« Nos apprentis sont parfois ceux qui sont les moins aisés », les alternants des grandes écoles dans le viseur de Bercy
« J’avais deux solutions, emprunter à nouveau environ 16 000 euros pour financer mon année, ou suivre l’alternance sans frais de scolarité.» Lorsque cette question s’est posée, Antoine était étudiant boursier à Grenoble École de Management (GEM). Il n’a pas hésité longtemps. Pour sa deuxième année de master, le jeune homme a choisi l’année d’apprentissage, naviguant entre ses journées chez Total Énergies à La Défense et ses cours à Grenoble. Une fois son diplôme obtenu, Antoine a pu être embauché en CDI comme analyste financier sur les projets d’énergies renouvelables chez Total Énergies, avec un salaire brut de 50 000 euros par an, sans compter les primes.
S’il avait fait son master à la rentrée 2025, Antoine aurait-il eu le choix ? Actuellement, un employeur qui embauche un apprenti peut percevoir 6 000 euros d’aide pour la première année du contrat. Ces primes sont désormais dans le viseur du gouvernement, notamment pour les apprentis de niveau licence ou master. Des profils d’étudiants qualifiés, qui, selon les défenseurs de ces coupes, n’ont pas forcément besoin de l’alternance pour trouver un emploi.
L’impact de l’alternance sur l’emploi n’est avéré que pour les profils les moins qualifiés, soulignent certains économistes comme Pierre Cahuc, professeur à Sciences Po. En effet, Antoine aurait sans doute trouvé un emploi sans passer par l’alternance. La question est plutôt de savoir s’il aurait pu se permettre d’aller à bac +5. « J’aurais dû m’endetter pour financer moi-même mon M2», explique-t-il. D’ailleurs, le ministre du Travail ne dit rien d’autre. L’alternance permise »un tiers des étudiants d’accéder à ce niveau d’études grâce à l’apprentissage», soulignait-elle récemment.
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66 700 euros pour trois ans
Ainsi, même chez les « apprentis haut de gamme » – étudiants des grandes écoles, apprentis des grandes entreprises – ces coupes ne seraient pas dénuées d’impact social. « Cela aura un impact direct sur nos apprentis bachelier et master, acquiesce Isabelle de Boysson, directrice scientifique du secteur de l’apprentissage à l’ESCP, une grande école de commerce parisienne. Nos apprentis sont parfois ceux qui sont les moins aisés financièrement. Ils doivent payer des frais de scolarité importants (66 700 euros de frais de scolarité pour les trois années du programme Grandes Ecoles – NDLR).
À cet égard, l’alternance est aussi un moyen de favoriser une certaine mixité sociale au sein des entreprises les plus prestigieuses. « Il est néanmoins paradoxal d’enjoindre aux étudiants de viser les meilleurs diplômes et de les priver des aides qui leur permettent d’y parvenir.», résume Isabelle de Boysson. Mais cette prime est-elle défendable dans la mesure où elle favorise la trésorerie de ces grandes entreprises ?
Vous pouvez avoir la meilleure formation académique, tant que vous n’êtes pas confronté à la réalité du métier, vous n’êtes pas opérationnel
Franck Cheron, responsable du conseil RH chez Deloitte
Astrid Panosyan-Bouvet expliquait également il y a quelques jours qu’apprendre était utile »à de nombreuses entreprises, notamment TPE et PME », qui grâce à la prime à l’embauche pourrait «recruter ce type de profil et donc augmenter le niveau de qualité de l’emploi pour tous« . Comprenez, les grandes entreprises n’ont pas forcément besoin de cette aide pour recruter les bons profils.
« Une période d’acclimatation »
« J’entends souvent dire que l’apprentissage devrait d’abord bénéficier aux électriciens, aux plombiers, etc. C’est oublier que le monde du travail a considérablement évolué, poursuit Isabelle de Boysson. Aujourd’hui, le secteur des services représente 70% du PIB en 2022.» Une chose est sûre, même les cabinets de conseil ou d’audit les plus prestigieux ont pris le virage de l’alternance et apprécient les avantages du système qui ne sont pas seulement financiers.
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L’alternance, c’est d’abord la possibilité d’un temps long pour former les futurs salariés à la fin de leurs études. « Vous pouvez avoir la meilleure formation académique, tant que vous n’êtes pas confronté à la réalité du métier, que vous n’êtes pas opérationnel, souligne Franck Cheron, responsable du conseil RH chez Deloitte. Prenez la cybersécurité par exemple. Nous pouvons apprendre à parer une attaque en théorie. Mais si vous n’avez jamais été confronté à un système de ransomware, vous n’avez aucun savoir-faire concret.»
Grande ou petite entreprise, l’apprentissage réduit également les risques de mauvais recrutement, qui peuvent handicaper à la fois l’entreprise et le salarié. « Une période d’essai est de trois ou six mois, remarque Franck Cheron. Avec l’alternance, c’est une période d’acclimatation qui dure 12, 18 ou 24 mois. Nous pouvons juger de la qualité d’un profil avec beaucoup plus de confiance.»