Michelle Gromada, syndicaliste, étudiante et précaire

La précarité étudiante, il y a ceux qui en parlent et ceux qui la vivent. « Si je suis encore au collège, c’est clairement parce qu’il y a la solidarité des camarades. Sinon, je ne serais pas là avant longtemps. » Balayez vos propres clichés sur ces étudiantes petites-bourgeoises qui jouent les rebelles devant la porte, avant de regagner le rang confortable de l’avenir qui leur est promis quoi qu’il arrive : celle qui parle, en passant régulièrement la main dans sa longue robe brune cheveux, c’est Michelle Gromada, la nouvelle secrétaire générale de la FSE (Fédération syndicale étudiante).
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Aujourd’hui en deuxième année de licence culture et médias à l’université de Lille, elle est arrivée à l’université en 2018. Ou plutôt, « il » est arrivé. Car à l’époque, Michelle s’écrivait encore Michel. Ce n’est pas le sujet ? En effet : il précise que « ça n’a jamais été abordé dans les discussions au bureau national de la FSE ». Vraiment ? « Vraiment. On se demandait qui était en position de devenir secrétaire général, qui allait rester encore un an ou deux à l’université, qui connaissait bien l’organisation… Le fait que j’étais en transition ne s’est jamais produit. » Michelle a 23 ans. L’âge de tous ses camarades de classe. On ne saurait mieux montrer à quel point, pour toute une génération, la question n’en est plus une. Qu’on se le dise, une fois pour toutes.
Ça n’a pas toujours été un bon moment pour s’amuser
Fin du sujet ? Pas assez : « Pour ma part, je me suis demandé si je voulais être aussi exposé. Je n’ai pas encore parlé de ma transition avec mes parents, mais je sais que nous aurons bientôt cette discussion. Au pire, s’ils croisent l’Huma, ce sera l’occasion », rit Michelle. Mais entre les lignes et entre les rires, on devine que l’heure n’a pas toujours été aux rires francs. Arrivée à l’université en 2018, elle fait une année de psychologie, puis enchaîne avec des études de culture et médias. Nous sommes en 2019-2020, c’est l’année du dernier combat pour les retraites, puis du Covid et du confinement. Michelle valide son année, malgré tout. C’est après que ça se complique , avec le second enfermement, sans fin dans le supérieur, « et aussi beaucoup de problèmes personnels, psychologiques et autres… » On devine qu’elle perd un peu pied.
« Le logement et la subsistance sont devenus des sujets tellement essentiels. »
Elle lance alors un SOS au responsable de sa licence, expliquant qu’elle craint de perdre sa bourse et donnant des détails sur sa situation. La réponse est à côté de la plaque : « Elle m’a posé des questions qui n’avaient aucun sens, comme : ‘Allez-vous vous faire opérer ?’ Je n’ai donc reçu aucune aide. » Michelle rate sa deuxième année, perd sa bourse. Très modeste, ses parents peuvent difficilement l’aider : « Ils me mettent un peu d’argent tous les mois sur Izly (le compte utilisé pour payer les repas au Crous – NDLR) , c’est tout ce qu’ils peuvent faire. J’ai une sœur qui est aussi au collège, elle aussi boursière. » Son père est ouvrier et sa mère, longtemps assistante maternelle, a dû arrêter de travailler pour s’occuper de son autre sœur handicapée.
C’est pourquoi, lorsque la secrétaire générale de la FSE parle de la précarité étudiante, elle ne parle pas de la vie des autres : « Au Havre, notre section a organisé une distribution alimentaire : 500 étudiants sont venus. Sur un tout petit collège comme celui-ci, c’est énorme ! » Le logement et la subsistance sont devenus des sujets tellement essentiels qu’ils relèguent le reste presque au second plan : « Le Parcoursup des masters arrive, beaucoup d’étudiants ne sont pas au courant. C’est devenu tellement difficile de tenir le coup, beaucoup se disent : « Je fais mon permis et puis j’arrête. » »
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Être étudiant aujourd’hui est définitivement plus difficile qu’hier
La démission, le repli sur soi observé depuis les confinements, la vie sociale sur les campus qui tarde à revenir : tout cela ne facilite pas les luttes syndicales. Difficultés auxquelles la FSE veut faire face : « On a décidé de sortir des cycles électoraux à l’universitédit Michelle. Avec l’autonomie des universités, le poids des élus dans les conseils est de plus en plus faible. » Désormais solidement implanté dans 13 universités, le syndicat veut exercer « un militantisme au quotidien, avec des membres qui font vivre l’organisation. Accompagner les étudiants, comprendre avec eux que ce sont des problèmes structurels, les mobiliser pour gagner », schématise le secrétaire général. Un « syndicat de lutte », qui prend sa place dans les mobilisations actuelles sur les retraites tout en réfléchissant sur la sélection, les revenus des étudiants, la place des formations courtes… A écouter Michelle, on se dit qu’être étudiant aujourd’hui est décidément plus difficile qu’hier. Et aussi que le courage n’a pas de sexe.
Grb2