Lors de sa conférence de presse le soir du référendum du 20 octobre 2024, la présidente Maia Sandu, qui briguait également un second mandat présidentiel, a déclaré que la Moldavie avait été confrontée à « une attaque sans précédent contre la liberté et la démocratie le jour du scrutin et ces derniers mois ». » Parlant d’un vol de 300 000 voix, elle a également déclaré à cette occasion que « des groupes criminels travaillant de concert avec des forces étrangères hostiles à nos intérêts nationaux ont attaqué notre pays avec des dizaines de millions d’euros ». En cause : Ilan Shor, homme politique moldave controversé et leader du bloc « victoire » lancé en avril 2024 à Moscou, qui vit actuellement en Russie. Faisant l’objet de diverses enquêtes pour corruption et fraude, la police a notamment communiqué quelques jours avant le scrutin que cette dernière avait soudoyé près de 130 000 électeurs. En accord avec le président Sandu, le porte-parole de la Commission européenne, Peter Stano, a affirmé que « ce vote s’est déroulé dans le cadre d’une ingérence et d’une intimidation sans précédent de la part de la Russie et de ses mandataires, dans le but de déstabiliser les processus démocratiques en République de Moldavie ».
Du côté de l’opposition, le même Shor a mis en doute la sincérité du vote : « Nous avons vu ces données vers minuit. Puis ils ont commencé à compter les votes de la diaspora. On nous a dit qu’environ 250 000 personnes avaient voté (…). Au moment où ces bureaux de vote étaient vides, nous avons constaté une augmentation fictive de la participation dans les bureaux de vote étrangers sur le site de la CEC (Commission électorale centrale).» L’opposition a également pu critiquer le fait que seuls deux bureaux de vote aient été ouverts en Russie, seulement à Moscou contre cinq demandés par la Commission électorale centrale ; ce faible nombre de bureaux contraste avec un nombre beaucoup plus élevé dans les États membres de l’Union et en Amérique du Nord. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a pour sa part qualifié la campagne électorale moldave de « peu libre », déplorant que l’opposition n’ait pas eu l’occasion de faire campagne et ait été soumise à la répression des autorités. .
Au-delà de ces escarmouches politiques, il convient de revenir sur le scrutin lui-même. L’idée d’un référendum constitutionnel organisé le même jour que l’élection présidentielle a été lancée par la présidente de la Moldavie elle-même fin 2023, lorsqu’elle a annoncé son intention de briguer un autre mandat. . À la demande de Maia Sandu, la faction PAS au Parlement a entamé le processus de modification de la législation électorale et a approuvé l’amendement de la loi, permettant ainsi la tenue simultanée d’une élection présidentielle et d’un référendum républicain. Dès lors, le président et les membres du PAS investissent un capital politique important à l’occasion de ce référendum, y voyant un moyen d’ancrer définitivement l’orientation européenne du pays, mais aussi d’utiliser des ressources administratives pour faire campagne. Dans ce contexte, une participation d’à peine un électeur sur deux pour un résultat aussi serré apparaît comme un échec relatif, d’autant que des membres de l’opposition avaient appelé au boycott, permettant paradoxalement la victoire du oui. En réalité, cela signifie que seulement un quart des inscrits ont voté en faveur du oui à l’intégration européenne.
Concrètement, le référendum visait à insérer le texte suivant dans le préambule de la Constitution :
« RÉAFFIRMANT l’identité européenne du peuple de la République de Moldavie et l’irréversibilité de la trajectoire européenne de la République de Moldavie,
DÉCLARANT que l’intégration dans l’Union européenne est un objectif stratégique de la République de Moldavie ».
En d’autres termes, l’objectif du référendum était de constitutionnaliser une orientation de politique étrangère en faveur de l’Union européenne. L’enjeu est donc juridique, mais aussi politique, à l’instar des exemples géorgien et ukrainien. En raison de la neutralité inscrite dans la Constitution, le référendum n’a pas concerné l’OTAN, dont le taux de popularité est bien inférieur à celui de l’Union européenne. Pour être valable, un tiers des électeurs inscrits sur les listes électorales devaient participer au scrutin : auparavant, le référendum constitutionnel du 5 septembre 2010 sur l’élection du président au suffrage universel direct avait été rejeté justement en raison d’une participation insuffisante.
