si banal – le retour chez lui à Charybde, en Sicile, en octobre 1943, d’un marin démobilisé, ‘Ndrja Cambria. Charybde, comme personne ne l’aura remarqué, est l’un des monstres jumeaux, l’autre étant Scylla, affronté par Ulysse à son retour, lui aussi, de la guerre, précisément dans ce détroit de Messine où revient ‘Ndrja Cambria.

De toute évidence, la réalité et le mythe se heurtent, se frottent et produisent l’étincelle qui constitue Orque Horcynus. Une grosse étincelle, 1 375 pages, qui ne demandent qu’à enflammer votre été littéraire dans un feu monstre. On y brûle des expressions empruntées au sicilien, au napolitain et au maltais, des inventions comme « féminautes » ou « rivagier », le vocabulaire de la sismologie (on navigue dans les eaux volcaniques), et il faut ici remercier les talents de Monique Baccelli et d’Antonio Werli, traducteurs lancés dans cette entreprise qui tient de l’exploit.

Une lecture difficile ? Certainement plus que la dernière livre qui fait du bien sorti avant l’été, mais pas tant que ça si l’on accepte de se laisser chavirer par cette épopée de sel et de lave, à laquelle D’Arrigo a consacré dix-huit ans, de 1957 à 1975, jusqu’alors inédite en français, et que George Steiner décrivait comme « la réponse européenne à Moby Dick « . Christophe Ono-dit-Biot
Orque Horcynus, par Stefano D’Arrigo. Traduit de l’italien par Monique Baccelli et Antonio Werli (Le Nouvel Attila, 1 375 p., 39,90 €).

Dans les griffes d’un prédateur

Dans le Paris des années 1950 vit une prédatrice déguisée en femme du monde. Née à la campagne, Ida appartient à cette catégorie inquiétante d’enfants qui prennent plaisir à torturer de petites créatures, puis des êtres humains. Devenue femme, elle fuit un mariage qui l’ennuie, abandonne une fille dont elle est jalouse, pour partir à Paris à la conquête de la mode. D’abord dans l’atelier d’une grande maison de haute couture,  » Ida avait trempé tout son être dans les larmes de centaines de jeunes filles maltraitées sous ses ordres jusqu’à être tachée d’une aura monstrueuse.

Mais voilà qu’à cinquante ans, l’amour la terrassa. L’objet de son désir s’appelle Jean, un jeune homme de vingt ans d’une beauté folle. Il est doux et sensible, elle veut le posséder.  » Jean, le regard résigné, le pressentiment du sang au flanc, s’apprêtait à devenir la bête sacrifiée sur l’autel de la cruauté au premier atelier », écrit Jennifer Kerner, thanato-archéologue, qui publie ici son premier roman, après plusieurs essais passionnants consacrés notamment aux rites funéraires (dont Le mari de la nuit(Gallimard, 2023).

La mort, grand sujet de l’auteure, est à sa place dans ce court et intense récit gothique qui aborde un sujet rarement abordé en littérature : la violence sexuelle des femmes envers les hommes. Ce péril qui grimpe à coups d’épingles et de ciseaux se mêle au récit des parcours de vie d’Ida et de Jean. Toutes deux sont marquées par un sentiment d’étrangeté par rapport au reste du monde. Jennifer Kerner construit leur récit comme un escalier en colimaçon que le roman parcourt en tous sens, alternant passé et présent, dans le tourbillon d’une plume élégante, charnelle et incisive. Ce récit plein d’odeurs, d’images, de sensorialité et de pulsions coupables entraîne le beau, le bizarre et l’horrible dans une danse macabre qui nous laisse envoûtés. Élise Lépine
Le tissu en crin de cheval, par Jennifer Kerner (Mercure de France, 176 p., 18,50 €).

Sur les plages d’après-guerre

Hyères, printemps 1945. A l’ivresse de la Libération se mêle l’inquiétude d’avoir tout perdu, l’égoïsme de vivre qu’ont les survivants après le naufrage et la conscience que plus rien ne sera comme avant. Car, dans le silence après l’impact, sur le sable, la mort mord encore. Sur les plages de la Côte d’Azur, des millions de mines laissées par les Allemands explosent pour maintenir « les Français piégés », écrit l’historienne et scénariste Claire Deya, « surtout les enfants ». Fabien revient du maquis, Saskia des camps, Vincent d’Allemagne et Lukas, prisonnier boche, voudrait rentrer chez lui.

Survivants, ils déminent les plages de France et leurs vies. Ennemis d’hier, vainqueurs ou vaincus, tous écrasés dans le grand « fou abattoir international », comme aurait dit Céline, « ils dépendent les uns des autres pour leur survie aujourd’hui », et ont en commun l’envie de vivre et d’aimer à nouveau, malgré la honte, les secrets inavouables et les chagrins incurables. C’est un premier roman plein de pudeur et de subtilité, de charisme et de douloureuse fraternité. Grand Prix RTL-Lire 2024, il dessine délicatement les contours d’une France flottant comme une particule atomisée entre deux eaux, au crépuscule de la guerre, à l’aube de la paix. La marine de Tilly
Un monde à refaire, par Claire Deya (L’Observatoire, 416 p., 22 €).

