11 septembre 2024 à 15h42
Mis à jour le 11 septembre 2024 à 17h05
Temps de lecture : 5 minutes
Forage illégal « nocif pour l’eau et le milieu aquatique »vente de bouteilles d’eau minérale ayant subi « traitement non autorisé » … Les accusations contre Nestlé Waters étaient graves. Le 10 septembre, le tribunal judiciaire d’Epinal a décidé de classer l’affaire rapidement en validant la convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale (Conseil international pour l’éducation en matière de politique (CIEP)), conclu entre le ministère public et le groupe.
Nestlé Waters devra payer une amende de 2 millions d’euros et 516.800 euros de dommages et intérêts à sept associations. (1) protection de l’environnement. Il s’est également engagé à mettre en place « un plan ambitieux de renaturation et de restauration de la continuité écologique » autour des voies navigables vosgiennes concernées et de procéder à « la restauration et la recréation des zones humides sur le territoire de Vittel et Contrexéville »Un investissement estimé à 1,1 million d’euros.
L’accord permettant à Nestlé Waters d’échapper à son procès est « scandaleux »dénonce Ingrid Kragl, directrice de l’information de Foodwatch, une association de consommateurs qui avait porté plainte dans cette affaire.
Reporterre — Pouvez-vous nous donner le contexte de cette affaire ? ?
Ingrid Kragl — Au début de l’année, Le monde et la cellule d’enquête de Radio France a révélé que l’eau pompée par Nestlé Waters était contaminée et que le groupe avait ensuite utilisé des systèmes de purification par ultraviolets interdits et des filtres à charbon actif afin de continuer à l’embouteiller et à la vendre.
Nous avons déposé plainte le 21 février à Paris. Celle-ci visait des fraudes et tromperies envers les consommateurs en raison de traitements illégaux qui étaient interdits et de produits pourtant mis en bouteille et commercialisés. Au total, nous avons relevé neuf manquements : pratiques commerciales déloyales, non-conformité, défaut d’étiquetage, non-respect du devoir d’information, etc.
« Une fraude sans précédent »
Notre plainte a été très rapidement transmise au procureur d’Epinal qui gérait déjà des enquêtes préliminaires concernant des forages illégaux dénoncés par des associations environnementales. Il y avait donc deux volets dans cette affaire : la saisine des associations environnementales pour des faits liés à des infractions au Code de l’environnement. Et puis, le volet « tromperie » directement lié à notre plainte.
Au fil des mois, les enquêtes ont révélé que la fraude de Nestlé Waters était massive et durait depuis des décennies. Plus les informations sortaient, plus elle prenait de l’ampleur. Nous sommes aujourd’hui face à une fraude sans précédent, qui ne se limite pas à Épinal, puisque les bouteilles ont été vendues partout en France, en Europe et dans le monde.
Le tribunal judiciaire d’Epinal a choisi le 10 septembre de suivre l’avis du procureur et de valider l’accord judiciaire : Nestlé échappe au procès. Quelle est votre réaction ? ?
Cette décision est scandaleuse. Une multinationale peut donc tromper les consommateurs pendant des années. Elle s’en sort impunément. Elle n’a aucune explication à donner. Cela revient à dire : Nestlé Waters sort le chéquier, et voilà, l’action publique s’éteint.
Le procureur d’Epinal nous a contactés il y a quelques mois pour nous demander de chiffrer le préjudice subi. Nous avons refusé dans un courrier que nous lui avons adressé en juin, considérant que la tromperie n’a pas de prix. Ce que nous demandons depuis le début, c’est que Nestlé Waters rende des comptes.
Pour nous, cette convention renforce un certain climat d’impunité, elle enterre toute action judiciaire. Elle passe l’affaire sous silence et, surtout, elle permet aux dirigeants de Nestlé Waters d’échapper aux explications. Ils ne vont pas affronter des consommateurs trompés depuis des décennies et qui continuent d’être laissés dans l’ignorance. Au final, il n’y a pas de véritables sanctions.
La veille de la décision, nous avons publié un communiqué de presse demandant au président du tribunal de ne pas approuver cette entente sur le volet tromperie. Ce qu’il a fait d’ailleurs. C’est une chose qu’une entente soit décidée sur les infractions environnementales — elle couvre les infractions au Code de l’environnement — mais ce processus n’est pas du tout destiné aux cas de tromperie.
C’est pourquoi nous n’abandonnerons pas.
Le procureur écrit que ces traitements ont « n’affecte pas la sécurité sanitaire des produits ni n’altère la composition minérale de l’eau produite » Seule la qualification réglementaire du produit aurait été affectée. Qu’en pensez-vous ? ?
Même l’Autorité nationale pour l’alimentation, l’agriculture et le développement rural (ANSES) l’a reconnu dans une note confidentielle révélée par Le monde en avril dernier : le « qualité de la santé » des eaux du groupe n’est pas garantie, selon elle. Elle parle de« un niveau de confiance insuffisant concernant l’évaluation de la qualité des ressources, notamment au regard de la variabilité de la contamination et de leur vulnérabilité microbiologique et chimique ». Et préconise un plan de surveillance renforcé. Dès qu’il y a un doute sur la qualité de l’eau, il aurait fallu arrêter la production et la commercialisation. Mais ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. Le procureur a balayé tout cela. Ce ne sont pas des petites choses. Mais le problème de cet accord, c’est qu’on n’aura pas de réponse.
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