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« Ni chaînes, ni maîtres », un film pour nous rappeler que « l’esclavage et le marronnage sont indissociables »


Dans une France esclavagiste, des hommes et des femmes se battent pour reconquérir leur liberté. Simon Moutaïrou dresse leur portrait à travers le héros de « Ni chaînes, ni maîtres », incarné par Ibrahima Mbaye. Entretien avec le réalisateur et l’acteur.

France Télévisions – Culture Edito

Publié


Temps de lecture : 6 min

La star sénégalaise Ibrahima Mbaye incarne Massamba dans le premier film du cinéaste franco-béninois Simon Moutaïrou, Pas de chaînes, pas de maîtres, à découvrir mercredi 18 septembre. Dans les regards que lance son personnage transparaît la détermination d’un homme décidé à mettre fin aux derniers obstacles à sa liberté en cette année 1759, à l’Isle de France (actuelle Maurice). Suivant les traces de sa fille, il fuit la plantation sur laquelle il est esclave et devient un nègre fugitif.

Massamba emmène le spectateur dans une aventure humaine légitime et palpitante. A l’occasion de la sortie du film, Simon Moutaïrou et Ibrahima Mbaye reviennent avec nous sur leur collaboration et l’importance de l’histoire qu’ils racontent avec passion.

Franceinfo Culture : Réaliser ce premier film sur le marronnage – l’acte d’un esclave qui s’échappe de la propriété de son maître – était-ce pour vous une « obsession » ?
Simon Moutaïrou : Absolument. Adolescent, j’ai grandi avec un manque de représentation. Mon héros était Denzel Washington et en France, je n’avais pas d’images auxquelles m’identifier. Le cinéma peut apporter ce genre d’images et ce sentiment de fierté. J’ai eu la chance de travailler avec Ibrahima (Mbaye) sur ce film, de pouvoir donner au spectateur l’image de cet homme digne, fier, puissant, qui résiste et brise ses chaînes. C’était une obsession pour moi de pouvoir faire ça.

Le rôle de Massamba a une dimension politique, mais aussi spirituelle. Comment Simon Moutaïrou vous a-t-il présenté le personnage ? Et comment avez-vous exploré cette relation père-fille avec Anna Diakhere Thiandoum qui joue Mati ?
Ibrahima Mbaye : A la première lecture et au premier entretien avec Simon, tout était clair : je savais où il voulait aller avec ce personnage et ce film. Il m’a transmis sa fibre très tôt et je me suis attachée à renforcer sa vision. Quant à la relation père-fille avec Mati, elle est universelle. Chacun peut s’y retrouver. Je pense qu’aujourd’hui c’est une relation fragile. On vit dans un monde où la jeune fille, la femme est fragile, mais elle doit trouver sa vraie place dans cette humanité. Que Mati ait l’idée, première, de vouloir briser les chaînes, c’est un symbole fort.

Cela correspond bien à la société dans laquelle les femmes font tout…
Simon Moutaïrou : Notamment chez les Wolofs (ethnie du Sénégal), dont j’ai appris l’histoire grâce à Khadim Sylla, spécialiste de la culture wolof. J’ai découvert le pouvoir des femmes politiques, des femmes guerrières dans l’histoire wolof. Et j’ai voulu l’évoquer dans le film.

Vous donnez à la libération, outre sa dimension politique, une réelle dimension spirituelle et culturelle. Vous évoquez la cosmogonie de ces Africains réduits à l’esclavage. Une approche assez rare dans ce type de récit et qui fait l’originalité de « Ni chaînes ni maîtres ». Madame la Victoire, elle aussi, fait appel à sa foi catholique dans cette chasse à l’homme…

Simon Moutaïrou : Je suis d’origine Yoruba (ethnie que l’on retrouve au Bénin, au Nigeria et au Togo). Le cinéma hollywoodien a beaucoup diabolisé les religions animistes africaines. Quand on en parle aux gens, ils les réduisent à de la magie noire. J’ai voulu montrer sa beauté : comment un ancien prêtre féticheur, Massamba, retrouve l’envie de se battre en retrouvant ses dieux, notamment sa déesse qui est à la fois un esprit et le visage de la femme qu’il a aimée. Tous mes personnages sont guidés par l’invisible. C’est une traque, mais aussi un affrontement entre le polythéisme du continent africain et le monothéisme catholique.

