CrowdTangle, un logiciel considéré comme essentiel pour repérer et analyser la désinformation sur Facebook et Instagram, sera mis hors service le 14 août 2024, soit moins de trois mois avant l’élection présidentielle américaine, a annoncé le géant des réseaux sociaux Meta, au grand dam de nombreux chercheurs et journalistes. en cette année électorale majeure. L’entreprise, située à Palo Alto, en Californie, envisage de le remplacer par un nouvel outil qui, selon les chercheurs, n’a pas les mêmes fonctionnalités.
Depuis des années, et particulièrement lors des précédents cycles électoraux, CrowdTangle permet à ses utilisateurs de suivre en temps réel la diffusion de théories complotistes, d’incitations à la violence ou de campagnes de manipulation menées depuis l’étranger. Selon les experts, la suppression de l’outil s’inscrit dans la tendance actuelle des grandes plateformes numériques à réduire la transparence. Ce mouvement est d’autant plus inquiétant que les élections sont propices à la diffusion de fausses informations qui nuisent au processus démocratique.
En cette année où des élections ont lieu dans des dizaines de pays, où vit près de la moitié de la population mondiale, « la suppression de l’accès à CrowdTangle limitera considérablement la surveillance indépendante des dommages » causée par la désinformation, a déclaré à l’Agence France-Presse (AFP) Mélanie Smith, directrice de recherche à l’Institut pour le dialogue stratégique. « C’est une grave régression pour la transparence sur les réseaux sociaux »Elle ajoute.
L’abandon de CrowdTangle, une « menace directe »
Meta s’apprête à remplacer CrowdTangle, acquis en 2016, par une nouvelle bibliothèque de contenus, contestée par de nombreux experts, dont l’ancien PDG de CrowdTangle, Brandon Silverman. Il note que le nouveau programme est encore en cours de développement : « Il s’agit d’une toute nouvelle technologie que Meta doit encore développer pour protéger l’intégrité des élections. »
Le groupe reconnaît volontiers que lors des élections de 2019 en Louisiane, l’outil a aidé les responsables à identifier les informations erronées, telles que les heures inexactes des bureaux de vote. Et lors de l’élection présidentielle de 2020, Facebook a proposé l’outil aux responsables électoraux américains de tous les États pour les aider. « identifier rapidement la désinformation, l’ingérence et la suppression des électeurs ». CrowdTangle propose également des tableaux de bord publics pour suivre ce que les principaux candidats publient sur leurs pages officielles et de campagne.
La Fondation Mozilla, une organisation mondiale à but non lucratif, a demandé dans une lettre ouverte à Meta que le service soit conservé au moins jusqu’en janvier 2025. « Abandonner CrowdTangle alors que la bibliothèque de contenu manque d’une grande partie des fonctionnalités de base de CrowdTangle sape le principe fondamental de transparence »et constitue un « menace directe » pour l’intégrité des élections, est-il écrit dans cette lettre, signée par des dizaines d’observateurs et de chercheurs.
Pour le porte-parole de Meta, Andy Stone, les affirmations de la lettre sont « tout simplement faux ». Il garantit que la bibliothèque de contenu contiendra « des données plus complètes que CrowdTangle » et qu’il sera mis à la disposition des universitaires et des organisations électorales à but non lucratif.
CrowdTangle comme outil d’enquête
Autre sujet d’inquiétude : Meta, qui privilégie le divertissement plutôt que l’information et la politique sur ses plateformes, ne mettra pas ce nouvel outil à disposition des médias à but lucratif. Dans le passé, les journalistes ont utilisé CrowdTangle pour enquêter sur des crises de santé publique, des violations des droits humains et des catastrophes naturelles.
La décision de la maison mère de Facebook et Instagram intervient après que de nombreux journalistes ont utilisé CrowdTangle pour rapporter des informations peu flatteuses sur l’entreprise, notamment sur ses difficultés à modérer les contenus de ses plateformes et sur l’abondance de jeux piratés présents sur son application de jeux vidéo.
CrowdTangle a permis de « tenir Meta responsable de l’application de ses propres règles », note Tim Harper, analyste politique au Center for Democracy & Technology. Les organisations tierces qui participent au programme de vérification des faits de Meta, y compris l’AFP, auront accès à la bibliothèque de contenu, mais d’autres chercheurs et organisations devront demander l’accès ou rechercher des alternatives coûteuses.