« Ni colère ni haine, mais déterminé à changer cette société » – Libération
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Avertissement

« Libération » couvre le procès pour viol de Mazan jusqu’à fin 2024. Ces articles relatent des descriptions de violences sexuelles et peuvent choquer.

Gisèle Pelicot a abandonné ses lunettes de soleil rondes. Ces derniers jours, ses traits semblent un peu plus tirés. Pour le reste, du moins en apparence, en huit semaines d’audiences, rien n’a changé. Ni sa douleur : « Je suis une femme totalement détruite » réitère-t-elle, ce mercredi 23 octobre, devant le tribunal correctionnel du Vaucluse. Ni ses mots : « Il me semble que je parle haut et fort. Je n’exprime ni ma colère ni ma haine, mais ma volonté et ma détermination pour que l’on change cette société. Le président Roger Arata a voulu lui donner la parole une troisième fois, à mi-parcours du procès dit pour viol de Mazan, alors que son ex-mari, Dominique Pelicot, et une trentaine de coaccusés ont déjà été entendus.

Les bancs de la salle d’audience, encore clairsemés la veille, sont à nouveau pleins à craquer. A l’extérieur, la salle des pas perdus du palais de justice d’Avignon déborde de soutiens. Certains sont arrivés très tôt, avant le lever du jour, pour avoir la chance d’accéder à la salle de radiodiffusion publique. Gisèle Pelicot, 72 ans, est apparue dans la salle un peu avant 9 heures, dans un long manteau noir, accompagnée d’une vague d’applaudissements ponctuée de « MERCI ! », « Merci Gisèle ! » proclamé à la volée. C’est comme s’ils résonnaient encore lorsque, devant le tribunal, elle rappelle son attachement à la publicité de l’audience, qu’elle a elle-même demandée. « Même si j’entends des choses inaudibles lors de ce procès, je le suis de très près. Je tiens le coup parce que j’ai tous ces hommes et ces femmes derrière moi. Elle vient tous les jours, sauf le lundi, à cause d’elle « rendez-vous avec le psychiatre ». Elle dit également : « Je voulais que toutes les femmes victimes de viol puissent dire « Mme Pelicot l’a fait, nous pouvons le faire. Quand nous sommes violées, nous avons honte, mais ce n’est pas à nous d’avoir honte, c’est à eux

« Je n’ai jamais douté de toi »

A la barre, elle parle de son ancien mari, dont elle est officiellement divorcée depuis fin août. Dominique Pelicot, 71 ans, a reconnu avoir drogué sa femme Gisèle de 2011 à 2020, à son insu, afin de la violer et la faire violer par des dizaines d’hommes recrutés sur Internet. «Je le voyais comme une personne attentionnée et attentionnée.» Pendant quelques instants, elle s’adresse à lui, l’appelle par son prénom, « Dominique », sans jamais se tourner vers sa loge, bloquée par « la charge émotionnelle ». « Nous avons eu cinquante ans de vie ensemble, trois enfants, sept petits-enfants. Tu étais un père attentionné, présent, attentif. Je n’ai jamais douté de toi. Nous avons partagé nos rires, nous avons partagé nos peines, nous avons traversé des moments difficiles, vous avez eu des problèmes de santé, des problèmes de travail, je vous ai soutenu, je ne vous ai jamais abandonné… » Toujours enfoncé dans son fauteuil, Dominique Pelicot l’écoute sans bouger. Il la regarde juste.

Elle continue en parlant de lui à la troisième personne. « Combien de fois lui ai-je dit, « Quelle chance j’ai de t’avoir à mes côtés. Elle se souvient des repas qu’il lui préparait à l’avance, qu’elle percevait comme un signe de son inquiétude. Les glaces qu’il lui apportait parfois au lit, à la mi-temps des matchs de football qu’il regardait dans le salon. « Framboise ou mangue, je n’aime que les sorbets », explique-t-elle, toujours avec la même vivacité effrayée. Elle n’a aucun souvenir des moments où elle « sombré dans le néant ». «Je n’ai pas eu de vertige et mon cœur n’a pas battu la chamade (…). Je me suis endormi en pyjama, je me suis réveillé en pyjama. Si elle « préparé pour ce procès », elle dit qu’elle n’en a pas « je ne comprends toujours pas pourquoi » son ex-mari lui a infligé de tels abus : « J’essaie de comprendre comment ce mari, qui était l’homme parfait, a pu en arriver là. Comment ma vie aurait pu basculer. Cette trahison est incommensurable.

Enfin, le président, puis les procureurs généraux, ont tenté de révéler dans leur témoignage un mobile, une raison qui aurait motivé les actes de Dominique Pelicot. Elle intervient également. « Un complexe d’infériorité » lié à ses origines sociales, un peu plus modestes que les siennes ? Non, « Il n’a jamais eu mal à ce sujet », elle répond. « Une envie de vengeance » lié à une connexion passagère ? « Cela m’a traversé l’esprit de me dire qu’il ne s’était jamais remis du canif dans le contrat (…). Mais c’était il y a trente ans… On en parlait beaucoup et lui-même avait des maîtresses après… » Interrogée par son avocat, Stéphane Babonneau, elle rejette tout sentiment de culpabilité. «Je ne me sens responsable de rien. J’ai beaucoup travaillé pour cela, mais je suis avant tout une victime. Certains prévenus ont tenté, avec plus ou moins de maladresse et de sincérité, de lui présenter leurs excuses. Elle les considère « inaudible ». « Quand ils s’excusent, ils s’excusent eux-mêmes. »

Des signaux que Gisèle Pelicot « n’a pas su interpréter »

Elle sait que certains ont encore du mal à comprendre comment elle a pu ignorer, pendant dix ans, avoir été soumise chimiquement et violée, une centaine de fois, par son mari et des dizaines d’inconnus. Alors encore une fois, explique-t-elle, ce jour-là, elle s’est réveillée avec une nouvelle coupe de cheveux, incapable de se rappeler qu’elle était allée chez le coiffeur la veille. Les trous de mémoire, les absences, le sentiment qu’elle souffrait d’une grave maladie neurologique, que son heure était venue. Les nombreux problèmes gynécologiques qui la pousseront à aller voir « jusqu’à trois gynécologues ». L’épuisement aussi. « Quand je me suis levé fatigué, je me suis dit que j’avais dû me pousser un peu. Je marche beaucoup, parfois 14 à 15 kilomètres par jour.

Quelques jours plus tôt, un avocat s’interrogeait : comme certains prévenus n’utilisaient pas de préservatif, Gisèle Pelicot devait avoir du sperme qui coulait entre ses jambes le matin, ne s’est-elle jamais posée la question ? « Plusieurs fois, je me suis réveillé avec la sensation de perdre les eaux, comme si j’allais avoir un enfant » dit-elle, reconnaissante « plein de signaux » qu’elle n’a pas « incapable d’interpréter ». « J’ai vu ces femmes, ces mères, ces sœurs, témoigner à la barre du fait que leur fils, leur frère, leur père, leur mari était un homme exceptionnel », elle dira aussi. «J’avais le même à la maison. Le violeur n’est pas celui qu’on croise sur un parking tard le soir. Il peut aussi être dans nos familles et parmi nos amis.

Mise à jour : à 20h26, avec le récit complet de notre envoyé spécial.

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