Vous insistez aussi beaucoup sur les relations filiales dans ce film, tant du côté des marrons que des chasseurs d’esclaves. Madame La Victoire est aidée par ces deux fils. Pourquoi insistez-vous sur cet aspect ?
Simon Moutaïrou : Le film se déroule trente ans avant la Révolution française. Sur le front de la pensée concernant l’esclavage, tout s’enflamme. Les jeunes générations ont raison contre les plus âgées. Dans le film, le cheminement de Massamba est de comprendre que sa fille avait raison aussi. Le personnage joué par Benoît Magimel, Eugène Larcenet, qui est propriétaire d’esclaves, fait face à son fils incarné par Félix Lefevre, Honoré Larcenet, un abolitionniste avant l’heure. Lui aussi se trouve juste devant son père. On pourrait en dire autant du fils de Madame La Victoire, qui quitte la quête après avoir croisé le regard de Massamba. Il le voit clairement : son humanité est impossible à nier. L’esclavage est une atrocité et une absurdité.

Mon scénario est donc construit en écho à notre époque. J’ai deux filles et je trouve que la jeune génération, dans son rapport au climat, à l’identité, a souvent raison. Du moins, plus que nous. J’ai voulu mettre ce conflit générationnel au cœur du film.

Nous savons tous beaucoup de choses sur l’esclavage, mais la violence de certaines scènes nous fait encore sursauter. Qu’avez-vous appris de plus sur Simon Moutaïrou en réalisant ce film et qu’avez-vous découvert sur Ibrahima Mbaye en incarnant Massamba ?

Ibrahima Mbaye : D’abord, le marronnage. Cette histoire m’a beaucoup appris sur l’état d’esprit et la bravoure de tous ces gens. Ensuite, l’existence de cette communauté Wolof qui vivait à Maurice et dont on retrouve encore aujourd’hui les traces sur l’île. Il y a un quartier, le camp du Jolof et « Jolof » n’est rien d’autre que le Wolof. Enfin, quant à mon rôle, j’ai abordé à travers Massamba les souffrances endurées par ces gens réduits à l’esclavage. Cela m’a nourri pour relever le défi de les incarner dans la plus pure vérité.

Simon Moutaïrou : Je me suis entouré de nombreux historiens lors de mes recherches sur le film. Ils m’ont permis de comprendre quelque chose dont je n’avais pas saisi l’ampleur : l’esclavage et le marronnage sont indissociables. Il y a toujours eu des résistances, des révoltes. C’est quelque chose que j’ai vraiment appris en faisant des recherches pour le film. J’ai aussi appris l’existence de communautés marronnes (d’esclaves en fuite). Dans l’océan de souffrance de l’esclavage, il y avait vraiment ces communautés diverses où l’on pouvait retrouver, comme dans le film, des Malgaches, des Wolofs ou encore des Yorubas (ethnie que l’on retrouve principalement au Nigeria). Les gens se retrouvaient et trouvaient leur culture, à travers elle, leur dignité. La résistance ne se faisait pas seulement par le courage, elle se faisait aussi par la culture.

J’ai aussi appris sur moi et sur ce grand acteur qu’est Ibrahima : dans ce genre de projet, il faut aller au bout de soi-même. C’est une histoire qui nous dépasse et nous en sommes, en quelque sorte, les fils. Je sais que j’étais en mission, que j’avais un acteur principal qui était en mission. Autour de nous, tout le monde nous regardait et avait parfois peur. Mais nous, tous les soirs ou tous les matins, on se retrouvait, on n’avait pas besoin de beaucoup parler mais chacun savait que l’autre était en mission et qu’il fallait aller au bout ensemble. C’est quelque chose que je n’oublierai jamais.

Que vouliez-vous transmettre avec ce film ?
Simon Moutaïrou : J’adore Frantz Fanon et il dit : « La colonisation a détruit l’amour-propre des colonisés. » Et où est notre amour-propre ? Dans notre Histoire. Si on nous apprend seulement que nous avons été esclaves, d’où viendra l’orgueil ? Il faut parler des royaumes africains, du Dahomey (aujourd’hui Bénin)… Il faut se rappeler qu’avec l’esclavage, il y a toujours eu du marronnage. Il faut connaître notre Histoire.

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Jewel Beaujolie

I am a fashion designer in the past and I currently write in the fields of fashion, cosmetics, body care and women in general. I am interested in family matters and everything related to maternal, child and family health.

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