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Mettre Gaza au cœur de la campagne, le pari de LFI qui divise la gauche

La France insoumise a choisi de placer le conflit israélo-palestinien au centre de sa campagne européenne pour cibler, selon le parti, les jeunes et les quartiers populaires. Une stratégie qui fracture un peu plus les Nupes.

Pas facile de le repérer, entre les parapluies, les drapeaux palestiniens et la multitude de foulards tricolores des députés insoumis, venus en masse à ce rassemblement organisé le 30 avril à Paris. Elle n’a pas pris le micro ni monté sur scène. Manon Aubry est pourtant tête de liste de La France insoumise (LFI) pour le scrutin du 9 juin.

La star du jour est Rima Hassan, plébiscitée par les manifestants. La juriste et militante franco-palestinienne, désignée en septième position (donc éventuellement éligible) aux élections européennes, a été convoquée par la police pour « apologie du terrorisme », pour ses propos sur le Hamas, tout comme Mathilde Panot, chef de file des députés LFI. .

La scène illustre la stratégie de campagne des rebelles, centrée sur le conflit israélo-palestinien. Au point d’éclipser les thèmes de prédilection de leur tête de liste, spécialiste de l’évasion fiscale et des inégalités sociales… Un choix qui menace d’enterrer définitivement toute alliance à gauche.

Un candidat pour incarner la cause palestinienne

À première vue, il ne s’agit que d’un thème parmi une cinquantaine, placé vers la fin du programme européen. Mais c’est celle que le mouvement veut mettre en avant. LFI prône un « cessez-le-feu immédiat au Moyen-Orient » Et « la fin immédiate du blocus de la bande de Gaza« . Cette mesure, qui figurait déjà dans le programme de LFI pour les élections européennes de 2019 (et dans le projet présidentiel de Jean-Luc Mélenchon lors de ses trois candidatures), a été considérablement élargie.

Dès l’introduction du programme, « La politique criminelle de Netanyahu contre les Palestiniens » est dénoncée, alors que la formule d’un « solution à deux États », présent depuis 2012, a disparu. Au risque d’alimenter les accusations d’ambiguïté, alimentées par la position de Rima Hassan depuis un « État binational ». « Il est évident que nous sommes pour une solution à deux Etats »» balaye Kévin Vercin, candidat et animateur du groupe LFI Paix.

Outre les slogans, le parti a également choisi d’investir Rima Hassan, « une figure qui incarne ce combat pour un cessez-le-feu à Gaza », explique le directeur de campagne Matthias Tavel. Ces dernières semaines, le candidat est de plus en plus sur le devant de la scène, enchaînant les émissions de télévision et les réunions publiques aux côtés du patron des insoumis, Jean-Luc Mélenchon.

« Aujourd’hui, la tête de liste LFI c’est Rima Hassan, ce n’est pas Manon Aubry, c’est assez humiliant pour elle. »

Un cadre communiste

sur franceinfo

Les rebelles le nient : ils se vantent « Le talent » de leur liste de tête et leur capacité à parler « tous les sujets ». Mais ils restent déterminés à faire du conflit israélo-palestinien un thème crucial de leur campagne. « Nous le faisons d’abord par devoir moral »affirme Matthias Tavel, faisant référence aux dizaines de milliers de civils morts dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre. « Au vu de l’actualité, il serait impensable d’ignorer ce sujet, d’autant que l’Union européenne dispose de leviersplaide Kévin Vercin. L’UE est le plus grand partenaire commercial d’Israël et constitue un moyen de faire pression sur le gouvernement de Netanyahu. »

Séduire les « jeunes » et les « quartiers populaires »

Les rebelles espèrent récolter les fruits de cette stratégie lors des élections, à plus ou moins long terme. « Je ne fais pas de calculs stratégiques lorsque je lutte contre un génocide »» déclare David Guiraud, député du Nord. « Mais la question palestinienne soulève tous les non-dits qu’il y a en France sur cette mentalité coloniale pourrie, sur la pensée que la vie des Palestiniens, ça ne compte pas ; la vie des Arabes ne compte pas… Il y a des compatriotes qui disent de LFI : ils sont courageux, ils nous croient, ils nous écoutent »poursuit-il en faisant référence aux Français « directement ou indirectement concerné par la colonisation », « Franco-Palestiniens, Franco-Algériens… » Les rebelles ciblent ainsi des catégories d’électeurs peu habitués à voter aux élections européennes.

