Croissance en berne et dette qui flambe, c’est dans cette ambiance tendue que l’agence de notation Moody’s rendra, ce vendredi 11 avril, son verdict sur la note de la dette française. Et la France retient son souffle, quatre mois à peine après avoir déjà encaissé une dégradation.
En décembre, Moody’s avait rétrogradé la note souveraine française de Aa2 à Aa3, pointant du doigt la fragmentation politique du pays, un facteur peu rassurant pour l’assainissement des comptes publics. Une claque symbolique, même si la perspective restait stable, contrairement aux jugements plus pessimistes de Fitch ou S&P. Aujourd’hui, la situation économique s’est encore complexifiée, entre prévision de croissance revue à 0,7 % pour 2025, hausse des taux d’emprunt, et bras de fer commercial entre les États-Unis et l’Union européenne.
Moody’s face au dilemme français : maintenir, dégrader ou temporiser ?
La question est désormais claire : Moody’s va-t-elle maintenir la note actuelle « Aa3 », ou enclencher une nouvelle baisse ? Si la perspective demeure stable, ce qui en théorie éloigne un nouveau revers immédiat, l’environnement économique, lui, s’est sérieusement détérioré.
Depuis la dernière décision de l’agence, le gouvernement français a présenté un budget 2025 avec près de 50 milliards d’euros d’efforts, auxquels se sont ajoutés 5 milliards de crédits mis en réserve cette semaine. Un tour de force budgétaire rendu possible par l’éloignement momentané d’une motion de censure parlementaire.
Mais le climat international pèse. L’offensive protectionniste de Washington, lancée le 2 avril, a semé le doute. Suspendue temporairement pour 90 jours (sauf pour la Chine), cette surtaxe douanière, passée de 20 % à 10 %, pourrait encore faire tanguer les prévisions. Eric Lombard, ministre de l’Économie, s’est voulu prudent, abaissant la prévision de croissance pour 2025 à 0,7 %, contre 0,9 % auparavant. La Banque de France, elle, n’avait jamais vu aussi juste.
Une trajectoire budgétaire sous haute pression
Le gouvernement dévoilera le 15 avril, lors d’une conférence autour de François Bayrou, les détails de sa trajectoire budgétaire. Objectif annoncé : réduire le déficit public à 5,4 % du PIB cette année, après un niveau de 5,8 % en 2024, pour revenir sous les 3 % en 2029. Un cap européen ambitieux, que peu jugent crédible dans les cercles économiques.
Pourquoi ? Parce que l’exécutif refuse toute hausse d’impôt, en dehors d’une révision des niches fiscales, et s’accroche à son budget actuel sans vouloir ni rogner davantage sur les dépenses, ni ouvrir de nouvelles marges. « Pour arriver à ce maigre succès, le gouvernement a dû consentir d’énormes concessions », souligne Éric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG. Pour lui, « tout l’effort est donc reporté sur les années ultérieures », ce qui rend la cible 2029 « peu crédible ».
La France, malgré ses intentions affichées, reste dans le peloton de queue de la zone euro en matière de discipline budgétaire. Et si l’on ajoute à cela une volonté affichée d’augmenter les dépenses militaires, le compte ne s’équilibre plus. En 2024, le coût de la dette publique s’élève déjà à 58 milliards d’euros, pour un endettement frôlant 113 % du PIB, selon l’Insee.
Une économie fragilisée, une crédibilité en question
Les options fiscales sont limitées, les mesures impopulaires. Et les marges de manœuvre fondent comme neige au soleil. Une hausse de la TVA, suggérée par le patronat, ou un effort demandé aux retraités circulent comme des ballons d’essai… sans grand enthousiasme.
Mais tout n’est pas noir. « La France garde des atouts : une économie grande, prospère et diversifiée, une administration compétente, et une dette très liquide », rappelle encore Éric Dor. Des éléments qui pourraient faire pencher Moody’s vers le statu quo.
Reste une inconnue majeure : la stabilité politique. Car derrière les chiffres, les agences de notation scrutent aussi la capacité des gouvernements à tenir leurs engagements dans le temps. Et sur ce terrain, la France peine à convaincre. « Moody’s aurait déjà des arguments solides pour abaisser la note à A1 », reconnaît Dor, mais « l’expérience montre que les décisions peuvent parfois paraître arbitraires ».
Entre rigueur budgétaire et équation politique, la France joue donc sa crédibilité. Et Moody’s, son rôle d’arbitre – ni bienveillant, ni cruel, mais scruté de très près.
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