Nos ados déprimés : « Chez les ados, les comportements dangereux sont une manière de renforcer leur sentiment de sécurité intérieure »
Certains auteurs parlent de la paranoïa ordinaire de l’adolescent. Il se sentirait très vite dans la peau d’une victime, persécutée, plongée dans un monde très mal fait à ses yeux.
Car l’adolescence est le théâtre de changements extrêmement profonds et difficiles à vivre. Le psychisme ne suit pas assez vite la transformation très rapide du corps et, pendant la première partie de l’adolescence, il est même en quelque sorte « un enfant dans un corps d’adulte ».
Dans cette « expérience ambiguë », qui le place souvent au bord de la dépression, le jeune cherche les limites de ce corps aux modifications brutales et incontrôlables. Il s’efforce de définir sa propre identité.
On observe aussi parfois des comportements qui peuvent paraître malheureux et dommageables, mais qui ont généralement des vertus protectrices face à la souffrance morale et sociale. Ainsi, il n’est pas rare que des adolescents se coupent volontairement avec un couteau ou un cutter.
A la recherche de limites ? Selon le professeur Alain Malchair, pédopsychiatre, maître de conférences honoraire à l’ULiège et actuellement directeur médical du centre La Manivelle à Liège, ils visent aussi à faire circuler le sang comme si cela leur permettait d’évacuer une tension interne propre à leur statut d’adolescents. « Ils n’ont aucune envie de mourir, mais il faut faire attention à ne pas dépasser certaines limites, comme par exemple couper un tendon. »
Fantaisie Lolita
Ces comportements, communément appelés « équivalents suicidaires », sont nombreux, comme la conduite à une vitesse vertigineuse sur un cyclomoteur modifié ou certains comportements comme la consommation d’alcool ou de cannabis.
Pour les adolescents, c’est une manière de renforcer leur sentiment de sécurité intérieure. Ils veulent se sentir plus forts, se protéger des sentiments d’abandon, de vide, bref, fermer une porte d’entrée vers la dépression. Le problème est évidemment le risque de voir ces comportements se figer et déboucher sur une addiction.
Un autre comportement compensatoire est propre à l’adolescente et pose la question de la sexualité et du rapport à la séduction. En soi, le besoin d’affirmer sa féminité est parfaitement sain, mais il peut lui échapper. On parle du fantasme des Lolitas.
Ici, l’arbre cache la forêt, l’incertitude sur ce corps que l’adolescente ne maîtrise pas encore et dont elle se sert pour tester le regard des autres et conclure qu’elle est bien une femme. « Comme les autres, ce comportement compensatoire comporte une part de danger, car certains hommes adultes interprètent le comportement de la fille comme une invitation. Pourtant, il ne s’agit pas d’un appel, mais d’une expression d’anxiété. »souligne Alain Malchair, qui appelle également à la plus grande prudence lorsqu’on diagnostique une dépression, un trouble bipolaire ou encore une schizophrénie chez un adolescent.
La première étape consiste à se demander si le jeune est réellement entré en pathologie ou si son comportement reflète simplement une manifestation de sa personnalité en évolution et du besoin qu’il ressent de recourir à des mécanismes de protection compensatoires.
Signes à surveiller
Mais quand faut-il considérer qu’un adolescent est réellement entré dans un syndrome dépressif ? En dehors de certaines spécificités propres à l’adolescence, le critère classique reste celui qui est en vigueur chez les adultes : un ralentissement psychomoteur de plus de deux ou trois mois dont les manifestations clés sont une perte d’élan vital et l’incapacité à ressentir du plaisir dans des situations qui en procuraient auparavant. La question devient alors : pour quelles raisons un jeune bascule-t-il dans la pathologie et peut-il même parfois présenter une tendance suicidaire ?
Une première cause pourrait résider dans le fait que les mécanismes compensatoires n’ont pas suffi à assurer une protection suffisante. Les comportements compensatoires perdent leur pouvoir protecteur s’ils basculent dans l’addiction et risquent ainsi de tracer eux-mêmes le chemin de la dépression.
L’addiction a pour corollaires le décrochage scolaire, le développement de comportements inappropriés, l’apparition ou l’exacerbation de tensions familiales, un désengagement progressif de l’environnement social de l’adolescence… Tous ces éléments génèrent un sentiment de mal-être propice à la genèse d’un syndrome dépressif.
