Mon employeur peut-il annuler mes jours de télétravail ? Réponses d’un avocat
Après la décision d’Amazon de mettre fin au télétravail, certains salariés s’inquiètent que leur employeur fasse de même. Le peut-il ? Et si oui, comment ? Le point avec Diane Buisson, avocate en droit social et du travail.
Fini le temps du footing alternant entre visioconférence et machines à lancer ? Des week-ends prolongés par une journée de télétravail dans votre maison de campagne ? La question semble se poser dans l’esprit de certains salariés, inquiets depuis la décision d’entreprises comme Amazon de mettre purement et simplement fin au télétravail. Le géant français du jeu vidéo Ubisoft a de son côté ordonné à ses 18 000 salariés de retourner au bureau trois jours par semaine, déclenchant une grève de trois jours en octobre.
Trois ans après la pandémie de Covid-19, qui a généralisé le travail à distance dans un pays où il était encore peu pratiqué, les entreprises françaises semblent faire le point. Alors est-ce la fin annoncée du télétravail ? Pas si sûr, explique Maître Diane Buisson, avocate au barreau de Paris, associée au cabinet Redlink et spécialiste du droit social.
Madame Figaro. – Quels textes encadrent le télétravail au sein de l’entreprise ?
M. Buisson. – Auparavant, les employeurs ajoutaient le plus souvent une clause au contrat de travail au cas par cas. Il s’agit de la forme la plus protectrice car, en règle générale, le salarié doit accepter toute modification. Depuis sa généralisation avec la pandémie, le télétravail peut être encadré par un accord collectif, négocié avec les représentants du personnel. Ce texte peut prévoir des cas de réversibilité, c’est-à-dire des situations, individuelles ou collectives, dans lesquelles il ne s’applique pas – dans le cas d’un salarié pas trop autonome pour télétravailler ou en raison de difficultés économiques par exemple. Une convention collective peut également avoir été signée pour une durée déterminée de trois ans au terme de laquelle nous arrivons. Enfin, une troisième option existe : celle d’une charte élaborée unilatéralement par l’entreprise, après consultation du Comité social et économique (CSE), que l’employeur peut dénoncer assez facilement. Il lui suffit de respecter un délai de préavis.
Alors on peut perdre notre droit au télétravail aussi simplement que ça ?
En théorie, mais il y a plusieurs inconvénients. Résilier un accord d’entreprise implique par exemple d’en négocier un nouveau dans un délai de 15 mois. Pour l’employeur, cela signifie des démarches fastidieuses et chronophages. D’autant que, d’une manière générale, il doit justifier sa décision, dans l’intérêt de l’entreprise. Ensuite et surtout, la jurisprudence protège le salarié et prévoit que le télétravail ne peut être supprimé s’il porte un préjudice excessif à sa vie personnelle et familiale. Si l’on sait pertinemment qu’un salarié habite loin du bureau, voire qu’il a déménagé, et que toute l’organisation de sa vie personnelle repose sur le télétravail, y mettre fin lui complique trop la vie, aux yeux du juge. Ces décisions ont également été rendues dans des cas de télétravail habituel, sans accord écrit.
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Un salarié peut donc, arguments à l’appui, contester la décision de son employeur ?
Oui, mais si l’entreprise choisit de modifier les règles, en réduisant le nombre de jours ou en interdisant le télétravail depuis sa résidence secondaire ou à l’étranger par exemple, et qu’un salarié refuse de s’y conformer, le salarié pourra être licencié pour faute grave. Ensuite, quitte à contester le motif du licenciement. Mais, une fois de plus, la tendance ne semble pas du tout être à la répression. Les employeurs le savent : ils doivent proposer le télétravail s’ils souhaitent recruter, voire conserver leurs équipes.