Sous l’aile de Clara Ysé

« Si tu savais la haine qui coule dans mes veines/Tu aurais peur, tu aurais peur/Si tu savais la chienne que je cache en moi/Tu aurais peur, tu aurais peur. » Aux Rencontres d’Arles, le 2 juillet, dans la nuit du théâtre antique éclairée par les étoiles et les somptueuses images en noir et blanc de Sally Mann projetées sur l’écran tendu derrière sa silhouette, Clara Ysé, invitée à y chanter, a démontré une fois de plus l’étendue de sa maîtrise des rythmes, de la musique et de la parole.

Trois ans après la publication de son premier roman, CuissonPrix ​​Vocation 2021, les éditions Seghers publient son premier recueil de poésie, Vivantle tout nourri de l’influence puissante de Marina Tsvetaeva ou d’Ingeborg Bachmann, vibrant d’une mélancolie acérée qui n’est qu’un instrument pour ressentir davantage les forces de vie chez les « sorcières amicales » : « Le poisson/La bouche ouverte sur la digue/Dort/L’enfant caresse son corps/L’antre des anges est plein d’animaux marins. » Christophe Ono-dit-Biot
Vivant, par Clara Ysé (Seghers, 208 p., 17 €).

Face aux périls du Montana

Mais que vient faire une histoire qui se déroule en 1915 dans la collection « Exofictions » d’Actes Sud, généralement consacrée aux récits de science-fiction et de fantasy ? Ce roman historique commence comme un thriller, se déroule comme un western, vire vers l’horreur et se révèle surtout être un formidable roman policier. tourneur de page. Tout commence en Californie, quand Adelaide, une femme noire de 31 ans, couche les cadavres de ses deux parents dans son lit, puis saute dans une calèche après avoir incendié la ferme familiale. Elle traîne derrière elle une malle cadenassée. A l’intérieur, ce qu’elle appelle sa « malédiction ». Il serait dommage de gâcher la surprise en dévoilant son contenu, mais disons simplement que lorsque la malle est enfin ouverte – après une poussée d’angoisse soigneusement orchestrée par l’écrivain américain de fantasy Victor LaValle, lauréat du prestigieux prix Shirley Jackson pour la littérature fantastique -, elle ne peut pas s’empêcher de penser que la malle est enfin ouverte. La ballade de Black Tom (Le Bélial’ Éditions, 2018) – nous basculerons du côté de Maupassant, Poe et Lovecraft.

En attendant, Adélaïde s’est installée dans le Montana, profitant des Homestead Acts, une série de lois votées par le gouvernement américain pour faciliter l’accès à la propriété : quiconque peut s’occuper d’une parcelle de terre pendant cinq ans en devient propriétaire, sans distinction de race ou de sexe. Dans la conquête de son indépendance, Adélaïde affronte la violence, la solitude et le danger. « Cette terre essaie de nous tuer les uns après les autres, sans exception », l’avertit le charretier qui la dépose à la porte de sa cabane isolée au cœur des bois. Mais la sauvagerie du territoire et de certains de ses habitants n’a d’égale que la solidarité des autres. Face aux périls du Montana et à ses propres démons, Adélaïde noue des liens avec d’autres femmes « seules ». Leur grande aventure, fraternelle, sombre et palpitante, propulse ce roman dans la catégorie des œuvres cultes : celles qui se jouent des modes, se moquent des cases et transcendent les genres. Élise Lépine
Les solitaires, de Victor LaValle. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Stéphane Vanderhaeghe (Actes Sud, « Exofictions », 374 p., 23,50 €).

Quand Laurent Gaudé dit l’indicible

Quel défi ! Revenir à la tragique soirée du 13 novembre 2015, revivre chaque instant en multipliant les points de vue. Certains profitent de cette douce soirée de novembre pour s’asseoir à une terrasse, d’autres vont à un concert, et le « dieu Hasard » rôde : pour lui, ce sera la mort ; pour elle, ce sera la vie. Laurent Gaudé fait du hasard le maître de cette reconstitution documentée, il fictionnalise polyphoniquement l’une des pires manifestations de la barbarie.

Faut-il rappeler les faits ? Et pourquoi y revenir ? Parce que la littérature rapproche le lecteur autant de ce duo de jeunes pompiers que de cet homme cagoulé de la BAC ou de ce médecin arrivé le premier au Bataclan. L’une des séquences clés de ce texte, récemment joué sur la scène du Théâtre de la Colline, est cette accélération de l’horreur au milieu d’une salle de concert, où l’écrivain n’hésite pas à faire parler les mourants, et alors ? Quand elle bat aussi fort que le cœur du lecteur lors de cette relecture, l’écriture elle-même devient la « chaîne de la vie », jusqu’au baiser longtemps différé. Ce petit livre reste une chaîne de solidarité humaine avec les victimes et leurs survivants. Un mémorial de mots. Valérie Marin La Meslee
Terrasses ou notre long baiser si longtemps retardé, de Laurent Gaudé (Actes Sud, 144 p., 14,50 €).


Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
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