L’Europe revient sur ses activités passées et se tourne vers l’avenir, dans le domaine politique essentiel de la recherche. L’UE célèbre 40 ans d’investissement dans la recherche et fixe des jalons pour 10 anse programme de financement qui couvrira la période de 2028 à 2034.
Les réalisations passées et les priorités de demain étaient au centre de l’édition 2024 du Journées européennes de la recherche et de l’innovationqui s’est déroulé à Bruxelles et en ligne les 20 et 21 mars. L’événement a attiré des milliers de décideurs, de chercheurs, de représentants de l’industrie et de visiteurs du grand public.
Horizon Magazine s’est entretenu avec le professeur Manuel Heitor, président d’un Groupe d’experts qui évaluera l’actuel programme européen de financement de la recherche (également appelé Horizon Europe) et qui définira les priorités du programme qui lui succédera. Avec un financement de près de 100 milliards d’euros pour la période 2021-2027, Horizon Europe représente le troisième poste budgétaire de l’UE.
M. Heitor est professeur à l’École d’ingénierie et de technologie de l’Université de Lisbonne. Ancien ministre portugais de la Science, de la Technologie et de l’Enseignement supérieurDans l’interview, il aborde des aspects très divers, allant des conséquences de l’invasion de l’Ukraine par la Russie à l’objectif de l’Europe de consacrer au moins 3 % de son produit intérieur brut à la recherche et au développement.
Quelles sont les principales réalisations de la recherche européenne à ce jour ?
L’Europe a tiré de nombreux avantages des programmes-cadres de l’UE. Le nombre d’emplois dans le secteur de la recherche a considérablement augmenté, passant de 1,38 million en 2011 à plus de 2 millions en 2021.
Les entreprises en ont également bénéficié. Celles qui ont bénéficié d’un financement pour la recherche ont vu leurs effectifs augmenter de 20 % et leur chiffre d’affaires de plus de 30 % par rapport aux autres.
Mais surtout, il y a ce que nous avons appris. Nos villes sont devenues plus durables et plus vertes, principalement grâce à des projets de recherche financés par l’UE. Nous rendons également nos industries plus respectueuses de l’environnement, de la sidérurgie au secteur automobile, en passant par l’industrie de la chaussure et du textile. Les activités industrielles ont grandement bénéficié des investissements de l’UE.
A quoi penses-tu en particulier ?
La grande force des programmes réside dans le cadre de collaboration unique qu’ils offrent. La collaboration entre l’industrie et le monde universitaire, la recherche et l’innovation ainsi qu’entre différents secteurs a grandement contribué à forger l’identité européenne.
Au cours des 20 dernières années, la recherche fondamentale parrainée par le Conseil européen de la recherche (ERC) a eu un impact significatif. Parmi les nombreux exemples disponibles, on peut citer le développement du vaccin à ARNm pour lutter contre le Covid.
Il y a aussi la contribution du Conseil européen de l’innovation, ainsi que de toutes les startups et entrepreneurs qui ont grandement bénéficié de la recherche fondamentale.
Quels seront les principaux défis à relever dans les années à venir ?
Nous sommes confrontés à d’immenses incertitudes et à des défis uniques partout dans le monde, mais particulièrement en Europe. Je pense bien sûr au changement climatique, mais aussi à la guerre. La guerre est de retour, et sur le sol européen.
Nous sommes également confrontés à une situation démographique unique, avec le vieillissement de la population européenne et la montée des inégalités. Le défi majeur à relever est donc d’amener les jeunes générations à s’attaquer à ces problèmes urgents. Ce sera l’enjeu crucial du prochain programme-cadre pour la recherche et l’innovation.
À mon avis, il y a deux autres défis importants. Tout d’abord, nous devons introduire un double concept de sécurité et de durabilité : davantage de recherche et d’innovation dans la sécurité de nos citoyens, mais aussi dans la sécurité de notre énergie, de notre alimentation et de notre environnement. Le deuxième défi concerne la qualité des emplois dans la recherche, car nous devons répondre et élargir les besoins des marchés mondiaux fondés sur la connaissance, susceptibles de créer de meilleurs emplois.
Quel est le lien entre les objectifs climatiques, la recherche et les citoyens européens ?
Pour répondre réellement aux besoins des citoyens, le prochain programme-cadre devra imposer un programme de transformation. Cela nous oblige à nous concentrer de plus en plus sur la participation des citoyens à la recherche et à l’innovation.
Nous devons construire un réseau de centres scientifiques qui impliquent véritablement les citoyens dans la recherche et l’innovation afin de leur faire réellement comprendre le rôle clé de la connaissance dans l’accès à une vie meilleure et plus durable.
Comment l’Europe peut-elle améliorer les carrières dans la recherche ?
C’est d’une importance capitale. Nous pouvons être très fiers de l’augmentation du nombre de chercheurs en Europe, mais la qualité des emplois de recherche constitue un réel problème. Dans de nombreuses institutions européennes, on assiste à une précarité croissante parmi les chercheurs, notamment les plus jeunes.
Cela nécessitera, lors de l’évaluation de chaque projet de recherche et action candidat à un financement européen, de prendre en compte la qualité des emplois de recherche en plus de la qualité et de l’impact des résultats de la recherche. Cet aspect devra également être pris en compte lors de la conception de nouveaux programmes de cofinancement européens et nationaux.
Il s’agit d’une question délicate car elle dépend de différents facteurs tels que les règles et codes du travail en vigueur dans les différents États membres, ainsi que leur fiscalité. Mais l’emploi dans la recherche constitue un défi majeur pour l’Europe, notamment par rapport aux États-Unis, car le financement est désormais largement associé à des projets collaboratifs à court terme. Cette situation a créé un problème supplémentaire lié à la nécessité de promouvoir la recherche et les carrières à long terme. Cela doit figurer parmi les priorités du prochain programme-cadre.
Où en est l’Europe en termes de financement de la recherche ?
Nous sommes confrontés à un problème que nous devons résoudre de toute urgence dans toute l’Europe, à savoir que l’investissement européen total dans la recherche et l’innovation est resté quasiment le même au cours des trente dernières années, à environ 2,2 % du PIB. Et il est devenu inférieur à celui de la Chine, qui est de 2,4 % et en hausse, et bien inférieur à celui des États-Unis, qui est supérieur à 3 %.
Si l’on compare la situation européenne avec celle d’autres grands acteurs mondiaux, notamment les États-Unis et la Chine, on peut conclure qu’il faut diversifier les sources de financement de la recherche et de l’innovation.
L’objectif européen d’investir 3 % du PIB dans la recherche et l’innovation est évidemment très important et doit être maintenu. Mais cela nécessitera une augmentation significative des investissements européens en général. Cet objectif est étroitement lié à la qualité de vie des générations futures en Europe.
Les opinions de la personne interrogée ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne ou du groupe d’experts qu’elle préside.
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Cet article a été initialement publié dansHorizonle magazine européen dédié à la recherche et à l’innovation.