Chez les adolescents, une autre voie vers la dépression est le fait d’avoir vécu avec inhibition, d’avoir eu du mal à s’affirmer (surtout socialement) et d’avoir éprouvé une douleur morale en conséquence. « L’anxiété sociale peut être une porte d’entrée vers une expérience dépressive qui peut se transformer en syndrome dépressif avec un risque de suicide. »
Les limites des antidépresseurs
Des conséquences similaires peuvent également résulter d’un phénomène qui a pris une ampleur considérable au cours des quinze dernières années et qui participe de plus en plus au désarroi des adolescents : le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement. « Lorsqu’un psychiatre ou un psychologue prend en charge un adolescent ou un enfant victime de harcèlement, il est essentiel qu’il implique les parents dans sa démarche. Non pas sur un plan thérapeutique à proprement parler, mais afin de les inciter à intervenir vigoureusement auprès de la direction de l’école, des enseignants et des éducateurs afin de protéger leur fille ou leur fils. Les écoles sont parfois peu réactives face à la problématique du harcèlement. »
Comment aider un adolescent à sortir des griffes d’un syndrome dépressif ? Les antidépresseurs peuvent répondre à certains cas, mais ils ne constituent pas une panacée et doivent inciter le thérapeute à la prudence. Pour le professeur Malchair, leur administration à de jeunes dépressifs, mais surtout à de jeunes individus qui traversent une période de mal-être avec seulement l’apparence d’une dépression, n’est pas sans danger.
Certains de ces médicaments induisent initialement une augmentation de l’anxiété, qui peut favoriser un acte suicidaire. En revanche, une psychothérapie ne peut être dispensée en cas de syndrome dépressif avéré chez un adolescent, même si des antidépresseurs sont prescrits.
Pour le directeur médical du centre La Manivelle, la plasticité des adolescents leur permet de bénéficier de différentes approches thérapeutiques. Il n’y a donc pas de voie royale. « Néanmoins, il souligne, « On ne traite pas un adolescent de la même manière qu’on traite un adulte, car l’interaction n’est pas la même. Il ne faut en aucun cas maltraiter la fragilité narcissique fondamentale de l’adolescent en le confrontant brutalement à la réalité – incarnée, par exemple, par une réalité scolaire désastreuse. Dans ce cas, il rechignerait, se replierait sur lui-même, se sentirait persécuté. »
Le pédopsychiatre indique également que, paradoxalement, le thérapeute doit à la fois porter des gants et être direct, mais toujours à travers une porte étroite qui donne au patient le moins de contrôle possible sur les mécanismes de rationalisation et d’intellectualisation que les adolescents utilisent comme moyens de défense. « Pas de problème, je peux m’en occuper. » c’est un peu leur leitmotiv.
Canaliser les parents
Dans la prise en charge des adolescents déprimés, une psychothérapie familiale peut être mise en place, mais une thérapie individuelle peut inclure les parents. Dans ce cas, Alain Machair considère qu’il est essentiel que le jeune soit présent lorsque ses parents sont invités à s’exprimer, sous peine de détériorer le lien de confiance qu’il a construit avec son psy.
En revanche, ce que l’adolescent confie à ce dernier ne doit pas être divulgué ou communiqué à ses parents. « Il faut aussi qu’il soit informé de ce que sait le thérapeute. Beaucoup de parents demandent à me voir sans l’enfant et veulent que je ne dévoile pas le contenu de nos échanges. Je refuse systématiquement. Je leur dis : « Si vous avez quelque chose à dire, il faut qu’il le sache, sinon ces informations ne servent à rien pour la thérapie. »
Si l’on remonte la pyramide des âges, on constate que les enfants ne sont pas non plus à l’abri de la dépression, même si le phénomène est moins fréquent chez eux que chez les adolescents. Les événements de la vie sont généralement les germes de la dépression : une séparation parentale, la maladie grave d’un proche, la préférence des parents pour un autre de leurs enfants, un rejet, une maltraitance ou encore du harcèlement…
Restez jeune et prenez soin de vous ?
Le Festival Solidarité de Namur organise une rencontre/débat entre Salomé Saqué, auteure de Sois jeune et tais-toiet Jérôme Colin, auteur du roman Les Dragonsautour du thème de la santé mentale des jeunes face aux dysfonctionnements de notre société.
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