Michel Blay, philosophe des sciences : « Il faut reprendre conscience du vivant »
« Se rendre maîtres et possesseurs de la nature »c’est le programme de la modernité annoncé par Descartes en 1637 dans le Discours sur la méthode. Selon le philosophe des sciences Michel Blay, ce programme aura épuisé la nature en la réduisant à un ensemble de ressources à extraire et aura transformé les choses et le vivant en machines.
Dans son dernier ouvrage l’Ordre Technique. Comment il s’est établi, comment s’en sortir 1, il souligne que cet ordre technique, impulsé par des technocraties motivées par des calculs financiers égoïstes, menace la vie elle-même sur Terre en ignorant le vivant. Elle nous invite à changer notre regard sur nos besoins essentiels et notre rapport à la vie et au vivant.
Ce retour à la nature fondé sur un « compagnonnage » avec la vie permettrait de résister aux « propagande technico-industrielle » et rompre avec un économisme destructeur qui ne conduit qu’à « Un profit sans fin, donc une destruction sans fin ».
Quelle différence faites-vous entre technique et technique ?
Pour comprendre cette différence, il faut la situer historiquement. « La » technique fait référence à un processus continu d’inventions d’outils qui pourraient être exécutés de la pierre de taille à l’ordinateur. « La » technique fait référence à l’organisation sociale, associée à la conception de la nature, qui s’est progressivement établie au tournant du XVIe siècle.e et XVIIe des siècles. La nature était considérée avant ce tournant comme un principe inhérent, un développement cyclique alternant générations et corruption.
Corrélativement à cette conception de la nature, les hommes ont inventé des techniques pour se faciliter la vie, techniques au mieux basées sur des abstractions. La technologie est séparée, elle est séparée de la nature puisqu’elle est fabriquée. Elle ne peut donc participer à la force concrète et vivante du devenir-nature.
Dans ce contexte, nous produisons de nombreux outils, mais cela n’implique pas toute une conception de la nature ; au contraire, les objets construits sont extérieurs au processus de génération et de corruption. J’insiste sur ce point parce que justement, notre modernité technique repose sur une confusion entre technologie et nature.