A quelques jours de la seconde cérémonie d’investiture de Donald Trump, le patron de l’entreprise Meta, Mark Zuckerberg, a annoncé une série de changements qu’il va mettre en place pour «revenir à nos racines en matière de liberté d’expression». La première d’entre elles promet de «remplacer les vérificateurs de faits par des notes communautaires, en commençant par les Etats-Unis».
En s’inspirant des notes de communauté, existantes sur le réseau social X, propriété du milliardaire Elon Musk, Mark Zuckerberg annonce mettre fin au programme de vérification des informations que Meta avait développé depuis 2016, avec plus de 80 organisations chargées de vérifier les informations dans plus de 60 langues. Dans le communiqué officiel publié par Meta, l’entreprise use de formules peu amènes avec ses partenaires fact-checkers. Ainsi on y lit que «l’objectif du programme était que ces experts indépendants donnent aux internautes plus d’informations sur ce qu’ils voyaient en ligne, en particulier sur les canulars viraux, afin qu’ils puissent juger par eux-mêmes de ce qu’ils voyaient et lisaient. Ce n’est pas ce qui s’est passé, surtout aux Etats-Unis. Les experts, comme tout le monde, ont leurs propres préjugés et perspectives. Cela s’est manifesté dans les choix que certains ont faits sur ce qu’il fallait vérifier et comment le faire. Au fil du temps, nous avons fini par vérifier trop de contenus que les gens considéraient comme des discours et des débats politiques légitimes. Notre système a alors entraîné des conséquences réelles sous la forme d’étiquettes intrusives et d’une réduction de la distribution. Un programme destiné à informer est trop souvent devenu un outil de censure.»
Les contenus signalés comme faux par les médias partenaires n’étaient pas supprimés
Après l’élection présidentielle américaine de 2016 et les critiques l’accusant de ne pas avoir suffisamment agi contre la diffusion de fausses informations sur Facebook, l’entreprise avait décidé de collaborer à partir de décembre 2016 avec des rédactions de fact-checking signataires du code de principes international de vérification des faits de l’institut Poynter. Cette école de journalisme et organisme de recherches américain est à l’origine d’un réseau international de fact-checking, qui définit des codes de bonnes pratiques journalistiques en matière de vérification des faits. Au lieu de modérer lui-même les fausses informations, Facebook a préféré déléguer cette expertise aux médias reconnus par ce réseau international de fact-checking. A noter, les contenus signalés comme faux par les médias partenaires n’étaient pas supprimés : un message d’avertissement proposait de lire un article de vérification des faits et les pages à l’origine de ces publications fausses pouvaient être moins montrées aux utilisateurs des réseaux sociaux de Meta. Autre règle importante : les fact-checkers ne pouvaient pas signaler les publications de personnalités politiques, comme Donald Trump.
En France, selon les dernières données publiées sur le site de Meta, les partenaires français du programme sont 20 minutes, l’Agence France Presse et Les Observateurs de France 24. Libération et sa rubrique CheckNews ont fait partie des premières rédactions à participer à ce programme, à communiquer régulièrement sur son fonctionnement et les revenus que nous en avons tirés (100 000 dollars en 2017, 245 000 dollars en 2018, 236 000 dollars en 2019 et 239 200 dollars en 2020) avant de le quitter définitivement en mars 2021. Le Monde, qui était également partenaire au lancement du programme, l’a quitté en décembre 2022.
«Une décision qui portera préjudice aux utilisateurs des réseaux sociaux»
A l’échelle mondiale, le programme de vérification des informations de Meta était déployé dans 127 pays et comptait 86 rédactions partenaires, selon Meta. La fin de ce programme devrait toucher de nombreuses petites rédactions reconnues par le réseau international de fact-checking, mais aussi des acteurs de plus grande taille, comme les agences de presse. C’est d’ailleurs l’Agence France Presse qui devrait être la plus touchée, puisqu’elle était le principal partenaire à l’échelle mondiale de Meta, en couvrant 86 pays (avec parfois une seule équipe pour plusieurs pays). Selon les données de l’AFP, son service de fact-checking emploie 150 journalistes dans 26 langues différentes. Auprès de CheckNews, l’AFP indique avoir appris la nouvelle ce mardi, quelques minutes avant la publication de l’annonce de Zuckerberg.
La fin de ce partenariat a jeté un froid dans le milieu du fact-checking. Dans un communiqué publié ce mardi, Angie Drobnic Holan, la directrice de l’International Fact-Checking Network et ancienne rédactrice en chef du média américain PolitiFact, a estimé que «cette décision portera préjudice aux utilisateurs des réseaux sociaux qui recherchent des informations précises et fiables pour prendre des décisions concernant leur vie quotidienne et leurs interactions avec leurs amis et leur famille. Le journalisme de vérification des faits n’a jamais censuré ou supprimé de messages ; il a ajouté des informations et un contexte à des affirmations controversées et a démystifié des canulars et des théories du complot». La directrice du réseau de vérificateurs a déploré que «cette décision intervienne à la suite d’une pression politique extrême exercée par une nouvelle administration et ses partisans. Les vérificateurs de faits n’ont pas fait preuve de partialité dans leur travail – cette ligne d’attaque vient de ceux qui estiment qu’ils devraient pouvoir exagérer et mentir sans réfutation ni contradiction».
Pour l’instant, la communication de Mark Zuckerberg et de Meta a indiqué que le programme de vérification des faits sera d’abord terminé aux Etats-Unis. Joint par CheckNews, David Schraven, directeur du média allemand Correctiv, qui fut le premier partenaire en Allemagne de Meta, rappelle que «les contrats viennent d’être renouvelés et doivent donc continuer jusqu’à la fin de l’année 2025». Il déplore la tonalité du communiqué, qui accuse les fact-checkers d’être devenus des censeurs.
Des contrats déjà signés pour 2025
En Espagne, Clara Jiménez Cruz, la cofondatrice du média de fact-checking Maldita, indique à CheckNews avoir appris la nouvelle ce mardi, après la communication officielle de Mark Zuckerberg, et sans que Meta ne l’informe en amont. Elle confirme que les contrats ont déjà été signés pour l’année 2025. «Je pense qu’ils devraient durer jusqu’à la fin de l’année, mais rien n’est jamais certain avec des entreprises aussi grandes. Ils pourraient aussi décider de mettre fin à la collaboration», redoute la journaliste espagnole, tout en espérant que «ce qui nous sert, c’est la situation en Europe différente puisqu’il y a les contraintes du règlement sur les services numériques», qui encadre les activités des géants des réseaux sociaux, notamment en matière de lutte contre la désinformation.