Mort du journaliste John Ntwali à Kigali : l’enquête impossible
« Ai-je le droit de ne pas répondre à cette question ? » Depuis près d’une heure, ce journaliste bavard, qui souhaite préserver son anonymat, nous parle de son parcours, de son métier et des « lignes rouges » à ne pas franchir dans son pays, le Rwanda. Mais interrogé sur l’accident qui a coûté la vie à son collègue John Williams Ntwali en janvier 2023, il a fait une pause et a décliné. Avant de murmurer : « Je lui ai dit qu’un jour il serait tué. »
« Rwanda Classified », une enquête sur le régime de Kagame
L’enquête « Rwanda Classified », enquête sur le régime de Paul Kagame, a mobilisé 50 journalistes de 17 médias dans 11 pays, coordonnés par le collectif Forbidden Stories. Partant de la mort suspecte du journaliste John Williams Ntwali à Kigali en janvier 2023, l’enquête vise à révéler les mécanismes répressifs mis en œuvre par le Rwanda, y compris hors de ses frontières, loin de l’image de pays modèle promu à l’étranger. Le 15 juillet, l’élection présidentielle rwandaise devrait ramener Paul Kagame à la tête du pays pour un quatrième mandat, trente ans après le génocide de 1994.
La version officielle du décès de John Williams Ntwali, 43 ans, rédacteur en chef du journal Les Chroniques et fondateur de la chaîne YouTube Pax-TV-Ireme News, est pourtant celui d’un accident de la route. Selon les déclarations de la police et le jugement du procès consacré à l’affaire, que nous avons obtenu, il occupait l’arrière d’un des nombreux taxis-motos de Kigali lorsqu’il a été percuté par un taxi, dans la nuit du 17 au 18 janvier, 2023. Un accident banal. Mais à Kigali aujourd’hui, à la simple évocation de son nom ou de l’accident qui lui a coûté la vie, les mines gèlent et le silence s’installe.
Au cours de sa carrière, John Williams Ntwali a lui-même enquêté sur deux accidents de voiture suspects. Celui qui a tué, le 4 février 2015, Assinapol Rwigara, un riche homme d’affaires qui avait financé le Front patriotique rwandais (FPR), le parti de Paul Kagame, le président du pays, dans les années 1990 – son enquête lui avait valu la prison et les intimidations. Et celle dans laquelle un patron de bar a perdu la vie, en mars 2021, dont le journaliste en était convaincu, était une mise en scène. « John m’a dit qu’il avait peur, confie, sous couvert d’anonymat, un ami exilé contacté par le journaliste peu avant sa mort. Il avait reçu des menaces des services de renseignement lui disant qu’il allait être assassiné : « On va t’écraser quand tu es à moto. » » Dans des messages envoyés un an avant sa mort, John Williams Ntwali expliquait être constamment suivi par une voiture et écrivait : « Ils font leurs affaires la nuit, jettent le cadavre où bon leur semble et inventent leur version. »
Des débats incessants
Un procès a peut-être eu lieu dans l’affaire John Williams Ntwali, mais des doutes persistent. À tel point qu’en mars 2023, 86 ONG, dont Amnesty International, la Fédération africaine des journalistes et le Comité pour la protection des journalistes, ont réitéré leur appel à « l’ouverture d’une enquête indépendante, impartiale et efficace sur la mort du journaliste rwandais ».
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