Alors que le non à l’Union a dominé les résultats une grande partie de la soirée, le oui l’a finalement emporté dans la matinée avec 50,38% des voix, soit environ 750 000 voix contre 739 000, soit une avance de 5 voix par voix. bureau de vote. Ce résultat masque de grandes différences dans les résultats selon les bureaux de vote : la diaspora a joué un rôle essentiel dans la victoire du oui, ayant convaincu 77 % des quelque 235 000 votants. Ce résultat, bien que significatif, n’est cependant pas aussi élevé que celui qui avait soutenu Maia Sandu au second tour de l’élection présidentielle en 2020. En revanche, seulement un peu plus de 5 % des électeurs de la région de Gagaouzie ont voté en faveur du oui à le référendum, une région il est vrai dominée par un partisan d’Ilan Shor, le Bachkan (chef de la région autonome) Evghenia Hutsul. Ce taux est nettement inférieur à celui de la région séparatiste de Transnistrie, à l’est du pays, qui voyait encore 31 % des suffrages exprimés pour. Plusieurs régions (raisons) du nord de la Moldavie ont également obtenu des scores plus faibles en faveur de l’intégration européenne, comme Ocnita (21%), Donduseni (27,2%) et Briceni (28,6%). Au total, il apparaît qu’une majorité de raisons a rejeté le référendum.
Les résultats étriqués du référendum amènent certains observateurs à parler de « syndrome Gorbatchev » à propos de Maia Sandu : extrêmement populaire à l’étranger, notamment auprès de l’Union européenne, elle suscite le rejet d’une partie importante de la population vivant en Moldavie. Cet écart peut poser question dans la mesure où la Moldavie n’a jamais bénéficié d’autant d’attention et de soutien que depuis la guerre en Ukraine, notamment pour aider le pays dans sa lutte contre la désinformation venant de Russie. Si cette dernière constitue une menace bien réelle, expliquer tout échec électoral par l’influence russe ignore les questions économiques (inflation, pauvreté) ou l’échec des réformes (par exemple en matière de justice). On retrouve ici ce que Giovanni Orsina appelait la dialectique du « ouï-dire » et du « toucher du doigt » : le « ouï-dire » parle des bénéfices de l’intégration européenne pour rompre avec l’énergie russe, le « toucher du doigt » observe que l’énergie les prix ont augmenté depuis le début de la guerre en Ukraine. En matière économique, la perception compte au moins autant que la réalité, puisque les acteurs moldaves exportent aujourd’hui davantage vers les marchés européens que vers la Russie.
Ainsi, si le référendum, qui ne répondait à aucune obligation, avait pour but d’assurer la réélection de Maia Sandu et de l’aider à renforcer sa légitimité, elle sort fragilisée de cette séquence politique. En effet, une victoire serrée peut plus facilement être contestée par l’opposition et devenir une cible supplémentaire de désinformation russe qu’un plébiscite. Si Maia Sandu a pu prendre la tête du premier tour de l’élection présidentielle avec 42,45% des voix, elle ne dispose quasiment d’aucun réservoir de voix. La dynamique de report de l’opposition et dans une moindre mesure la mobilisation de la diaspora deviennent donc les deux facteurs clés du second tour du scrutin, le résultat du référendum ne pouvant être utilisé par aucun des deux camps. Il est certes toujours possible de se rassurer en rappelant, comme l’a fait l’ancien ministre des Affaires étrangères Nicu Popescu, que « même une victoire étroite reste une victoire » et de se dire que désormais c’est une nouvelle campagne qui s’ouvre pour le second tour. Toutefois, le camp de Maia Sandu aborde le second tour avec moins de certitudes qu’il ne l’espérait.
Enfin, il ne faut pas non plus oublier que les élections législatives auront lieu au plus tard en juillet 2025. Obtenir la majorité au Parlement, comme en 2021, sera une tâche difficile pour le PAS, incapable d’élargir son audience et de constituer des alliances, notamment avec les partis pro-européens. Si Maia Sandu parvient à être réélue le 3 novembre, elle aura néanmoins besoin, en régime parlementaire, d’un soutien au Parlement sans lequel elle ne pourra pas mettre en œuvre sa politique. Comme le souligne à juste titre Dionis Cenusa, le pouvoir législatif est un élément essentiel dans l’établissement de l’agenda des affaires étrangères. Nous pouvons donc voir que l’adoption du référendum n’est qu’une étape sur la voie du rapprochement européen de la Moldavie, qui dépendra également des développements futurs au sein de l’Union, du sort de la guerre en Ukraine ainsi que des réformes internes initiées par Moldavie.