« Le sujet de la Palestine relie beaucoup de gens à la politique, notamment les jeunes et les quartiers populaires (…) Nous avons besoin du vote des jeunes, nous ne le cachons pas. »

Louis Boyard, député LFI du Val-de-Marne

sur franceinfo

Louis Boyard, qui entame en 2022 une « visite du collège », est très présent dans les mobilisations étudiantes. Comme le député du Val-de-Marne, une nuée de députés LFI s’est rendue à Sciences Po Paris le 29 avril. Depuis le début, LFI affiche son soutien aux mobilisations dans les universités et a dit qu’il espérait que le mouvement « grandir », en cohérence avec la stratégie de conflictualisation. Quitte à susciter des critiques lorsque Rima Hassan appelle les étudiants à « soulèvement ».

Accusé de « manutention » par leurs opposants politiques, les rebelles assurent qu’ils sont dans leur rôle lorsqu’ils se rendent sur les campus. « Nous venons soutenir le droit des étudiants à manifester et la cause palestinienne, mais aussi pour calmer le jeu »assure Louis Boyard, tandis que plusieurs blocages ont été évacués par la police.

« Notre stratégie n’est pas de parler au plus grand nombre »

Cette présence parmi les étudiants a peu de chances de faire la différence lors des élections du 9 juin, l’électorat jeune étant plus enclin à s’abstenir. L’enjeu est pourtant de taille, puisque la liste LFI oscille entre 6 et 9 % des intentions de vote, nettement derrière la liste PS-Place publique. Les Insoumis espèrent faire mieux que les 6,31 % récoltés par Manon Aubry en 2019, un score jugé « décevant » à comparer aux 19,58% recueillis par Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle en 2017.

« Notre stratégie n’est pas de parler au plus grand nombre comme pour une élection présidentielle, mais de mobiliser en créant suffisamment de raisons de voter pour nous »explique le directeur de campagne Matthias Tavel. « Nous faisons le pari que les gens viendront voter si, à travers leur bulletin, ils peuvent exprimer leur colère, leur dignité, être respectés. Le slogan ‘ils veulent nous faire taire’, ça rassemble, ça mobilise »il explique le slogan contre « la censure » sur le conflit israélo-palestinien.

Pouvoir d’achat et climat éclipsés

Mais ce choix stratégique déplaît aux anciens partenaires de LFI au sein du Nupes. « EEn liant la question palestinienne aux quartiers populaires, ils adoptent une stratégie d’essentialisation à des fins électorales et communautaires., déplore l’eurodéputé écologiste David Cormand. Et en interne, tous les rebelles ne se mobilisent pas pour défendre cette ligne. Si les nombreux discours sur Gaza sont déduits du temps de parole de LFI dans le cadre de la campagne, il reste peu d’espace médiatique sur les questions environnementales ou économiques. François Ruffin, député de la Somme, préfère faire campagne sur les inégalités sociales. Il a poliment décliné nos questions et plusieurs députés LFI n’ont pas répondu à nos demandes, comme Manon Aubry.

« Il n’y a aucune volonté de faire une campagne 100% Gaza, mais c’est vrai qu’on y est souvent ramené », observe l’eurodéputée LFI Leïla Chaibi, en lice pour un second mandat. Mobilisée sur les questions de société, elle souhaite mettre en avant la question de l’aide alimentaire et celle des travailleurs des plateformes. Mais elle note que ces discours « sont moins audibles ».

« Nous n’allons pas laisser les questions sociales à Glucksmann, ce serait une erreur… Les sondages montrent que l’une des premières préoccupations des Français est la cherté de la vie. »

Leïla Chaibi, députée européenne LFI

sur franceinfo

En effet, selon une enquête d’opinion réalisée par Harris Interactiveseuls 7% des Français citent « la situation en Israël et à Gaza » parmi leurs motivations pour voter aux élections européennes, et 10% des 18-24 ans. Ce sujet arrive en 19ème position, loin derrière le pouvoir d’achat ou l’emploi.

