Militants verts : la bête noire du gouvernement

Ceux qui encombrent les courts pour des raisons écologiques ne sont pas forcément ceux que l’on croit. Pas de criminels du climat et autres destructeurs de planète à l’horizon mais, à la barre ou en garde à vue, des militants d’associations et de collectifs de défense de l’environnement. Depuis des mois, le calendrier judiciaire est largement teinté de vert. Ce mois de janvier en est l’implacable illustration (liste non exhaustive) : cinq militants jugés, le 6, pour dégradations contre un méga-bassin des Deux-Sèvres ; six « citoyens engagés » de Dernière Rénovation (DR) jugés, les 9, 10 et 16, pour entrave à la circulation ; deux militants contre la ligne 18 du Grand Paris Express jugés le 12 pour avoir grimpé sur une grue de chantier ; arrêt de la cour d’appel de Nancy, le 26, dans le procès des opposants au centre d’enfouissement des déchets nucléaires de Bures (Meurthe-et-Moselle)…
Une donnée qui témoigne à la fois de l’intensification du recours à la désobéissance civile face à l’inaction climatique et de la volonté du pouvoir, « qui revendiquent le monopole de la transition », selon Alexis Vrignon, de supprimer toute opposition. « Il y a deux scénarios dans la répression, analyse l’historien spécialiste des luttes environnementales. D’une part, celle concernant les mouvements type Sainte-Soline contre les méga-bassins : la défense d’un ordre productiviste hérité d’une connivence entre le pouvoir et une certaine vision de l’agriculture. De l’autre, comme pour les actions de DR, la volonté d’empêcher l’émergence d’un mouvement autonome de contestation dans l’espace public. » Dans les deux cas, « c’est une société qui condamne ceux qui tentent de la sauver », résume Nicolas, attaché de presse du DR.
Les attentats de l’automne 2015 et l’état d’urgence ont marqué un tournant
Jusqu’à la fin des années 2000, les ONG environnementales » préféré une posture d’expertise, plus consensuelle que la désobéissance civile », se souvient Alexis Vrignon. Il y avait donc moins de répression. Le tournant s’est produit à l’automne 2015, avec le recours à l’état d’urgence post-attentat pour placer préventivement des militants écologistes en résidence surveillée pendant la COP21. Viennent ensuite la loi travail de 2016 et la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique). Autant de laboratoires pour les pouvoirs publics, qui y ont vu l’opportunité d’expérimenter des méthodes plus offensives de maintien de l’ordre, accompagnées d’un nouvel arsenal juridique. « Sur le terrain, nous avons vu la différence. Avant, nous étions moins surveillés pour nos actions. Aujourd’hui, dès que nous arrivons, il y a déjà un comité d’accueil », note Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac, une ONG altermondialiste habituée aux actions chocs.
L’arrivée à l’Élysée d’Emmanuel Macron, champion du climat autoproclamé, n’a pas arrangé les affaires des défenseurs de la planète, comme l’ont fait tous les mouvements sociaux. Le chef de l’État a notamment utilisé les gilets jaunes et les menaces terroristes pour durcir la législation, introduisant parfois des dispositions exceptionnelles dans le droit commun : loi « sécurité et intérieur » (2017), loi « anti-voyous » (2019), état d’urgence sanitaire ( 2020), dépôt d’avis politiques et syndicaux (2021), loi « sécurité mondiale » (2021)… Jusqu’à la loi « séparatisme », en 2021, récemment invoquée par les préfectures pour attaquer des organisations environnementales comme Alternatiba Poitiers ou la Maison régionale de la Environnement et Solidarité de Lille. La raison ? Ils ont su favoriser le recours à la désobéissance civile qui, selon le contrat d’engagement républicain établi par le texte, contreviendrait aux valeurs de la République. « Un flou juridique laisse la porte ouverte aux interprétations. C’est inquiétant « , alarme Laura Monnier, conseillère juridique de Greenpeace, qui, avec 25 autres associations, a déposé un recours devant le Conseil d’Etat.
L' »écoterrorisme » brandi par Gérald Darmanin sert à discréditer les mobilisations
Cette évolution législative et sécuritaire va de pair avec une tentative de criminalisation des écologistes dans le discours politique et médiatique. L’exemple le plus frappant étant l’utilisation du terme « écoterrorisme » par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin pour qualifier les militants opposés aux méga-bassins. Une façon de les sortir du champ démocratique. Selon la droite et ses médias alliés (Le Figaro, point, l’Express…), ces militants, parfois auteurs de dégradations plus ou moins légères mais sans agresser les gens, seraient « violent », du « ultra-radicaux », du « agresseurs », même « saboteurs ». « L’attaque est assez classique. Dans les années 1990, avec le livre le nouvel ordre écologique , par Luc Ferry construit l’idée que l’écologiste est un totalitaire en puissance, un trublion nihiliste, explique Alexis Vrignon. Ce discours imprègne et répond aux inquiétudes d’une partie de l’opinion publique réclamant un ordre plus strict : les gens acceptent de trier les déchets, pas de remettre en cause l’organisation de la société. »
Cela facilite la marginalisation de ces mouvements de désobéissance. L’accélération est palpable. Deux objectifs : discréditer et décourager. « On se retrouve systématiquement en garde à vue plus de 24 heures, parfois avec des prolongations », note Youlie Yamamoto. Des détentions parfois arbitraires, contestées en justice par les associations qui, bien souvent, n’arrivent pas à obtenir des sanctions contre les policiers zélés. Aussi, Laura Monnier, de Greenpeace, observe une dérive dangereuse avec l’utilisation des qualifications juridiques « fourre-tout » retenue par les magistrats. « Pour avoir collé un autocollant, un de nos militants a été convoqué pour « délit de sabotage », elle illustre. Dans le procès de Bures, c’est l’association de malfaiteurs qui, au départ, avait été retenue, puis abandonnée. Cela fait peser une menace (écoute, surveillance, etc.) sur les militants que l’on veut faire passer pour des bandits, des criminels classiques, et non des personnes usant de leur liberté d’expression par la désobéissance civile. »
Parfois, cependant, la répression se retourne symboliquement contre ses auteurs, grâce aux tribunaux. Dans un récent procès impliquant DR, les tribunaux ont ainsi partiellement reconnu « état de nécessité » justifier des actions de désobéissance civile face à une « danger réel ou imminent ». Actes « proportionné » mais sans « qu’ils sont le seul moyen d’y faire face », justifie le tribunal. « La répression ne nous fait pas peur, explique Nicolas. C’est un monde sans vie et sans nos proches qui nous terrifie. »
Les moyens déployés pour faire taire les militants parviennent à mettre en difficulté des associations dont certaines sont pourtant reconnues d’utilité publique. « Dans le passé, EDF ne réclamait pas nécessairement de l’argent dans les procès concernant les intrusions de Greenpeace dans les centrales nucléaires. Maintenant, il vise la personne morale de l’association en demandant 500 000 euros de dommages moraux et en obtient 50 000 », Liste de Laura Monnier, qui mentionne également une amende de 700 000 euros. Comme Attac, les ONG doivent renforcer la formation juridique de leurs militants. Un coût qui peut les mettre en danger. « Avant les actions, nous analysons les risques financiers, notamment en cas de procès. Cela influe sur nos décisions. Si nous ne le faisons pas, nous serons écrasés. » s’inquiète Youlie Yamamoto.
D’où la volonté de contre-attaquer en unissant les forces progressistes. Une chronique récente – signée par 211 personnalités des milieux culturels, universitaires et associatifs, et publiée dans Sortie – appelé à l’organisation de forums citoyens pour la défense des libertés publiques. « La main est tendue pour organiser collectivement, avec les politiques et les syndicats, explique Youlie Yamamoto, signataire.L’idée est d’identifier les moyens de gagner la bataille de l’opinion publique, de reprendre le contrôle sur les amalgames et de mettre fin à la criminalisation. » L’occasion, aussi, de rappeler que, s’ils sont bien auteurs d’actes illégaux pour alerter sur le climat, c’est bien l’Etat qui, à deux reprises, a été condamné pour son inaction.
Grb2