Cette stratégie risque aussi de détourner une partie de l’électorat insoumis. Certains sympathisants interrogés lors d’un meeting le 17 avril à Roubaix (Nord) assurent qu’ils ne voteront pas LFI en raison aussi de sa position « clivage » sur Gaza. « Jean-Luc Mélenchon a perdu une partie de sa base, et il semble avoir du mal à élargir son électorat »observe Jean-Daniel Lévy, directeur adjoint de Harris Interactive.

«Ils veulent créer une fracture irréconciliable à gauche»

A gauche, la stratégie insoumise a aggravé la fracture avec les anciens alliés de la coalition. « Ce qui se passe en Palestine est monstrueux et il est légitime d’en faire un sujet de campagne. Mais les rebelles le font de manière très agressive, disqualifiant tous les autres, même à gauche, considérant qu’ils sont les seuls défenseurs du peuple palestinien. cause »» tourmente un cadre communiste.

Même colère du côté des écologistes. « Ils veulent à tout prix en faire une fracture irrémédiable de la gauche, et en cela, c’est une forme d’instrumentalisation de Gaza », juge l’eurodéputé David Cormand. Au fond, le seul « divergence, (C’est) alors que les rebelles refusaient dans un premier temps de qualifier les attentats du 7 octobre d’actes terroristes ». En fait, leLes partis de gauche ont certes la même position (pour un cessez-le-feu et pour la reconnaissance d’un Etat palestinien), mais ils sont en difficulté depuis l’attaque menée par le Hamas en Israël.

Les invectives se multiplient à propos d’une conférence sur la Palestine prévue à l’université de Lille le 18 avril. L’affiche de l’événement à laquelle devaient participer Rima Hassan et Jean-Luc Mélenchon ont mis le feu, à cause d’un logo représentant un seul État, englobant Israël et les territoires palestiniens. « Lorsque nous sommes un parti politique, nous ne nous affichons pas avec un logo qui nie l’existence de l’État d’Israël. »dénoncé Raphaël Glucksmanntête de liste PS-Place publique.

Après l’annulation de la conférence, Jean-Luc Mélenchon a fait un parallèle entre le président de l’Université de Lille et le criminel de guerre nazi Adolf Eichmann, et enterrait un peu plus les chances d’un dialogue avec les communistes. De la « des commentaires excessifs qui discréditent tout le reste »a réagi le patron du PCF, Fabien Roussel. « C’est indéfendable, ce que disait Jean-Luc Mélenchon, indéfendable.»

Pour vous imposer comme « défenseurs des minorités » en vue de 2027

Les relations ne sont guère meilleures avec les socialistes. Le fondateur de LFI est en désaccord avec son ancien ami proche Jérôme Guedj, qui avait qualifié les rebelles de« idiots utiles du Hamas » après le 7 octobre. Dans une note de blog datée du 29 avril, Jean-Luc Mélenchon se moque du « grincements » du député socialiste, qui selon lui « nié les principes les plus constants de la gauche du judaïsme en France ». Au micro de franceinfo, Jérôme Guedj a déclaré « affligé par ces dérapages répétés de Jean-Luc Mélenchon » et j’ai regretté d’être « essentialisé » par ce dernier.

Du côté de LFI, on s’offusque des accusations venant d’anciens alliés. « Je suis indigné que des partenaires de gauche nous traitent d’antisémites »souffle Leïla Chaibi.

« Nous sommes concurrents dans cette campagne, mais nous sommes partenaires et après le 9 juin, il faudra se parler. Mais j’ai peur que cela laisse des traces… »

Leïla Chaibi, députée européenne LFI

sur franceinfo

L’élection présidentielle de 2027 est déjà dans tous les esprits et les choix tactiques de cette campagne européenne ont également été faits en tenant compte de cette échéance. « Jean-Luc Mélenchon et les insoumis font le pari qu’en centrant leur campagne sur la Palestine, ils effaceront peut-être leur score du 9 juin, mais ils auront réussi à imposer ce thème de campagne et à s’identifier comme défenseurs des minorités, contre les injustices et les violences. racisme »analyse Jean-Daniel Lévy, du Harris Institute.

« Quand Marine Le Pen sera annoncée à 30% dans les sondages pour 2027, beaucoup de gens vont commencer à avoir peur, à craindre une montée du racisme », prédit Matthias Tavel. L’équipe du mouvement s’emploie donc à ce qu’elle soit identifiée comme un recours. En attendant, il reste cinq semaines de campagne européenne et trois ans avant l’élection présidentielle.

Cammile Bussière

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